III-5 L'UNIVERSALISME DE LA MISSION DE L'HOMME DANS LE MONDE
La raison humaine est en outre capable de la discerner au
moins au niveau des exigences fondamentales, en remontant à la Raison
créatrice de Dieu, qui est à l'origine de tout. La connaissance
de la norme morale naturelle n'est pas réservée à l'homme
qui rentre en lui-même et qui, face à sa destinée,
s'interroge sur la logique interne des aspirations les plus profondes qu'il
discerne en lui. Non sans perplexité ni incertitudes, il peut arriver
à découvrir, au moins dans ses lignes essentielles, cette loi
morale commune qui, au-delà des différences culturelles, permet
aux êtres humains de se comprendre entre eux en ce qui concerne les
aspects les plus importants du bien et du mal, du juste et de l'injuste. Mais
le droit ne peut être une force de paix efficace que si ses fondements
demeurent solidement ancrés dans le droit naturel, donné par le
Créateur. C'est aussi pour cela que l'on ne peut jamais exclure Dieu de
l'horizon de l'homme et de l'histoire. Cette prise de conscience pourrait
aider, entre autres, à orienter les initiatives de dialogue
interculturel et inter-religieux. Ces initiatives sont toujours plus nombreuses
et elles peuvent stimuler la collaboration sur des thèmes
d'intérêt mutuel, comme la dignité de la personne humaine,
la recherche du bien commun, la construction de la paix et le
développement pour toute l'humanité. L'esprit d'association pour
le bien de toute la société. La création n'est pas une
réalité inerte et sans signification, oeuvre permanente de Dieu,
toute créature est appelée à lui rendre témoignage.
L'être humain est appelé à participer à la vie
divine, a aussi pour mission de rendre plus significative cette relation de
toute créature à Dieu. C'est le sens profond de son existence
terrestre, de dominer la terre, comme un gérant administrant des biens
au nom de leur auteur. Or, l'homme réalise cette tache essentiellement
par le travail qui marque la nature de son empreinte, comme c'est
rappelé par les Pères conciliaires à Vatican II. Ce
travail constitue le prolongement de l'oeuvre du Créateur et
permet à l'homme de coopérer à l'achèvement de la
création en Dieu.
Car en faisant passer dans les choses son intelligence et son
labeur transformant, l'homme y fait passer aussi la pensée et la
puissance de Dieu dont il est l'image et le relais plus ou moins
influençable. Le travail parait alors comme le moyen de perfectionnement
du croyant, lorsque celui-ci est placé dans son contexte juste. Car,
c'est en mettant en oeuvre ses possibilités que l'homme se perfectionne
en traduisant la volonté de son maître dans le monde.
Pour toute définition du travail humain et de sa raison
d'être reflètera une option sur l'homme lui-même et sa
vocation, sur sa fin ultime. La création des richesses terrestres
à partir de la nature est la preuve de son engagement à traduire
la volonté de Dieu dans le monde. Cette création des richesses
par la médiation du travail correspond d'une manière obvie
à une sorte « humanisation » et donc de domination
de la nature que le créateur lui a confié à l'homme.
Ainsi, par le travail, l'homme non seulement utilise la nature à son
service en la modifiant, mais aussi transforme sa vie et se réalise
lui-même dans la nature. Mais il faut pouvoir affirmer que l'homme ne se
contente pas de marquer la nature de son sceau, il devient véritablement
homme-dans-la nature. Nous pourrions dire que la nature donc semble faire corps
avec l'être humain. Cette nature, d'extérieure à l'homme
qu'elle était, devient dans le premier temps, un bien mis à la
disposition de l'homme, mais, dans le second temps, c'est l'homme
lui-même qui est transformé par son travail. Il se perfectionne
ainsi dans son labeur quotidien, dans une action laborieuse. Faisant ainsi du
travail un lieu de sanctification et de perfection où l'homme en se
construisant, construit un monde objectif et humain.
Il nous faut comprendre, aujourd'hui, que l'espérance
eschatologique n'est pas qu'une question de chronologie, mais de tension
intérieure, de préparation et même de participation
à la construction du Royaume de Dieu sur la terre. C'est donc cette
construction du royaume de Dieu dans son étape terrestre, stade fait de
labeur ; c'est-à-dire, à partir des taches humaines.
L'eschatologie prend comme relais les espoirs humains, pour leur infuser un
dynamisme divin et une certaine assurance que le meilleur de ces espoirs ne
sera pas perdu. Ainsi, l'espérance chrétienne n'est plus ce que
critiquait Karl Max et qui faisait dire à Nietzsche le chrétien
est un inutile, un séparé, un résigné ; il est
étranger au travail de la terre.
La règle souveraine qui domine alors ce processus est
d'exercer cette transformation de la nature, non pour la dénaturer, mais
pour la gérer dans le but pour lequel elle a été mise
à la disposition de l'homme. Deux excès sont alors à
éviter.
D'abord voir cette sauvegarde comme une sorte de respect de
l'esprit de la protection d'un parc naturel. Cette nature n'est pas offerte
à l'homme pour être seulement un objet de contemplation
esthétique « panthéisme », de
vénération, mais pour être entretenue et lui permettre, par
le travail et l'innovation technique, de mieux réaliser son
développement intégral et solidaire.
