Chapitre 2 - Le « milieu » des
passionnés.
Le « milieu » des passionnés compte
environ 30.000 adeptes en France140. Nous nous attarderons
quelques instants sur les grandes caractéristiques de ces ferroviphiles
de manière à apprécier le contexte humain dans lequel se
déroule le développement des chemins de fer touristiques. Que les
amateurs ferroviaires veuillent bien nous pardonner si nous avons de temps
à autre la dent un peu dure, mais la description qui suit s'applique
également (au moins en partie) à nous-même.
137 Nous excluons dans ce chiffre les circulations de
matériels préservés ainsi que les cyclo-draisines
138 Nous verrons par la suite que la plupart des
chemins de fer touristiques évoluent justement dans un cadre rural.
139 A l'exception regrettable du chemin de fer Luchon -
Superbagnères, fermé en 1966.
140 D'après Jean-Michel Gasc.
1- « Jouer au train » ?
Communément, l'amateur de chemins de fer commence par
jouer au train électrique dans sa tendre enfance, sous
l'oeil attendri de ses géniteurs. Au fil des années, quand le jeu
se prolonge, quand le matériel ferroviaire miniature s'amoncelle, quand
le réseau étend dangereusement ses emprises jusqu'à «
squatter » une pièce
entière, le regard des parents s'empreint
d'inquiétude : « à son âge, il n'a rien de mieux
à faire ?»
Soit, sous l'effet de phénomènes exogènes,
essentiellement féminins, tout rentre dans l'ordre ; soit la passion
perdure (l'un n'étant pas forcément incompatible avec l'autre).
On commence à s'abonner à des revues ferroviaires, à
fréquenter des clubs de modélistes, à envisager d'entrer
à la SNCF, ou à rêver de s'occuper d'un « vrai »
train (entendez : un train dans lequel on peut monter). Ce « vrai »
train, on peut quand on est grand le monter chez soi, dans son jardin (cas le
moins fréquent) ou le trouver en tant que bénévole dans le
chemin de fer touristique d'à côté. On peut ainsi partager
son temps, son talent et sa passion dans une atmosphère souvent
conviviale.
Précisons-le afin de lever les éventuels
malentendus qui pourraient résulter d'une lecture au premier
degré de l'expression « jouer au train » : du fait de la
réglementation, des contraintes d'exploitation et d'entretien, des
sommes à engager, s'occuper aujourd'hui d'un train touristique
ouvert au public reste un plaisir pour les passionnés,
mais cela n'a plus rien d'un jeu ! Certains d'amateurs
chevronnés n'ont plus d'amateur que le nom.
2- Un « milieu » ouvert ?
Nombre de griefs sont faits aux « ferrovipathes ».
D'aucuns dénoncent leur caractère de «
collectionneur hamster ». Autrement dit, une incroyable
capacité à emmagasiner différents objets ferroviaires de
bric et de broc, collectionnés au hasard des trouvailles. Ce trait un
peu méchant a cependant quelque justesse. Le plaisir du collectionneur
peut se métamorphoser côté visiteur en malaise. Malaise de
ne rien comprendre à des collections exposées
pêle-mêle, sans esprit didactique. Autre grief, leur souci
exagéré de reproduire à l'identique, hérité
du modélisme ferroviaire (le train électrique). Un souci
qui s'oppose dans certains cas à l'éclosion d'un minimum de
créativité.
Enfin, on lit parfois des critiques en des termes plus durs :
« Les 'talibans du rail' sévissent encore,
apportant leur lot de difficultés dans le tourisme ferroviaire naissant
et ralentissant le professionnalisme indispensable qui comprend certaines
exigences »141. Que l'on soit simple visiteur, élu,
représentant des pouvoirs publics ou bien professionnel du tourisme, il
peut s'avérer délicat de créer des liens constructifs avec
des interlocuteurs dans « une phase velléitaire de valorisation
touristique de la voie ferrée par l'intermédiaire d'une
association d'amateurs de chemin de fer »142.
A la décharge des amateurs de trains, il faut
reconnaître que leur passion se porte sur un domaine qui
possède une forte technicité : le ferroviaire. Que l'on
s'adresse à un large public, aux élus, aux pouvoirs publics, aux
professionnels du tourisme, il faut vouloir et savoir vulgariser sans
dénaturer. Et éviter de culpabiliser involontairement
l'interlocuteur parce qu'il ne sait pas ou ne comprend pas. C'est la
rançon à payer pour qu'un vrai dialogue s'instaure.
Dans le « milieu » des amateurs, des voix
s'élèvent régulièrement pour proclamer
qu'une ouverture est nécessaire, qu'il ne faut pas
rebuter les personnes qui montrent un intérêt vis-à-vis du
chemin de fer, que les bonnes volontés d'aujourd'hui seront
(peut-être) les vocations de demain. Il faut du sang neuf pour que le
mouvement perdure. En effet, le temps érode le bénévolat.
Les choses évoluent dans le bon sens. Des publications comme Voie
Etroite ou Chemins de Fer régionaux et tramways regorgent
d'articles réalisés par les adhérents d'associations,
articles qui se terminent invariablement par un appel aux bonnes
volontés, en leur promettant un accueil chaleureux. Avec les
pouvoirs publics, les élus, les professionnels du tourisme, les
relations s'améliorent.
Alors, ouvert ou fermé, ce « milieu » des
amateurs ferroviaires ? Quelle que soit la réponse, il nous faut leur
rendre justice : sans ces amateurs ferroviaires enthousiastes, « il ne
resterait [...] pas grand-chose de l'ère de la vapeur, si ce n'est dans
quelques rares musées publics, où le matériel est
d'ailleurs généralement présenté de manière
statique »143. Car le mouvement ferroviphile constitue
le terreau humain sur lequel les chemins de fer touristiques français
ont pu éclore et se développer.
141 Ragon, Renaudet (1999), p 310. C'est nous qui
soulignons.
142 Gasc (1995), p 23.
143 Garratt (2003), p 58.
|