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Evaluation de l'impact environnemental : le rôle des outils de gestion

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par Iouri Sorokine
ESSCA - Master gestion/finance 2008
  

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III. Discutions sur les résultats obtenus

1. Les rôles respectifs et évolutions possibles des outils

a) Les tableaux de bord verts: des outils adaptés pour le pilotage

Lorsque j'affirme que l'hypothèse H 1 .1 ("Les outils de gestion environnementaux sont des outils de pilotage") ne peut pas encore être validée à ce jour, il convient de bien insister sur les notions "encore" et "à ce jour" qui intègrent la notion de temps et évoquent de probables évolutions dans les années à venir. Il est clair que le pilotage environnemental des activités se met en place au fur et à mesure que les outils adéquats se construisent et que les enjeux des entreprises évoluent. Mais quels sont les arguments qui me permettent de l'affirmer?

Tout d'abord, il est clair que suite aux pressions que subissent les acteurs de l'économie en termes d'environnement, des outils environnementaux de plus en plus aboutis se mettent progressivement en place, car leur but est de répondre aux exigences imposées dans ce domaine. Or, ces exigences croissent au fil des années, et il est très probable que dans les années qui viennent, la règlementation exigera aux groupes cotés non seulement de fournir des données sur leurs impacts environnementaux, mais également d'acquérir une maitrise de ces impacts et d'accomplir des objectifs chiffrés en termes de réduction de ces impacts. C'est déjà le cas dans quelques domaines restreints, mais il est clair que l'historique des impacts n'est pas encore assez riche pour pouvoir définir les objectifs avec précision. Nous sommes encore en phase d'observation. La taxe carbone représente à l'heure actuelle la principale obligation légale poussant les entreprises à travailler sur les réductions de leurs impacts et représente à la fois un challenge environnemental et économique. Il en sera de même pour les autres exigences environnementales de la part des parties prenantes, dans la mesure où les efforts en matière d'environnement seront également bénéfiques sur d'autres aspects.

D'autre part, ce qui ressort de l'étude terrain, c'est que les entreprises prennent déjà des décisions de gestion basées sur des critères environnementaux,

mais il se trouve que ces décisions ne sont pour le moment pas pilotées via des outils de gestion dans bien des cas. D'ici à ce qu'un système de pilotage plus normalisé se mette en place, il n'y a qu'un pas. Dans le cadre de prestations sur mesure ou de gestion de projets, certains groupes proposent déjà à leurs clients différentes alternatives pour un même projet qui implique des impacts environnementaux différents. Pour cela, elles mettent en place des outils précis mais ne pilotent pas directement dans le mesure ou le choix est pris par un acteur externe.

Si les outils de gestion environnementaux ne sont pas encore des outils de pilotage, leur mise en place est actuellement une tendance globale et il ne serait pas surprenant de voir d'ici quelques années des outils de pilotage opérationnels qui commenceront à se généraliser.

b) Les bilans carbone et les éco bilans: des outils de diagnostic avant tout

Mis en place depuis 2003 et adapté au fil des années, le bilan carbone est un outil que l'ADEME tente de généraliser et d'adapter à tout type d'entreprises. Il s'agit par l'intermédiaire de cet outil d'analyser les principales activités de l'entreprise et de les traduire en une quantité équivalente d'émissions de carbone.

Il s'agit là véritablement d'un outil de diagnostic: il permet de dresser un bilan de l'entreprise en termes d'émissions et a vocation d'orienter les décisions stratégiques quand aux moyens mis en place pour les réduire.

Comme l'écobilan et l'analyse du cycle de vie, le bilan carbone est une démarche lourde à mettre en place et qui ne peut être répétée fréquemment. Ces trois outils répondent bien à la définition d'outil de diagnostic de H. BOUQUIN qui les définit comme des outils servant à "donner une image de la trajectoire de l'entreprise d'un point de vue externe". L'outil de diagnostic est ponctuel mais précis. Il a également vocation à être global, et c'est effectivement le cas du bilan carbone qui s'intéresse à l'ensemble de l'activité de l'entreprise. On retrouve la notion de point de vue externe dans le fait que ces outils soient élaborés ou validés par des organismes à vocation neutre (comme l'ADEME, par exemple) et donc relativement normalisés.

