Le management des ressources humaines dans les radios privées, cas de RadioTiemeni Siantou( Télécharger le fichier original )par Crescence Irene Mbezele Universite de Yaounde II - Licence en communication,option journalisme 2005 |
INTRODUCTION GENERALEIl est traditionnel de dire qu'une révolution est un changement radical. Dans le secteur audiovisuel camerounais, elle est annoncée par la loi n°90/052 du 19 décembre 1990 portant sur la liberté de la communication sociale et dont l'article 36 énonce que « sous réserve des textes relatifs à la radioélectricité privée, la communication audiovisuelle est libre». Lorsque le décret n°2000 /158 relatif aux conditions de création et d'exploitation des entreprises privées de communication audiovisuelle est signé le 03 avril 2000, notre pays vit un véritable chambardement médiatique. L'image peut paraître forte ; elle n'est cependant pas loin de la réalité. Car ce texte d'application vient mettre un terme au monopole plus que cinquantenaire de l'Etat sur le secteur de l'audiovisuel, la Cameroon Radio and Television (CRTV) et ses démembrements trônant seuls jusque-là. Toutefois, il reste aussi vrai qu'avant cette date cruciale, quatre radios locales avaient déjà ouvert leurs portes. Le samedi 18 octobre 1997, c'est la radio Reine logée sur la 103.7 qui prend la tête de file. On apprend ce jour là au journal parlé du poste national de la CRTV qu'elle a commencé à émettre des hauteurs du mont Mbankolo à Yaoundé. L'abbé Jean Marie Bodo son promoteur en fait une radio confessionnelle qui prend en relais les programmes de radio Notre Dame de Paris et de Radio Vatican de Rome. Radio Télévision Lumière entre en scène en décembre 1998. Elle est lancée sous le prétexte de servir de studio école aux étudiants en communication de l'Institut universitaire Joseph Ndi Samba et occupe la fréquence 91.9. Radio Bonne Nouvelle s'installe sur la fréquence 102.5 en avril 1999 sous l'impulsion de Michel Atana. Enfin, le 05 avril 1999, la Radio Télévision Siantou s'octroie la 90.5 sur la bande FM. Cette dernière est selon Lucien Wantou Siantou, le directeur de publication : dans une interview accordée à Nicole Scholastique Befe Owona, « un instrument didactique et pédagogique de formation professionnelle »1(*) pour les étudiants en communication de l'Institut Siantou supérieur. L'on assiste dès lors à un foisonnement inédit des radios dû à l'euphorie de la libération des ondes « dans l'indifférence des pouvoirs publics et parfois avec les encouragements de ceux-ci » comme le rappelle Michel Tjadè Eonè2(*) .
Dans la foulée, Radio Venus de Lucien Mamba, Magic FM de Grégoire Mbida Ndzana, la Tome Broadcasting Corporation de Bosco Tchoubet, Sky FM de Joseph Angoula, Satellite FM de Jean Pierre Amougou Belinga ...inondent le paysage radiophonique de Yaoundé. Ce qui jusque-là était considéré comme l'enthousiasme d'une caste d'amateurs passionnés de nouvelles technologies, va s'avérer être un phénomène de mode. Il suffit d'acquérir un émetteur et quelques techniciens, pour se mettre sur les ondes. C'est une véritable « dérive vers l'anarchie audiovisuelle »3(*) qui se vit. Radio Venus, à titre d'exemple, émettra ainsi d'un immeuble en chantier au quartier Mokolo pendant plusieurs mois. Au 21 juillet 2004, la division des technologies de la communication du ministère de la communication, recense vingt trois radios émettant en FM sur l'ensemble du territoire national et ayant obtenu une autorisation de fait (les licences d'exploitation n'étant toujours pas disponibles). Passée l'euphorie de l'ouverture des ondes, la nécessité d'une gestion au quotidien de la radio et surtout des hommes qui en sont les acteurs, commence à se poser avec acuité. Les promoteurs ont tôt fait de s'équiper en matériel ; occultant la ressource principale sans laquelle ledit équipement serait inusable. C'est ainsi que de nombreux débrayages et autres sons discordants commencent à se faire entendre des studios pour décrier la surexploitation dont sont victimes les personnels des radios privées. Ceux-ci revendiquent un statut officiel d'employé ainsi que les avantages conséquents. Ce sont des avantages en terme de salaire, beaucoup parmi eux n'ayant jamais touché le moindre pécule pendant de longs mois d'interminables stages. De plus, il n'existe pas une classification chiffrée de leur temps de travail. I -INTERET DU SUJET 1)- Intérêt personnel En tant qu'élève journaliste, il est utile d'observer et comprendre les rouages de la gestion des personnels de radios privées susceptibles d'être nos employeurs à la fin de notre formation. Il est en outre nécessaire de connaître et maîtriser lesdits mécanismes parce que nous pourrions être appelé à diriger une radio ou tout autre média ou encore en être simplement le conseil.
