Nous aborderons successivement ces deux pendants, que sont
l'offre de formation initiale, et l'offre de formation continue.
I.2.1.2.1- L'offre de formation initiale (non
diplômante, en totalité)
A quelques rares exceptions près11,
celle-ci est l'apanage (relatif) d'un dispositif de formation public, dont les
premiers centres ont été créés à la suite de
l'école d'horticulture de Cambérène déjà
citée, au tout début des années 60.
10 On remarquera que cette appellation renvoie
à un grade de la Fonction Publique, plus qu'à un
diplôme.
11 Voir panorama de l'offre de formation agricole et
rurale (page suivante)
Il s'agit d'un dispositif (national) de modeste ampleur, qui
compte six Centres d'Initiation Horticole (CIH) aux configurations très
proches (3 formateurs en moyenne), répartis dans la moitié des
onze régions administratives que compte aujourd'hui le
Sénégal. (Dakar, Thiès, Saint- Louis, Diourbel, Kaolack et
Ziguinchor).
La nouvelle école d'horticulture de
Cambérène, et ses premiers produits formés, ont
constitué une opportunité pour doter en personnels formateurs les
CIH, qui furent imaginés par la tutelle de l'époque
(Ministère de la Promotion Humaine) comme une réponse à la
difficulté d'insertion des jeunes ruraux quittant précocement le
système scolaire (écueil du concours d'accès en
6ème). Il s'agissait donc de leur proposer d'acquérir une
capacité technique en maraîchage, aviculture, petit élevage
et en apiculture, dix mois durant.
Cette formation devait théoriquement permettre
à ces jeunes ruraux (de 16 à 24 ans) de retourner dans
l'exploitation familiale, pour y mettre en pratique les techniques «
modernes » apprises au centre et ainsi contribuer à la
modernisation progressive de ces exploitations, en améliorant la
productivité (jugée trop faible) et les techniques de production
(jugées archaïques) d'un paysannat généreusement
qualifié de traditionnel par les techniciens de l'Etat.
De 1965 à la fin des années 90, moins de 20
jeunes (âgés de 14 à 24 ans) ont été
formés annuellement dans chaque CIH, dont un cinquième environ a
pu poursuivre une formation diplômante (CAP) au Centre de Formation
Professionnelle de Cambérène.
Depuis qu'il a été mis fin au système
d'aides scolaires, au bénéfice des apprenants, les centres
peinent de plus en plus à recruter : certains ont mis un terme à
ce cycle standardisé, d'une durée de 9 mois et non
diplômant, depuis 1999, faute de candidats tandis que d'autres ont
abandonné les tests de sélection à l'entrée et
malgré cela doivent se contenter de promotions aux effectifs
réduits (de l'ordre de la douzaine). Une réflexion est en cours
avec la profession agricole, à l'initiative de la tutelle, pour adapter
le dispositif en place à la demande réelle, et lui permettre de
recouvrer une utilité sociale qu'il semble bien avoir perdu.
En parallèle du dispositif ci-dessus, peu attractif,
des initiatives éparses, localisées et non reliées entre
elles existent ou ont existé ; citons rapidement :
L'ONG CARITAS, dont l'installation
fait suite à la sécheresse des années 70. Elle a construit
plusieurs Centres de Formation Agricole, destinés à faciliter
l'insertion des jeunes ruraux en leur délivrant une formation à
temps plein (non diplômante mais gratuite) durant deux années, en
alternant théorie et pratique sur l'exploitation agricole
pédagogique du centre. Actuellement, seuls deux CFA perpétuent
cette formation, après avoir connu récemment plusieurs
années blanches en raison d'un désintérêt croissant
des jeunes ciblés12.
Un dispositif Maisons Familiales
Rurales, construit sur le modèle et avec l'aide de son
homologue français : une trentaine de MFR, certaines âgées
de près de 30 ans. A l'heure actuelle, la plupart sont en état de
léthargie, et toutes ont cessé depuis plusieurs années
d'offrir une formation de longue durée spécifiquement
destinée aux jeunes, leurs actions relevant davantage de
l'accompagnement des ruraux en activité.