La notion d'image traduit le caractère ponctuel de la démarche. Les outils tels que le bilan carbone ou l'ACV donnent effectivement une image statique, prise à un instant t.

c) Une nouvelle logique à intégrer dans le processus de gestion

La principale raison pour laquelle les données financières sont encore très peu présentes dans la mesure de l'impact environnemental est qu'il est très difficile de trouver une équivalence entre deux logiques qui se retrouvent confrontées pour la première fois: la logique environnementale et la logique économique. Comme l'illustrent Pierre BARRET et Benjamin DREVETON (2006), l'évaluation des impacts environnementaux est aujourd'hui très imprécise et approximative.

Il est pour le moment difficile d'intégrer réellement une logique environnementale dans le processus de décision classique qui implique une multitude de paramètres mais dans lequel on a historiquement tendance à beaucoup s'appuyer sur les arguments financiers. Cependant, cette tendance est actuellement en train d'évoluer: de plus en plus, les entreprises mettent en avant des arguments d'ordre environnemental pour justifier leurs décisions, et cette démarche bénéficie de plus en plus de l'appui des parties prenantes au fur et à mesure que les mentalités évoluent.

Il n'en est pas moins nécessaire à ce jour de faire un lien entre les politiques économiques et environnementales des entreprises, pour que des arguments d'ordre financier puissent appuyer les décisions environnementales.

Un exemple de ce qui est développé précédemment: le système de la taxe carbone et des émissions de droits à polluer mis en place via le protocole de Kyoto. Il s'agit le d'une passerelle simple et directe entre la logique financière et environnementale: une émission équivaut à un cout. Réduire ses émissions permet donc également de performer en termes économiques. Cette mesure incite les entreprises à fournir des efforts en termes d'environnement, mais elle les oriente également en les incitant à agir en priorité sur les gaz à effet de serre.

2. Vers la mise en place d'une compta-carbone?

a) Des priorités à prendre en compte

La recherche d'une unité commune est très importante: dans une logique purement financière, l'unité monétaire sert d'étalon de référence et rend possible calculs, comparaisons, agrégations et facilité la tâche des outils de pilotage. Dans un contexte d'impacts environnementaux ou les données sont exprimées dans une multitude d'unités différentes, il devient beaucoup plus complexe de construire des outils de pilotage. Comment en effet interagir sur un tas d'indicateurs qui n'ont, à priori rien à voir les une avec les autres? Il faut bien évidement fixer des priorités.

La solution émane peut être du contexte géopolitique du moment. Deux préoccupations d'ordre à la fois écologique et économique prédominent l'actualité: le réchauffement climatique et l'épuisement des ressources énergétiques à base de carbone. Le rejet de CO2 fait le lien entre ces deux problématiques car le CO2 est le principal gaz à effet de serre émis par l'activité humaine et qu'il implique en amont, une consommation de ressources carbonées. Le protocole de Kyoto pose un cadre légal à cette problématique prioritaire et pousse les sociétés à se préoccuper de façon prioritaire de leurs émissions.

b) Une généralisation de l'outil possible

La notion de comptabilité carbone sous-entend deux choses:

- D'une part que l'intégralité des impacts environnementaux mesurable puisse être convertie en rejets de CO2 équivalents, ce qui permettrait d'utiliser cette unité de mesure sur l'étendue de toute une activité d'entreprise. Cette équivalence convertirait tous les processus, les quantités de matière utilisées ou les rejets en une seule unité et permettrait de comparer des impacts environnementaux jusque la incomparables. Ces équivalences se heurtent néanmoins à certaines limites: la pertinence des conversions et la non possibilité de convertir certains impacts. Comment, par exemple, considérer les activités d'une centrale nucléaire, très performante sur le plan du CO2 mais dont les déchets restent radioactifs durant plusieurs millions d'années? Qu'en est il des autres formes de pollution?

