CHAPITRE II
LÉGITIME DÉFENSE ET NOUVELLES MENACES
CONTRE LA PAIX ET LA SÉCURITÉ INTERNATIONALES : LE CAS
PROBLÉMATIQUE DE LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le Conseil de
sécurité a adopté une résolution185 dans
laquelle il associait le droit inhérent à la légitime
défense individuelle ou collective -- conformément à la
Charte à une condamnation dans les termes les plus forts de ces attaques
-- et qualifiant ces actes comme une menace à la paix et à la
sécurité internationales. Toutefois, le Conseil de
sécurité n'a pas qualifié ces attaques d'agression
armée, ceci sans compter que le jour de l'adoption de cette
résolution, on ne connaissait pas encore l'identité des
responsables de ces actes. Ce n'est qu'après quelques semaines que l'on
a pu retracer les origines de ces événements aux activités
du réseau Al Qaïda. Le Conseil de Sécurité n'a donc
autorisé ni explicitement ni implicitement une opération
militaire dans la mesure où il n'a pas été saisi d'une
quelconque demande d'autorisation.
La question qui se pose à ce niveau est de savoir si
l'on se trouve dans le cadre d'un cas de légitime défense aux
termes de l'article 51 de la Charte qui peut être une base à un
recours à la force, ou dans un cas de réaction collective
à une menace à la paix, ou encore dans une situation autre et en
principe exclue par le système de la Charte ?
Comme nous l'avons déjà précisé,
en droit international, la légitime défense n'est admise qu'en
cas d'agression armée. De plus, pour qu'il y ait agression, plusieurs
conditions doivent
185S/RES/1368, 12 septembre 2001.
être remplies, notamment celles dictées par la
résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974, à savoir
l'emploi de la force armée, par un État, agissant le premier et
contre un autre État.
2.1. L'exigence d'une agression armée
L'intervention américaine en Afghanistan a
soulevé des interrogations au sujet de la qualification juridique des
faits survenus le 11 septembre 2001, notamment car l'action du Conseil de
sécurité semble être une application hybride du Chapitre
VII. En d'autres termes, « l'intérêt est [...] de
vérifier si [les conditions de la légitime défense] ont ou
non été respectées et plus encore si, ne l'ayant pas
été pleinement, elles annoncent ou non des changements dans le
droit applicable qui puissent perdurer au-delà de la crise qui les a
suscitées »186. Plus précisément, la
question est de savoir si le Conseil de Sécurité, sur la base du
Chapitre VII, peut autoriser une extension de l'article 51. Dans la lettre
adressée par le représentant permanent des États-Unis au
président du Conseil de sécurité, on comprend que :
In accordance with article 51 of the Charter of the United
Nations [...] the United States of America, together with other states, has
initiated actions in the exercise of its inherent right of individual and
collective self-defence following the armed attacks that were carried out
against the United States on 11 September 2001 187.
Pour Pierre Michel Eisemann, les attentats du 11 septembre qui
ont eu lieu à New York, Washington DC et en Pennsylvanie, donnaient lieu
à une situation de légitime défense. La reconnaissance
d'un droit naturel à la légitime défense individuelle ou
collective, dans le texte de la résolution 1368 adoptée au
lendemain des attaques, doit être perçue comme une
186Joe Verhoeven, « Les étirements de
la légitime défense », A.F.D.I, Paris : CNRS
Éditions, XLVIII, 2002, à la page 50.
187Letter dated 7 October 2001 from Permanent
Representative of the United States of America to the United Nations addressed
to the President of the Security Council, S/2001/946, [en ligne] : [http
://
daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N01/567/85/PDF/N01
56785.pdf ?OpenElement] (page visitée le 20 mars 2006).