2)- Intérêt professionnel Lorsque les radios privées se mettent en place il y a un peu plus de cinq ans, nul n'est sûr de leur longévité. Certes comme l'affirme Jean Kouchner « la plupart des radios locales se sont détournées des ambitions qu'elles affirmaient lors de leur création pour n'être plus aujourd'hui que des sortes de juke-box »4(*). Mais de plus en plus, elles sont acculées par leurs personnels et essayent tant bien que mal de valoriser les ressources humaines dont elles disposent. L'occasion nous est donnée dans ce travail de connaître les éléments participant à l'adoption de ces acteurs de l'ombre qui concourent souvent à l'essor ou au déclin des radios privées. Le management d'une radio privée est une expérience nouvelle et téméraire qui dénote d'une évolution certaine des libertés au Cameroun. C'est là une sorte d'obligation morale, qui impose à l'élève journaliste que nous sommes de s'interroger sur le sort de ses personnels. 3)-Intérêt scientifique La difficulté dans cet exercice est d'identifier toutes les contraintes liées au management des personnels de la R.T.S. Notre étude va nous permettre de comprendre qu'elle est loin d'être un univers clos. L'expérience tout comme la connaissance des réalités économiques montrent que toute entreprise, indifféremment du secteur, a chaque jour à supporter des pesanteurs qui usent les énergies et menacent les réputations. De plus, le domaine de la gestion des ressources humaines est en émergence au Cameroun. Si l'on peut parcourir facilement des documents génériques sur la question, on ne retrouve actuellement pas de littérature spécifique aux ressources humaines dans les entreprises et autres organisations du monde des médias. C'est un domaine encore inexploré, un champ en friche qui mérite de faire l'objet d'une étude. 4)-Intérêt socio-économique L'harmonie sociale est tributaire de l'ordre dans les entreprises. Il n'existe pas de machines sans frictions et la presse audiovisuelle ne fait pas exception, au contraire. Seulement, ces frictions sont parfois plus bruyantes qu'ailleurs et peuvent entraîner davantage de troubles une fois portées à la connaissance du public. D'une gestion harmonieuse dépend le bon jugement du citoyen et l'agrément collectif. Nous ne sommes donc plus simplement dans une dimension marchande, mais sur le terrain parfois glissant de la sécurité sociale où les attentes sont fortes, les enjeux différents et nobles. L'on ne peut pardonner à aucun organe de presse des dérapages qu'on concéderait somme toute à une firme d'exploitation agricole. Au plan économique, la presse est une entreprise au même titre qu'une firme d'automobiles et doit par conséquent produire et générer des bénéfices. Les mouvements de fonds d'une entreprise de presse ont un impact sur l'économie nationale en terme de taxes d'imposition, de payement des salaires, d'achats de matériel de production... L'audience d'une radio contribue au relèvement du pouvoir d'achat, qui lui, accélère la consommation tout en favorisant la relance économique. De même, une faillite de l'entreprise de presse est synonyme de diminution des revenus qui conduit fatalement au chômage des personnels en augmentant ainsi les charges de l'Etat. II - RAISON DU CHOIX La libéralisation audiovisuelle a laissé entrevoir de sérieuses opportunités d'emploi dans la masse de chômeurs camerounais. Or, force est de constater qu'aujourd'hui cet emploi est incertain dans les radios privées. Nous avons voulu, compte tenu de la notoriété de la RadioTiemeni Siantou, nous attarder sur la condition de ses employés.