- D'autre part que ce système ne soit plus seulement utilisé dans le cadre d'un diagnostic environnemental, mais également de manière plus régulière dans la gestion au quotidien de l'entreprise. Il devra donc être intégré dans les systèmes de pilotage, les tableaux de bord et les autres outils qui accompagneront cette gestion.

Si ces deux conditions sont réunies, il sera possible de chiffrer tous les impacts environnementaux dans une unité commune, et ainsi de mieux pouvoir les traiter et les comparer, comme il est possible de le faire aujourd'hui avec les recettes et les coûts des différentes activités. Par extension, il sera plus simple d'établir une équivalence entre les unités financières et celles qui permettent de chiffrer es impacts environnementaux pour mieux allier logique financière et logique environnementale.

Beaucoup de "si" et de suppositions finalement nous séparent de cette hypothétique évolution des stratégies environnementales, mais si cette évolution peut être évoquée avec tant de pertinence, c'est bel et bien grâce aux observations du terrain qui la confortent en tous points.

VI. Apports et limites de la recherche

1. Un point de vue plus clair sur la littérature étudiée

a) J. DESMAZES et J-P. LAFONTAINE: un point de vue partagé

Les deux auteurs ont publié en 2005 un article de recherche intitulé « L'assimilation des budgets environnementaux et du tableau de bord vert par les entreprises », article que j'ai cité à plusieurs reprises lors de l'étude théorique. Ils y démontrent par une étude terrain que les entreprises ont tendance à mieux assimiler les tableaux de bord "verts" que les budgets environnementaux.

Ces résultats se sont confirmés sur le terrain: les entreprises ont en effet plus de facilités à mettre en place des tableaux de bord dédiés aux performances environnementales, qui sont alimentés par des données physiques et répondent donc à une logique tout à fait nouvelle, que des budgets environnementaux, spécialement destinés à l'amélioration des performances environnementales.

On voit bien ici le problème qui se pose d'un point de vue gestion: tant que la vision financière d'une activité restera complètement déconnectée de tout aspect environnemental (et vice versa), il sera difficile de prendre des décisions sur critères environnementaux et de piloter une activité via des tableaux de bord verts. Une intégration des problématiques environnementales sera d'autant plus facile si on crée des passerelles entre logique financière et développement durable. Une démarche dans laquelle la marge de progrès est encore énorme.

b) La prise en compte des normes environnementales par les grands groupes (O. BOIRAL, M. ESSID)

Ces deux auteurs, largement présents dans les ressources bibliographiques qui alimentent la partie théorique du mémoire, traitent des nouvelles formes de management qui se mettent en place dans les entreprises. Ces normes, dont la plus généralisée est la norme ISO 14001, incitent les sociétés à prendre en considération de nouveaux enjeux jusque là peu considérés.

Sur le terrain, j'ai effectivement pu observer une grande influence des normes sur les décisions managériales concernant les outils. A ce jour, les grands groupes fournissent beaucoup d'éfforts pour se faire certifier et appliquer des systèmes de management environnemental à la plus grande partie de leurs activités. Ces efforts sont également très influencés par les obligations règlementaires telles que la loi sur les nouvelles réglementations économiques (loi NRE).

On entend beaucoup dire "l'outil, c'est la règlementation", ce qui sous entend que les acteurs économiques accordent à la règlementation le rôle de choisir sur quels impacts agir en priorité. Ce schéma est celui d'une stratégie réactive, telle que la définit M. ESSID dans son travail de recherche.

Mais se plier à la règlementation ne suffit pas toujours, et certaines sociétés l'ont bien compris en essayant d'aller plus loin en la matière. En anticipant les évolutions futures en termes d'exigence des parties prenantes, ces entreprises cherchent à obtenir une sorte d'avantage concurrentiel sur les autres. Il s'agit

également de gagner du temps pour s'adapter aux mutations à venir dans le paysage économique.

2. Regard sur une démarche en pleine évolution

Une tendance a été repérée chez quasiment tous les interlocuteurs rencontrés: en répondant aux questions, ils parlent du présent mais se projettent également beaucoup dans l'avenir. On sent que beaucoup de choses sur le plan environnemental sont en phase de construction, en phase de test, voire en projet. La problématique environnementale se révèle être en quelque sorte un moteur de dynamisme et d'innovation pour les entreprises.