63 acceptation de la prétention du gouvernement
américain à se trouver en situation de légitime
défense et, par conséquent, à recourir à l'emploi
de la force :
Ce n'est donc pas de manière
inconsidérée, mais bien au contraire de façon volontaire
et réitérée que des États -- au nombre desquels les
membres permanents du Conseil de sécurité -- ont
décidé que l'attaque de bâtiments privés et publics
situés sur le territoire des États-Unis, ayant provoqué un
grand nombre de victimes dans la population, conduite au moyens
d'aéronefs civils par des personnes soupçonnées
d'appartenir à un groupe armé non étatique, ouvrait
à l'État visé le droit de réagir dans le cadre de
la légitime défense alors même que la
répétition d'actes similaires n'était pas
exclue188.
Pour lui, les termes de la Charte permettent à tout
pays victime d'une telle attaque de réagir de manière à
protéger son intégrité ainsi que la vie des personnes
résidant sur son territoire, dans la mesure où « à
l'heure où les forces transnationales viennent concurrencer les
États -- y compris sur le terrain du recours à la force --, il
serait pour le moins paradoxal d'imputer à ces derniers la
paternité de règles les paralysant et les livrant aux effets de
la violence privée »189.
Contrairement à Eisemann, d'autres juristes affirment
que, comme la légitime défense revêt un caractère
naturel, l'autorisation du Conseil de sécurité ne constitue pas
une condition nécessaire à son exercice, bien qu'elle soit
soumise à son contrôle a posteriori : contrôle de
la qualification, contrôle des modalités de son exercice ainsi que
le contrôle de sa durée.
Pour Pierre Marie Dupuy, la référence faite au
droit naturel de légitime défense, dans la résolution 1368
du Conseil de sécurité, constitue simplement un rappel
très général190. En d'autres termes, le Conseil
de sécurité n'a rien fait d'autre que de rappeler un droit qui
existe dans la Charte sans y ajouter quoi que ce soit191.
D'ailleurs, ni la résolution 1368
188Pierre Michel Eisemann, « Attaques du 11
septembre et exercice d'un droit naturel de légitime défense
», dans Le droit international face au terrorisme, Paris :
Pedone, Cahiers Internationaux, 2002, à la page 240.
189Ibid., à la page 241.
190Dupuy, supra note 116, à la page
616.
191Il faut remarquer que ce n'est pas la
première fois que le Conseil de sécurité rappelle ainsi le
droit naturel de légitime défense. Dans la résolution
661 (1990) du 6 août 1990, il a affirmé « le droit
susmentionnée ni la résolution 1373
adoptée le 28 septembre 2001 ne comportent une autorisation formelle de
recourir à la force192. Cette deuxième
interprétation de la référence faite à la
légitime défense dans la résolution 1368 nous paraît
plus conforme avec le droit de la Charte vu que la légitime
défense, par définition même, ne nécessite pas
d'autorisation préalable du Conseil de Sécurité mais
qu'elle reste sous son contrôle à posteriori193. Cela
nous incite à nous questionner sur l'utilité du rappel d'un
concept que nul État n'est censé ignorer.
Sur ce point, nous partageons l'avis de Joe Verhoeven, pour
qui l'intérêt d'un tel rappel dans le cas d'espèce est
purement politique et vise essentiellement à « donner par avance
à l'action qui serait entreprise un surcroît de
légitimité »194. De ce fait, « il est
singulièrement plus aléatoire d'y découvrir juridiquement
un premier élément de preuve de la licéité de
l'exercice de la légitime défense dans un cas particulier
»195.
Concernant les conditions de son exercice, le droit de
légitime défense n'est envisageable que dans le seul cas d'une
« agression armée ». Bien qu'en droit international, on ne
trouve pas une définition de ce qui serait considéré comme
une arme, l'ampleur et la gravité exceptionnelle des attentats -- ainsi
que le nombre élevé des victimes -- peuvent en effet faire penser
que l'on est dans le cadre d'une agression « armée ». Il est
vrai que :
naturel de légitime défense, individuelle ou
collective, face à l'attaque armée dirigée par l'Irak
contre le Koweït, consacré par l'article 51 de la Charte ».