12 Voir à ce sujet notre dossier
réalisé dans le cadre du module Systémique : «
étude comparée de deux centres de formation agricole de la
région de Kaolack » :
http://www.senswiss-far.org/part/bfpa/ter/Travaux_Boisseval_Faye_Malon.pdf
(*) : présent dans la vallée du fleuve
Sénégal
Des initiatives relevant du secteur
confessionnel (catholique), toutes isolées et sans
formalisation ; il s'agit d'apprendre à quelques jeunes les rudiments
pratiques de l'agriculture et de l'élevage, quelques mois durant ; il
est très difficile de trouver des données précises sur
l'encadrement en place, les effectifs ou les programmes éventuels
On le constate donc, le tableau d'ensemble est sombre et il
n'est pas exagéré d'affirmer que, si la formation initiale des
jeunes futurs agriculteurs s'est de tout temps cantonnée dans la
marginalité, elle a quasiment disparu du paysage aujourd'hui.
Dans un pays majoritairement rural, dont la moyenne
d'âge est de 15 ans et où la majorité des ruraux vivent
principalement ou accessoirement des activités agricoles et
d'élevage, force est de reconnaître que l'offre plurielle de
formation professionnelle agricole initiale n'attire pas les jeunes, ni
aujourd'hui, ni même hier !
Selon les données du Recensement National Agricole de
1999, il existait 450 000 exploitations agricoles au Sénégal ;
or, sur la base d'un renouvellement générationnel tous les 30
ans, nous en déduisons approximativement que ce sont environ 15 000
exploitations familiales qui changent de main annuellement.
Il est donc périlleux d'affirmer dans ces conditions
que la demande de formation (au moins potentielle) est inexistante ;
vraisemblablement, il semble s'agir plutôt d'un problème de
pertinence et/ou d'attractivité de l'offre de formation
proposée.
Ainsi, de ce postulat découle l'idée
simplificatrice qu'il suffirait de former des jeunes, plus réceptifs,
à l'utilisation de techniques importées et performantes, pour
progressivement doter le secteur agricole au sens large de ressources humaines
de qualité.
Avec le recul, on le sait désormais, c'était
aller un peu vite en besogne, en faisant totalement abstraction de
l'environnement global du secteur productif en milieu rural, et de ses
nombreuses contraintes qui rendent pour le moins hypothétique le
bénéfice attendu d'un simple transfert de technologie. Cependant,
cette logique correspondait à tout point de vue à celle des
tutelles successives du dispositif CIH ( Education nationale, puis Formation
Professionnelle, en enfin Agriculture depuis 1998 jusqu'en 2003), mais aussi
des autres acteurs (Maisons Familiales exceptées, nous y
reviendrons).
Dans les programmes de ces formations, le focus est mis
systématiquement sur la création d'un nouveau profil de
professionnel : le paysan moderne ! A aucun moment, l'enseignement mis en place
n'essaie de comprendre comment les paysans environnants pratiquent, ni quelles
sont les raisons qui les poussent à pratiquer de la sorte.
C'est en quelque sorte sur une négation
délibérée de la réalité quotidienne
environnante que se sont implantés dans le paysage rural ces centres de
formation professionnelle, avec pour principale conséquence que les
produits formés se sont retrouvés dans l'impossibilité
technique, financière mais aussi sociale de reproduire à leur
retour dans leur famille ce qu'ils avaient appris durant leur formation.
La distance certaine entre l'institution Education Nationale
et les problématiques de développement rural explique sans doute
en partie ce parti pris d'isolement, fondé sur la croyance que rien
d'intéressant ne pouvait être emprunté aux pratiques multi
séculaires d'un paysannat massivement analphabète.
Si elle l'explique en partie, elle n'explique cependant pas
tout ; en effet, la plupart des centres de formation agricoles (et leurs
programmes) a été largement inspirée par le modèle
de l'enseignement agricole français (LEGTA, CFPPA), qui a
participé directement à les façonner,
soit par des partenariats directs avec des lycées
agricoles, soit par le détachement d'enseignants français en
position de coopérants techniques.
Là encore, le mirage du transfert de savoirs et de
technologies, comme réponse unique et irrécusable aux
problèmes rencontrés par les agricultures du sud, n'a pas
facilité l'ancrage et l'adaptation de ces centres de formation dans leur
terroir.
