Annexe n°3 :
- Interview de Bertrand Le Gendre, chroniqueur
éditorialiste au journal Le Monde, avril 2009.
Présentation de l'intervenant :
Journaliste au Monde depuis 1 974, Bertrand Le Gendre a
été rédacteur à la rubrique Education, chef adjoint
du service des Informations générales, chef de la rubrique
Justice, grand reporter, rédacteur en chef (1 993-2006),
désormais éditorialiste depuis septembre 2006.
Bertrand Le Gendre est professeur associé à
l'université Paris-II Panthéon- Assas depuis septembre 2000 et a
été directeur de collection aux éditions Gallimard (1
986-1989).
Pourquoi, le public ne semble-t-il pas réellement
sensible aux messages alarmistes de la filière musicale prédisant
la mort de la création à venir ?
Vous savez il existe quand même des gens qui sont
convaincus que ce système de téléchargement illégal
fait du mal à la création. Mais il faut reconnaître que les
gros industriels de la culture musicale tels que les majors ont pendant
longtemps fait fortune prenant les mélomanes en otage, les
forçant à acheter des albums de 12-15 titres dont seulement 2 ou
3 valaient le coup ! Ils ont bénéficié de ce
système pendant des années jusqu'à ce qu'ils l'asphyxient
eux-mêmes ! Ils ont été les plus forts pendant des
nombreuses décennies mais depuis près de 1 5 ans qu'Internet
existe, ils ont été stratégiquement incapables d'anticiper
ce qui est en train de leur arriver...
Et puis vous savez, il y a usages et discours, regarder les
usages ! Les usages ne sont finalement pas modifiés par ces discours
alarmistes et culpabilisants. Peut-être qu'ils le seront par les menaces
de la coupure d'Internet...
Les discours qui paraissent avoir de l'impact aujourd'hui en
auront peut-être moins demain. On est dans un système mouvant,
dans un brouillard complet où personne n'a de certitudes...
Que pensez-vous de la position du gouvernement dans
cette affaire ? Pensez- vous qu'il a réellement intérêt
à faire face à des millions de citoyens français juste
pour sauvegarder une industrie vieillissante et peu encline au changement
?
Je crois que le gouvernement est l'objet d'une intense
opération de lobbying de la part de ceux qui ont intérêt au
statut quo c'est-à-dire préserver la chaîne de valeur
traditionnelle du disque car, vous l'avez compris, Internet déplace
cette chaîne de valeurs. Ces industriels de la culture musicale perdent
actuellement du terrain et qui sait peut-être la partie un de ces jours.
Ils n'ont pas su réagir à temps et se retournent donc vers leur
interlocuteur habituel, le ministère d'une culture
régulée, règlementée, afin qu'ils puissent
espérer éradiquer des pratiques qui, soit disant les blessent.
Le ministère de la culture et de la communication
reconnaît lui-même qu'une diminution significative des
échanges, même à la marge, serait satisfaisante. Car en fin
de compte, le gouvernement n'est pas dupe et bien qu'il n'ait guère le
choix face à la pression des lobbys, il est sans illusion sur les
nécessaires évolutions du business model de l'industrie
musicale.
Pensez-vous que les français sont sensibles aux
discours de communication du gouvernement et de la filière musicale ? Se
considèrent-ils comme des pirates ?
Les citoyens français sont très ambivalents, une
partie d'eux-mêmes est consciente que leur comportement nuit à la
filière et la création, quoique surtout à Universal et
à la FNAC et une autre partie d'eux-mêmes demeure animée
par l'attractivité (gratuite) de la pratique.
Il ne faut non plus oublier que pendant un temps, les
fournisseurs d'accès Internet ont largement profité de ces
pratiques illégales, faisant campagne de façon « subliminale
» sur tous les bénéfices que leurs offres pouvaient apporter
au phénomène du téléchargement
(Téléchargez encore plus rapidement avec nos offres etc...).
Mais en fin de compte le téléchargement reste
une pratique assez marginale dans le sens qu'elle concerne essentiellement les
jeunes et donc les cycles de vie. Un cadre de 40 ans ne s'intéresse pas
au téléchargement. J'enseigne à l'université, quand
je demande aux étudiants : qui télécharge
régulièrement ? Plus des deux tiers des mains se lèvent
pour la simple raison que la majorité d'entre eux n'a pas les moyens de
se payer des albums à la FNAC ! C'est avant tout un fossé
générationnel, avec l'âge, les jeunes délaisseront
peu à peu ces pratiques (d'autres prendront leur place
naturellement...)
Vous et le peer to peer ?
J'ai déjà essayé mais ça ne
m'intéresse pas, je n'ai pas envie d'attraper un virus ! Non moi vous
savez, si une musique me plaît, je l'écoute en streaming ;-)
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