La justice de Dieu ne fait qu'exprimer ce droit fondamental
de tout être humain de se développer, afin d'avoir accès
aux moyens pour y parvenir, d'abord et en priorité, les moyens
économiques qui assurent une vie digne de l'être humain.
Le Christ est donc venu nous révéler une
réalité qui existe depuis toujours et pour toujours : le
Mystère de ce Dieu Présent au coeur de sa création depuis
qu'elle existe, ce Dieu « qui éclaire tout homme venant en ce monde
» (Jn 1,9), qui « pétrit et façonne le coeur de chacun
», comme dit le Psalmiste (Ps 33(32), 13-15). Le chrétien saura
donc reconnaître en tout homme de bonne volonté un frère
que Dieu guide, éclaire, soutient, conduit, tout comme lui, même
s'il en parle autrement, même s'il n'en a pas conscience. Et il
s'attachera à s'engager avec lui pour travailler avec lui au bien de
toute la famille humaine.
Cette perspective est bien présente dans le premier
récit de la Création. En effet, c'est à «Adam »
qui représente ici l'humanité tout entière, qu'est
donné la mission de «dominer la terre». Et cette
«Adam-humanité» se différencie ensuite en deux blocs
principaux : «l'Adam mâle» et «l'Adam femelle» dite
Eve. Et bien sûr, chacun de ces blocs est ensuite constitué de la
multitude des personnes humaines créées de sexe masculin et de
sexe féminin. De cette simple remarque découlent de nombreuses
conséquences, tout aussi révolutionnaires autrefois
qu'aujourd'hui : cette égalité foncière de toute
personne humaine, homme ou femme, en droits et en devoirs, devant Dieu. C'est
une invitation à défendre les droits de l'homme et de tout homme.
Travailler au bien de tous sera ainsi notamment faire en sorte
que chacun puisse bénéficier d'un espace de liberté
où il pourra développer sa diversité et mettre en oeuvre
les talents qui lui sont propres. Et si tel est vraiment le cas, cette mise en
oeuvre se fera toujours pour le bien de tous! En d'autres termes, travailler au
bien de l'autre, c'est non seulement s'accomplir soi-même mais c'est
encore travailler au bien commun, et donc à son propre bien!
Le Christ est donc venu accomplir le projet de Dieu qui a
créé l'humanité pour qu'elle soit «la famille»
de ses enfants unis à Lui dans la communion d'un même Esprit,
d'une même Vie, dans l'Amour. Ce projet commence à se mettre en
oeuvre dès maintenant par l'oeuvre de Réconciliation accomplie
par sa mort et sa résurrection, réconciliation avec Dieu et donc
aussi réconciliation des hommes entre eux. Les chrétiens
reçoivent ainsi par leur foi la grâce de mourir à tout ce
qui sépare pour ressusciter à tout ce qui unit. Et cette
grâce est tout en même temps Lumière et Force qui leur
permet de collaborer activement, dans l'aujourd'hui de leur histoire, à
la construction de cette humanité « famille de Dieu ».
Cette Lumière leur donnera notamment de
reconnaître la Présence de cette même Lumière au
coeur de tous les hommes et de toutes les femmes de bonne volonté, quel
que soit leur chemin religieux. En effet ceux qui, sans faute de leur part,
ignorent l'Evangile du Christ et son Eglise et cependant cherchent Dieu d'un
coeur sincère et qui, sous l'influence de la grâce, s'efforcent
d'accomplir dans leurs actes sa volonté qu'ils connaissent par les
injonctions de leur conscience, ceux-là aussi peuvent obtenir le salut
éternel. Et la divine Providence ne refuse pas les secours
nécessaires au salut à ceux qui ne sont pas encore parvenus, sans
qu'il y ait de leur faute, à la connaissance claire de Dieu et
s'efforcent, avec l'aide de la grâce divine, de mener une vie droite. En
effet, tout ce que l'on trouve chez eux de bon et de vrai, l'Eglise le
considère comme un terrain propice à l'Evangile et un don de
Celui qui éclaire tout homme, pour qu'il obtienne finalement la vie
» (Concile Vatican II, Lumen Gentium & 16). St Paul, dans son
épîtres aux Romains, souligne l'importance du regard fraternel,
universel et bienveillant que nous devrions porter sur tous ceux et celles qui
nous entourent, quelles que soient leur culture, leur appartenance religieuse
ou raciale. En effet, les valeurs de Dieu, les seules sur lesquelles toute vie
personnelle ou communautaire peut vraiment se construire, habitent au coeur des
hommes et des femmes de bonne volonté. En reconnaissant leur
présence au-delà de toutes les étiquettes sociales ou
religieuses, nous pourrons alors nous engager avec eux, quels qu'ils soient,
pour travailler ensemble au bien commun de toute l'humanité.
Tous les chrétiens sont donc invités à
s'engager avec tous les hommes et toutes les femmes de bonne volonté, en
responsables actifs de la cité, pour travailler ensemble au bien commun
de tous en cultivant les valeurs de droiture, de justice,
d'honnêteté, de tolérance, de bienveillance. Ces valeurs,
Dieu ne cesse de les insuffler au plus profond de chacun d'entre nous par le
Souffle de son Esprit qui est à la racine du Mystère de toute vie
humaine sur cette terre. Mais à la lumière de leur foi, en
s'engageant activement avec eux, les chrétiens savent qu'ils travaillent
à l'accomplissement de la volonté de Dieu qui ne désire
que l'authentique épanouissement de toute la famille humaine.
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