III- ETAT DES LIEUXLa première grève des personnels éclate en octobre 2001 à la Radio Tiemeni Siantou pour cause de « mauvais traitement salarial des journalistes et promiscuité »5(*). Celle-ci reste fermée pendant une semaine par les personnels mécontents. Ils exigent des recrutements conformément au code du travail en vigueur. Les employés bénévoles qui, au départ, avaient négocié des recrutements de gré à gré (pour diverses raisons parmi lesquelles un besoin de perfectionnement pour certains et une aspiration aux métiers de la communication pour d'autres) souhaitent maintenant être rémunérés pour leur prestation au regard des rentrées d'argent considérables que génèrent les annonces publicitaires (entre 2001 et 2003 la RTS caracole en tête des sondages d'opinions de Médiamétricam, une revue du CRETES)6(*). La négociation entre dirigeants et employés se solde par le licenciement des principaux meneurs pendant que le reste est maintenu, s'en sortant même avec une augmentation substantielle pour ceux qui bénéficiaient déjà d'une rétribution. Un an plus tard, un nouveau mouvement d'humeur point à l'horizon. Le chef de chaîne d'alors, J (Point) Remy Ngono, multiplie les frustrations et les angoisses en créant des disparités salariales, en affectant à un travailleur deux ou trois de ses collègues pour ne pas « être pris de court par un éventuel chantage du titulaire du poste » qui serait ainsi purement et simplement remplacé. Quelques employés vont profiter de cette situation pour démissionner. On observe de nombreux départs volontaires qui occasionnent une rotation des personnels entre les différentes radios et télévisions émergentes. Certains à l'instar de Cyrille Bojiko seront débauchés par la C.R.T.V, le media public national et d'autres iront faire le beau temps à Canal 2 International ; c'est le cas de l'ancien rédacteur en chef, Jean Claude Mvodo et Achille Assako. Radio Reine va pour sa part solliciter Didier Bapidi l'un des premiers journalistes de la RTS au poste de rédacteur en chef, Satellite FM va s'attacher les services d'Albert Ledoux Yondjeu. Deux journalistes, Jean Vincent Djenda Mondo et Sidonie Kafo iront se faire former dans des chaînes européennes.
La grève déjà tacite (les programmes étaient suspendus mais la radio diffusait la musique à longueur de journée), éclate finalement en fin septembre 2002 et cette fois, paralyse la RTS pendant plus de deux semaines. Après des consultations particulières initiées par M. Wantou Siantou, le noyau dur des meneurs constitué de six personnes est définitivement exclu de la maison. Mais celui-ci ne se laisse pas faire : il multiplie les pressions, porte le contentieux à l'inspection du travail, au ministère de la communication et bientôt engage une marche vers les services du premier ministre. M. Siantou cède et signe enfin les six premiers contrats de travail de la RTS. Les contractants sont Bouba Ngomna, Kenny Dex, Benjamin Yakana, Eric Ava, Julien Bétilené et Albert Ledoux Yondjeu. En 2003, il paraphe une nouvelle vague de contrats afin de régulariser ceux des personnels qu'il paye effectivement. En novembre 2004 encore, la situation manque à nouveau de dégénérer à la « radio des majors », mais le mouvement est étouffé dans l'oeuf, le patron ayant prestement réagi à sa promesse d'augmentation de salaire qui tardait à se faire jour. Si à la RTS, les grèves répétées connaissent un bon dénouement, ailleurs les employés sont souvent confrontés à des licenciements abusifs et sans appel, à des chantages, à des conditions de travail peu décentes et drastiques. Plusieurs cas de figure ont largement fait écho dans les médias. C'est le cas de Radio Reine où les travailleurs ont fini par élever la voix pour « mauvais traitements » en février 2002. Magic FM quant à elle a fermé ses installations entre février et mars de la même année au point d'amener son président d'alors, Daniel Noumgoué à annoncer dans un communiqué radiodiffusé, la mise en vente de neuf cent (900) actions de la radio afin de la recapitaliser et lui insuffler une nouvelle énergie. Plus récemment, en juin 2005, la tempête a secoué la Tome Broadcasting Corporation qui au finish s'est séparée des initiateurs.
* 1 Nicole Scholastique Befe Owona, Publics et images des supports médiatiques en situation de communication, FM 94, Radio Télévision Lumière, Radio Télévision Siantou, Radio Reine, ESSTIC, octobre 2000. * 2 Michel Tjadè Eonè, Démonopolisation, libéralisation et liberté de communication au Cameroun. Avancées et reculades, l'Harmattan, 2001, Paris, p. 25 * 3 Michel Tjadè Eonè, op. Cit. * 4 Jean Kouchner, Radio locale, mode d'emploi, CPPJ, 1994, Paris, p.18 * 5 La revendication principale de la première grève des personnels qui éclate en octobre 2001 à la RTS * 6 Centre de recherche et d'études en économie et sondages |
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