La tentative d'implantation à l'identique du
système des Maisons Familiales Rurales Françaises
s'avérera également trompeuse : bien que s'attelant cette fois
à construire à partir de l'existant, pour l'améliorer, la
formation initiale en alternance sur le modèle français atteindra
vite ses limites (en raison principalement de son coût, mais pas
uniquement) avant d'être purement et simplement abandonnée.)
Ce dispositif se cherche actuellement un second souffle ;
c'est d'ailleurs en ce sens qu'il a demandé en 2006 l'appui du
dispositif MFR français, qui l'a répercuté au
Comité mixte Franco- Sénégalais pour le
développement du secteur agricole, qui s'est réuni en septembre
2006 à Gorée, sous la présidence de l'ancien directeur
général de l'Enseignement et de la Recherche du Ministère
français de l'agriculture, Monsieur Henri-hervé BICHAT.
I.2.1.2.2- L'offre de formation professionnelle continue
(professionnels en activité)
Cette offre est éminemment plurielle, mais au final
très peu diversifiée. Le secteur public est moins présent
que dans le domaine de la formation initiale : seuls subsistent aujourd'hui
deux Centres de Promotion Agricole, en quasi cessation d'activité.
Mis en place durant la période du Programme Agricole,
caractérisée par un fort interventionnisme de l'Etat dans les
années 70 (intrants, commercialisation, équipements et
subventions, encadrement) grâce à l'appui technique et financier
du Bureau International du Travail (BIT), ce dispositif qui comprenait
également des centres de formation d'artisans ruraux a vécu sous
perfusion, de façon relativement artificielle : les adultes en formation
étaient obligatoirement de jeunes couples, et la bourse accordée,
à laquelle s'ajoutait le fruit de leur travail pratique sur
l'exploitation « moderne » du centre de formation durant toute une
année, étaient censés leur permettre de s'installer
ensuite à leur compte, avec un capital de départ.
Mis à part ce cas anecdotique et peu reproductible en
l'absence de bailleurs de fonds, l'ensemble de la formation continue
proposée aux producteurs en activité est le fait d'ONG, de
consultants individuels et bureaux d'études, et de quelques (mais rares)
fédérations d'Organisations Professionnelles. Elle est de
très courte durée (un jour à une semaine) et revêt
un caractère très ponctuel, du fait de l'incertitude liée
aux canaux de financement, largement exogènes au milieu rural.
Autrement dit, l'élaboration rationnelle d'un plan de
formation se heurte en général (pour sa mise en oeuvre) à
la rareté ou l'imprévisibilité des bailleurs de fonds
intéressés. (les possibilités de contribution
pécuniaire des bénéficiaires directs permettant rarement
de dépasser 10 à 20 % du budget nécessaire).
Enfin, et bien que ce secteur de la formation fasse l'objet
d'une forte marchandisation, en raison de la forte compétition des
acteurs en présence sur l'offre, la qualité ne semble pas au
rendez-vous tant l'impact global apparaît manquer de
visibilité.
En conclusion, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer
que la plupart de ces établissements de formation professionnelle
s'adressent principalement voire exclusivement, au
marché du travail... salarié (pour la formation
initiale), ou à un public considéré comme captif car peu
solvable par lui-même (formation continue).
Or, le secteur agricole, et plus largement rural, se situe
très majoritairement dans le secteur informel, lequel valorise
plutôt mal le diplôme acquis. Pire, l'emploi dans le secteur
agricole est en réalité de l'auto emploi, dans plus de 90% des
cas, et la prise en compte du profil de chef d'entreprise (ou chef
d'exploitation) est totalement absente des référentiels et
programmes de formation en vigueur.
Il y a là matière à réflexion, au
niveau de la définition des politiques éducatives nationales,
d'autant plus que les singularités évoquées ci dessus pour
caractériser le secteur rural se trouvent être les mêmes
dans les secteurs secondaires et tertiaires (rappelons à nouveau les
données issues de l'étude de Pierre Debouvry d'octobre 2004,
basée sur les données officielles au plan macroéconomique,
qui font état d'un secteur formel national ne représentant que 8%
de l'emploi et auto-emploi, secteurs public et privé confondus).