Chapitre 3- Chemins de fer et tourisme
Les chemins de fer, outre leur dimension industrielle,
possèdent très vite une dimension touristique.
Ainsi F. Caron affirme : « les chemins de fer furent construits pour
satisfaire l'aspiration au voyage que le romantisme avait fait naître.
Mais leur essor accéléra le processus de transformation,
déjà largement entamé, du voyage romantique en voyage
touristique »55. Effectivement, toutes les créations de
lignes ne s'expliquent pas par des besoins de transporter des biens industriels
ou agricoles. La ligne Paris- Saint-Germain, ouverte en 1838, constitue la
première
« promenade ferroviaire » des Parisiens. Quant à
la ligne Bordeaux- La Teste (puis Arcachon), elle ouvre aux Bordelais un
accès rapide à la « balnéation atlantique
»56.
Les grandes compagnies comprennent rapidement tout
l'intérêt qu'elles peuvent tirer du tourisme : si elles «
n'ont pas inventé le voyage touristique, elles lui ont donné un
nouvel élan »57. Pour valoriser les atouts touristiques
dont elles disposent, sur leur territoire, elles proposent dès les
années 1840 les premiers billets d'excursion. A peine
plus tard, les premiers « trains de plaisir »
offrent un accès démocratisé au littoral58. Le
tourisme ferroviaire se diversifie : balnéaire, climatique, alpin ou
même de pèlerinage (Lourdes).
54 Lors de différents séjours en
Allemagne de l'Ouest au milieu des années 1980, l'auteur a
été frappé par le nombre de réseaux urbains ou
suburbains en service.
55 Caron (1997), p 598.
56 L'expression est d'Alain Corbin.
57 Caron (1997), p 599.
58 Pour des détails sur les « trains de
plaisir », voir Lamming (1989), p 105-112.
Les grandes compagnies ferroviaires rivalisent
d'ingéniosité pour créer des flux de touristes. Lorsque
que préexistent des stations touristiques, l'enjeu consiste à les
relier au réseau ferré car la présence ou
l'absence de liaison ferroviaire pèse lourd dans l'essor des
villégiatures. Ainsi Christophe Bouneau relève que
« l'antériorité et la commodité de la desserte de
Bagnères-de-Bigorre constituèrent, pour cette station, un
avantage décisif par rapport à ses rivales »59.
Une fois arrivé sur place, le touriste doit pouvoir se déplacer
aisément. Il faut donc construire des « petits
trains », dont certains fonctionnent
même à l'électricité (quelle modernité !)
afin que nos touristes puissent accéder au moindre effort aux grands
sites 60.
Non content de mailler les zones touristiques de réseaux
secondaires (dont elles sont parfois, au moins en partie, actionnaires), les
grandes compagnies construisent des hôtels à la pointe de la
technologie de l'époque (eau courante, gaz,
électricité)61, et divers établissements
(restaurants, casinos...). Car nos stations touristiques se veulent tout
à la fois « vitrines mondaines » et
« vitrines technologiques ».
Plus fort encore, sous l'impulsion des compagnies, des
villes modernes (pour l'époque !) sortent de terre. Ainsi les
frères Pereire, de la Compagnie du Midi, lancent Arcachon, qui joue sur
deux tableaux : à la fois station balnéaire (l'été)
et climatique (l'hiver). Comme l'indique F. Caron : « Ce vaste projet
urbanistique s'inscrivait dans la stratégie globale de la Compagnie du
Midi »62.
Le tourisme se développe également à
une échelle internationale. Nous ne ferons que mentionner ici
les trains de luxe, utilisés par les plus fortunés pour rejoindre
leurs lieux de villégiature. L'Orient Express, inauguré par la
Compagnie des Wagons-lits63 du Belge NagelmacKers en constitue la
figure emblématique. La littérature ferroviaire abonde au sujet
de ces « grands trains » mais leur rapports avec nos « petits
trains » sont finalement assez ténus.
Pourquoi un tel « activisme » des compagnies
ferroviaires dans la promotion du tourisme ? Le transport ferroviaire «
sec » reste une activité difficilement rentable en
59 Cité par Caron (1997), p 601.
60 Nous reviendrons sur ces chemins de fer
touristiques d'accès aux grands sites, présents dans les zones
montagneuses, et qui constituent les ancêtres (parfois encore «
vivants ») des chemins de fer touristiques contemporains.
61 Exemple pour la compagnie du P.O et pour le
département du Cantal : un hôtel à Vic-sur-Cère et
un autre au Lioran.
62 Caron (1997), p 603.
63 Fondée en 1876, la Compagnie Internationale
des Wagons-lits ne tarde pas, elle aussi, à s'intéresser à
l'hôtellerie. Elle crée en 1894 la Compagnie des Grands
Hôtels, première chaîne hôtelière
internationale, « afin de pouvoir accueillir ses passagers dans des villes
terminus où, bien souvent, le plus élémentaire confort
fait défaut ». Voir Gasc (1994), p 26-27.
elle-même, par contre l'élargissement des
activités ferroviaires à l'hôtellerie, la restauration, la
promotion immobilière... constitue un véritable «
système touristique » bien plus lucratif
: non seulement les compagnies transportent davantage de passagers mais en plus
ces passagers restent « captifs » d'un ensemble ingénieux au
sein duquel ils consomment, quels que soient leurs moyens.
Ce système vit encore de nos jours. La SNCF possède
sa propre agence de voyages, Frantour. Et, nous verrons bientôt,
qu'à leur niveau, certes bien plus modeste, nos chemins de fer
touristiques essaient de développer buvette, ventes ambulantes,
boutiques de souvenirs... sur des clients eux aussi «captifs ».
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