Neuvième partie - Professionnels, ou
professionnalisation ?
Introduction - Associatifs contre
« professionnels », un faux
débat.
Nous parlerons de « professionnels » lorsqu'un chemin
de fer touristique est exploité par une société, une
société d'économie mixte, une régie, ou par un
indépendant. Nous parlerons d'« associatifs » dans le cas
d'une exploitation par une association279. Force est de constater
qu'il existe un lien assez net entre la fréquentation et le mode
d'exploitation, ainsi que le met en évidence le tableau
ci-dessous.
Tableau 14 : fréquentation et type
d'exploitation
Nombre de passagers par an
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Mode d'exploitation dominant des chemins de fer
touristiques
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Plus de 90.000
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Société délégataire de service
public
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50.000 à 90.000
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Société (hors investissements)
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30.000 à 50.000
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Associations de bénévoles minoritaires
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Moins de 30.000
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Associations de bénévoles majoritaires
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Source : Jean-Michel GASC, FACS-UNECTO.
Les seize chemins de fer touristiques dont la
fréquentation est au moins égale à 30.000
(autrement dit ceux dans lesquels les structures associatives sont minoritaires
ou absentes) représentent pratiquement 90% de la fréquentation
des 51 « petits trains » de
l'ensemble « E2
»280.
Mais est-ce la fréquentation qui détermine
le mode d'exploitation (hypothèse 1) ou bien le mode d'exploitation qui
détermine la fréquentation (hypothèse 2) ?
279 Association Loi de 1901, sauf en Alsace-Lorraine (Association
Loi de 1907).
280 Voir Annexe 1, tableau « les chemins de fer
touristiques le plus fréquentés ».
Raisonnons dans le cadre de l'hypothèse 1 : les
chemins de fer touristiques à forte fréquentation sont en
général des chemins de fer touristiques bien installés,
depuis un temps relativement long, dans des lieux où les flux
touristiques sont importants (accès aux grands sites notamment). Ces
aspects plaideraient en faveur d'une exploitation par une structure
professionnelle, du fait de la possibilité de dégager un minimum
de rentabilité. Autrement dit, la promesse d'un flux touristique soutenu
attirerait les professionnels, par un processus d'« écrémage
» du marché. On aurait ainsi un lien de cause à
effet entre fréquentation et mode d'exploitation.
Si nous partons sur l'hypothèse 2 : peut-on
imaginer qu'une exploitation par des professionnels attire les touristes et
fasse en conséquence augmenter le chiffre de fréquentation ?
Considérons les éléments suivants281 : les
structures
professionnelles consacrent environ 15% de leur chiffre
d'affaires à la promotion. Au contraire, pour les structures
associatives, ce pourcentage tombe à 1 ou 2 %. En ce qui
concerne le chiffre d'affaires , l'écart est déjà
énorme entre les différents
chemins de fer touristiques, disons un rapport de 1
à 10. Poursuivons avec un cas particulier : le Train à
Vapeur des Cévennes (CITEV), dont la forme juridique est celle d'une
S.A.S (Société par Actions Simplifiée), accueille environ
150.000 voyageurs par an, avec une moyenne de dépenses de 9 € par
voyageur. Cela nous donne un chiffre d'affaires annuel d'environ 1.350.000
€. 15% de cette somme représentent un budget de promotion
de quelque 200.000 € annuels (quand même
!). A côté, imaginons une exploitation associative
générant 10.000 voyageurs annuels (ce qui n'est
déjà pas si mal), avec toujours la moyenne de 9 € par
voyageur. Son chiffre d'affaires annuel s'élève à 90.000
€. 2% de cette somme, consacrés à la promotion,
représentent 1.800 €. A comparer avec les 200.000 € du Train
à Vapeur des Cévennes. En gros, le rapport entre les
dépenses de promotion est de 1 à 100 ! On imagine
aisément l'effet redoutable de tels écarts sur l'attraction des
touristes, sur la présence dans les réseaux de prescripteurs
(voyagistes, autocaristes), et finalement sur la fréquentation.
Nos deux hypothèses semblent se tenir. Mais faut-il
nécessairement opposer les associatifs, et les « professionnels
» en laissant entendre que systématiquement les niveaux d'exigence
diffèrent? Nous répondons par la négative. Certes, d'un
côté, l'exploitation par des associatifs vise l'équilibre
financier, tandis que de l'autre côté l'exploitation par des
professionnels entend générer des bénéfices
(à quelques exceptions près). On peut en déduire que le
niveau d'exigence diffère. Or :
-il existe des associations gérées de
manière aussi pointue que s'il s'agissait de professionnels. En revanche
d'autres associations, par la force des choses de plus en plus rares,
réalisent du travail d'amateur, au sens péjoratif du terme
281 Infos J-M. Gasc, FACS-UNECTO.
-il existe aussi des chemins de fer touristiques qui choisissent
de conserver une structure associative : c'est une question d'ambiance de
travail, de plaisir de travailler ensemble entre passionnés
-enfin certains chemins de fer touristiques
gérés par des professionnels travaillent en bonne intelligence
avec des associatifs282. Nous montreraient-ils une
direction à suivre ?
A notre avis, au final, les modes d'exploitation importent
relativement peu. Ce sont les hommes qui comptent. Aussi, la vraie question est
peut-être ailleurs : c'est celle de la professionnalisation des
chemins de fer touristiques, au sens de la professionnalisation de
l'ensemble des intervenants, techniques ou commerciaux. Dans un cadre où
le nombre de visiteurs reste relativement stable (progression de moins de 10 %
en 15 ans), où les structures se multiplient, où l'offre
touristique reste globalement supérieure à la demande, où
nos édiles ne veulent (ni ne peuvent) financer tout et n'importe quoi,
cet enjeu revêt une importance cruciale.
Chapitre 1 - Les «grands d»«es petits
trains »
Nous avons évoqué les « professionnels ».
Il est temps de faire rapidement connaissance avec les plus
emblématiques d'entre eux.
La Compagnie du Mont-Blanc exploite les
systèmes alpins d'accès aux grands sites touristiques (Train du
Montenvers - Mer de Glace, Tramway du Mont-Blanc,), les remontées
mécaniques du domaine sKiable chamoniard ainsi que des activités
de restauration. Elle agit en tant que délégataire de service
public. Elle est cotée en bourse283. Près de 800.000
touristes empruntent annuellement ses deux trains, soit le tiers de l'ensemble
de tous les visiteurs des chemins de fer touristiques. A noter toutefois, par
rapport à 1991, un net déclin de la fréquentation de ses
trains.
La CFTA (Chemins de Fer et Transports
Automobiles), jadis nommée Société des Chemins de
Fer Economiques, a été fondée au 1 9ème
siècle. Elle est une filiale de Veolia Environnement,
un des géants du secteur des « public utilities » (services
publics). Sous la marque commerciale Veolia Transport Trains
Touristiques, elle exploite les chemins de fer touristiques suivants:
Petit Train de La Rhune (Pyrénées Atlantiques), Chemin de Fer de
la Mure (Isère), Vapeur du Trieux (Côtes d'Armor),
282 Par exemple : le Chemin de Fer du Vivarais (CFV)
et l'Association de Soutien au Chemin de fer du Vivarais. Ce type de
fonctionnement (exploitant et association en symbiose) a fait ses preuves dans
les pays anglo-saxons.
283 Compagnie du Mont-Blanc, cotée au
Marché Libre (code : MLCMB), elle-même filiale à 23% de la
Compagnie des Alpes, cotée au Compartiment B (code : CDA)
Train des Mouettes (Charente-Maritime). Ses trains accueillent
environ 450.000 voyageurs chaque année, en forte augmentation par
rapport à 1991. On remarque en termes de fréquentation
l'excellente tenue du Petit Train de la Rhune (deuxième de France) ainsi
que du Chemin de Fer de la Mure.
Créée en 1990, Altiservice,
filiale à 100% de la Lyonnaise des Eaux (Groupe Suez), est le leader de
la gestion des domaines sKiables pyrénéens. De par son
exploitation du Petit Train d'Artouste sous le régime de la
délégation de service public, Altiservice représente
quelque 140.000 visiteurs annuels.
Mais le phénomène peut-être le plus
fascinant des chemins de fer touristiques reste la CITEV,
exploitante du « Train à Vapeur des
Cévennes ». Elle constitue, de par son
histoire et son développement, la preuve qu'un chemin de fer touristique
au départ associatif peut se développer jusqu'à devenir
une véritable PME. 150.000 voyageurs empruntent annuellement sa ligne
Anduze- Saint-jean-du-Gard. L'évolution
juridique la CITEV nous semble significative : d'abord
association puis S.A.R.L ensuite S.A et enfin S.A.S.
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