192Dans l'article 3, c) de la résolution
1373 du 28 septembre 2001, le Conseil de Sécurité a simplement
demandé à tous les États de coopérer afin de
prévenir et de réprimer les actes de terrorisme. Cette demande ne
peut en aucun cas être assimilée à, ou comprise comme, une
autorisation explicite. L'argument d'une autorisation implicite est peu
défendable étant donné le caractère fondamental de
la règle d'interdiction du recours à la force
193 Il s'agit du contrôle de la qualification faite par
l'État concerné, des modalités d'exercice de ce droit, et
de sa durée.
194Verhoeven, supra note 241, à la
page 54.
195Ibid.
Des avions commerciaux ne sont pas par nature des armements et
leurs pilotes des militaires. [Toutefois les faits ont] démontré
qu'ils peuvent le devenir par destination, qu'ils soient ou non remplis de
kérosène. Il n'y aurait dès lors pas de fondement
juridique à la proposition qui nierait l'existence d'une
attaque/agression armée motif pris de l'étrangeté des
instruments utilisés à cet effet196.
En d'autres termes, « il serait [...] oiseux de contester
qu'un aéronef aux réservoirs remplis de kérosène
utilisé pour provoquer le maximum de destruction n'ait pas
été une arme par destination »197. En effet,
« la violence destructrice des attaques terroristes du 11 septembre peut
[...] a priori faire penser que les États-Unis se sont
trouvés, et pour la première de leur histoire sur leur propre
sol, victimes d'une véritable agression »198. Comme le
souligne Linos A. Sicilianos, l'ampleur des actions « [...] constitue un
élément inhérent à la notion d'agression en tant
que condition d'invocation de la légitime défense [...] la
gravité des actions armées est le facteur qui distingue
l'agression d'un simple incident de frontière en faisant de l'emploi de
la force un crime international »199. C'est dans ce sens que
l'article 2 de la résolution 3314 (XXIX) stipule que :
L'emploi de la force armée en violation de la Charte
par un État agissant le premier constitue la preuve suffisante à
première vue d'un acte d'agression, bien que le Conseil de
Sécurité puisse conclure, conformément à la Charte,
qu'établir qu'un acte d'agression a été commis ne serait
pas justifié compte tenu des autres circonstances pertinentes, y compris
le fait que les actes en cause ou leurs conséquences ne sont pas d'une
gravité suffisante.
Dans le même ordre d'idées, le paragraphe 3 du
défunt article 19 de l'ancien projet de la CDI sur la
responsabilité des États a mis l'accent sur
l'élément de gravité dans la mesure où :
196Ibid., à la page 55.
197Eisemann, supra note 188, à la page
242. 198Dupuy, supra note 116, à la page 617.
199Sicilianos, supra note 57, à la page 327.
[...] un crime international peut notamment résulter :
a) d'une violation grave d'une obligation internationale
d'importance essentielle pour le maintien de la paix et de la
sécurité internationales, comme celle interdisant
l'agression200.
C'est dans ce sens aussi que la CIJ a fait la distinction
entre « les formes les plus graves de l'emploi de la force et d'autres
modalités moins brutales »201. Celle-ci trouve son
utilité dans l'idée que les formes moins graves d'utilisation de
la force ne donneraient pas droit à la légitime défense.
De plus, la légitime défense de plein droit signifierait que tous
les moyens nécessaires peuvent être utilisés pour repousser
une attaque, alors que dans les formes moins graves, les moyens de
résistance seraient limités par la gravité relative de
l'attaque.
Cependant, pour être acceptés juridiquement comme
étant une agression, ces actes doivent être imputables à un
État selon la logique du droit de la responsabilité
internationale, qui considère que « l'illicéité du
fait de l'État est exclue si ce fait constitue une mesure licite de
légitime défense prise en conformité avec la Charte des
Nations Unies »202.
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