Chapitre 3 - « Petits trains » et grandes
peurs
Chaque époque a ses peurs, parfois
justifiées, parfois imaginaires. La nôtre s'inquiète (entre
autres) d'une mondialisation incontrôlée, d'une dégradation
de l'environnement entraînant des changements climatiques majeurs, des
prouesses de la génétique... Même le réseau internet
paraît ambivalent : « la toile », n'est-elle pas aussi la toile
d'araignée sur laquelle l'internaute va se faire piéger ? Le
progrès nous semble parfois plus riche de menaces que
d'opportunités.
Il y a plus de cent ans, Camille Flammarion concluait son
volumineux ouvrage Astronomie populaire par un chapitre entier
consacré au « progrès par la science » (c'est son
titre) et les mots suivants : « [...] n'ayons désormais qu'une
seule et même devise : LE PROGRES PAR LA SCIENCE ! »274.
Un enthousiasme qui nous semble aujourd'hui déplacé.
272 Quelques exemples parmi beaucoup d'autres :
viaducs de Garabit et de Barajol (Cantal), Château d'eau du Lioran
(Cantal), gares de Valençay (Indre), de Bordeaux - Saint-Jean (Gironde),
Rotonde de Longueville (Seine-et-Marne).
273 Auphan (1999), p 268.
274 Flammarion C., Astronomie populaire, C.
Marpon et E. Flammarion, éditeurs, Paris, 1880. Réédition
de 1975, p 836.
Le patrimoine ferroviaire pourrait-il replacer le
progrès sous un jour plus sympathique ? C'est ce que pensentJ.
Ragon et J-P. Renaudet dans leur long article intitulé « Le
patrimoine ferroviaire : les voies de la réconciliation
»275. Ainsi :
« l'histoire du chemin de fer perçue par le prisme
patrimonial et son interprétation, contribuant à expliquer la
constitution du premier réseau mondial, est un facteur rassurant face
à l'angoisse de la mondialisation informatique, car il offre
informations et éléments autorisant une meilleure maîtrise
de cette évolution a priori incontrôlable. Elle valide la
continuité historique entre le réseau ferré et internet
»276. « Première mise en réseau
planétaire »277, le chemin de fer n'a pas produit les
cataclysmes prédits par ses détracteurs. Au contraire, il a
changé la vie de millions d'être humains. En nous
remémorant les trains d'autrefois, les chemins de fer touristiques
d'aujourd'hui nous offrent un voyage paisible dans un petit monde où le
progrès se montre sous un jour rassurant. Nous approchons ici du concept
des écomusées278. Mais l'écomusée, comme
le « petit train », peut être une saine réappropriation
du passé ou bien un refuge pour des groupes réfractaires au
changement. L'ambivalence demeure.
Conclusion - D«es
petits trains » plus grands qu'il n'y paraît
Le développement des chemins de fer touristiques peut
s'appuyer à la fois sur leur dimension patrimoniale, sur la sympathie
que dégage un moyen de découverte respectueux de l'environnement
ainsi que sur la réconciliation avec le progrès que nos «
petits trains » véhiculent. Tout cela s'avère compatible
avec la nostalgie des ferroviphiles. L'image écologique du transport par
rail se retrouve dans la réalité de chemins de fer touristiques
parfaitement intégrés dans l'environnement. La volonté de
sauvegarder les matériels anciens pousse les amateurs ferroviaires
à rechercher les précieuses aides qui, une fois obtenues,
autorisent la conservation des objets témoins de notre histoire
industrielle. Enfin, les « petits trains », de par l'image d'une
évolution technique maîtrisée qu'ils mettent en
scène, contribuent à replacer le progrès sous un jour
sympathique. Mais, pour que les chemins de fer touristiques donnent toute la
mesure de leur dimension culturelle, la nostalgie des amateurs de trains doit
éviter l'écueil du repli sur soi. Pour ce faire, nos «
ferrovipathes » doivent accepter bon gré, mal gré, un
minimum d'ouverture, de professionnalisation.
275 Ragon, Renaudet (1999), p 301-328. Les auteurs
relèvent également la racine commune existant d'une part entre
la cybernétique, régulateur à boule de machine
à vapeur, et d'autre part la cyberculture, le
cybermonde du réseau Internet.
276 Idem, p 301.
277 Ibid., p 302.
278 Plusieurs chemins de fer touristiques y sont
directement liés : les Chemins de fer Touristiques du Rhin (Haut-Rhin)
et des Landes de Gascogne (Landes).
Neuvième parti
Professionne/s, ou professionna/isation ?
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