"Il faut rester humble. On ne peut être sûr que les logiques dominantes aujourd'hui seront aussi pertinentes dans quelques années." Cette pensée à été évoquée au cours d'un échange et illustre très bien un contexte particulièrement incertain dans lequel les entreprises sont aujourd'hui plongées. Les démarches environnementales sont censées fournir les réponses à des problèmes urgents, de grande ampleur et qui étaient complètement absents de la logique économique il y a seulement quelques années de cela.

Comme nous avons pu le voir dans la partie précédente, la prise en compte de l'impact environnemental passe par différentes phases. Beaucoup d'entreprises établissent aujourd'hui des diagnostics et des suivis de leurs impacts, ce qui a été accompagné par un développement d'outils adéquats. On s'attend donc à une évolution des outils de suivi et à une mise en place plus généralisée d'outils de décision basées sur les performances environnementales des entreprises.

3. Les principales limites

a) Limites liées au sujet d'étude

Les outils de gestion environnementaux constituent un sujet relativement récent, portant sur des notions nouvelles aussi bien pour un chercheur effectuant un travail académique que pour les acteurs économiques eux-mêmes qui travaillent avec ces outils. Il n'est donc pas anodin de se trouver face à des résultats incertains et qui manquent d'observations historiques sur le terrain.

b) Limites du terrain de recherche

La démarche terrain entreprise dans le cadre de ce mémoire est très orientée qualitatif, c'est à dire que toutes les problématiques sont traitées de la manière la plus exhaustive possible. Cette démarche pose toutefois des limites au niveau de la taille de l'échantillon étudié. Un nombre d'interlocuteurs réduit rend moins certain le test des hypothèses. Pour être proche de la certitude, il faudrait compléter l'étude par une phase quantitative, portant sur un plus grand nombre d'interlocuteurs et constituée par des questions fermées.

Encore une fois, étant donné la spécificité du public considéré comme "idéal", le nombre de ceux ci est limité, et il est donc compliqué de mener une étude quantitative sur ce terrain, contrairement, par exemple, à une étude portant la grande consommation, pour laquelle il est relativement aisé de trouver un grand nombre de répondants.

Afin de palier à cette difficulté, des études statistiques réalisées sur les entreprises sont donc des documents utiles à la recherche.

c) Principaux biais cognitifs lors des entretiens

Lors de la conduite d'un entretien, il est fréquent de se heurter à des biais cognitifs, qui peuvent remettre en cause l'objectivité des données récoltées.

L'un d'eux réside dans la manière de poser les questions, qui peut inconsciemment orienter la réponse de manière à obtenir exactement ce que l'on cherche.

Un autre biais peut survenir de la manière dont les interlocuteurs interprètent les concepts principaux du travail de recherche. Il est donc nécessaire, avant chaque entretien, de définir ces concepts tels qu'on les a définis dans le cadre de la phase théorique du mémoire.

Ces biais sont souvent difficiles à éviter en entretien, mais en les recensant et en y accordant une attention particulière lors du traitement des données, il est possible de minimiser leur incidence sur l'étude.

d) Savoir prendre du recul et garder son objectivité

Lors de la conduite de l'étude terrain, le "chercheur" (car c'est la position qu'on adopte alors) est plongé dans le vif du sujet beaucoup plus qu'il ne l'est au cours de l'étude théorique. Cela peut paraitre évident, mais il convient néanmoins de préciser que pour mener une étude de manière objective et pertinente, il est nécessaire de prendre du recul lors de la rédaction pour ne pas dévier du sujet. Le point le plus délicat réside sans doute de l'influence que les opinions personnelles du chercheur peuvent avoir sur la manière de rendre par écrit les résultats. Il est évident que l'aspect humain est (heureusement) omniprésent dans tout type de travail, mais je tiens à préciser qu'un effort particulier à été fourni pour rendre ce travail le plus objectif et pertinent possible.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon