Annexe n°2 :
- Interview de Patrick Wealbroeck chercheur et professeur
associé à l'Ecole Nationale des Télécommunications
(ENST), avril 2009.
Présentation de l'intervenant :
Patrick Waelbroeck est professeur associé à
l'ENST au département Economie et Science Sociale. Il y enseigne
l'économie industrielle et l'économétrie. Il est
détenteur d'un doctorat obtenu à la Sorbonne et fait une partie
de ses études à Yale. Ses recherches actuelles portent sur une
approche à la fois pratique, scientifique et empirique du piratage sur
internet et la protection technologique des industries créatives. Il est
également membre du comité éditorial du Journal of
Cultural Economics. Il a publié de nombreux travaux sur le sujet du
piratage et de l'industrie culturelle et fait parti des sommités
mondiales sur le sujet.
Pouvez-vous nous expliquer le déclin du
modèle économique de l'industrie musicale ?
D'un point de vue économique, deux facteurs structurels
montrent que la musique est en déclin :
- Premièrement un déclin du support, car aucun
nouveau support sérieux n'est parvenu à concurrencer le CD (mini
disque de Sony, cassette digitale de Philips). Or, une grande partie de la
demande de musique est dictée par un renouvellement de la
bibliothèque, un renouvellement lié à chaque nouvelle
apparition de support (ceux qui possédaient des vinyles ont
racheté leurs albums en CD). Mais aujourd'hui grâce aux
technologies numériques, « dématérialiser » sa
bibliothèque devient enfantin et surtout gratuit ! Inutile donc de
racheter via une plateforme de téléchargement commerciale un
fichier numérique que l'on peut créer soit même !
- Deuxièmement un facteur lié au secteur du
loisir. On sait qu'aujourd'hui la TV et la musique occupent la plus grande part
en termes de loisir dans le quotidien d'un consommateur, le jeu vidéo
arrive juste après. Que ce soit en termes d'heures d'activités ou
en termes de budget, toutes les prévisions indiquent que dans 5
à10 ans le jeu vidéo viendra en première position. La
musique va forcement continuer son déclin structurel qui est lié
à des effets de substitution entre les différents types de
loisirs. Tout ceci est indépendant du piratage qui ne fait
qu'accélérer le processus.
Quelle est votre opinion sur cette tendance à
la répression visant à limiter les accès à la
technologie à ceux dont les pratiques sont jugées
illégales ? (téléchargement de musiques sur Internet)
Pensez vous que cette démarche relancera le secteur économique de
l'industrie musicale ?
On distingue deux types d'internautes :
- « Les pirates » majoritaires, qui
téléchargent beaucoup, stockent mais ne consomment pas
réellement ce qu'ils téléchargent. Ils cherchent plus
à se constituer une bibliothèque dans l'idée d'«
amasser » quelques richesses plus que d'en disposer. Ce genre d'internaute
n'achète pas de musique. Il n'en a jamais vraiment acheté et il
n'en n'achètera probablement jamais (pas plus que quelques CD par an et
encore...). Ceux là ne se sentent pas concernés par ces mesures
répressives car ils connaissent les méthodes pour les
contourner.
- « Les explorateurs », minoritaire (25%), ne
téléchargent pas pour stocker une musique qu'ils
n'écouteraient pas, au contraire, ils l'effacent une fois qu'ils l'ont
consommé. Ils téléchargent des volumes qu'ils n'auraient
pas pu se payer. On constate que ce sont eux les plus gros acheteurs et ils ont
notamment des rôles de prescriptions dans leur communauté. Si on
réduit leur accès à Internet, ils n'exploreront plus ce
domaine et ils transféreront leur budget ailleurs (jeu vidéo par
exemple). Ainsi, couper l'accès à Internet ne
fera pas gagner grand-chose à l'industrie, il y a
même fort à parier que cela ne fasse qu'empirer son
état.
Expliquez-moi pourquoi les scientifiques sont-ils
finalement si peu présent dans le débat public... ?
Comme vous vous en êtes aperçu dans vos
recherches, très peu d'études sérieuses sur le domaine ont
été réalisées. Les premières datent de 4
à 5 ans et ne concernent qu'une quarantaine de chercheur dans le monde
(pas plus de 10 vrais experts). Ce ne sont pas des sujets économiques
classiques. Il est d'ailleurs regrettable que le seul scientifique choisit par
la commission Olivenne, Olivier Bomsel, loin de douter de ses qualités
de scientifique, paraisse aussi orienté en faveur de cette tendance
à la répression.
Certes la commission a acquis une légitimité
scientifique mais malheureusement pas suffisamment neutre.
|