I- PREMIERE PARTIE - LE CONTEXTE
I-1. CONTEXTE DE L'AGRICULTURE
I-1.1. L'IMPORTANCE DU SECTEUR AGRICOLE AU
SÉNÉGAL
I-1. 1. 1. Les missions assignées à
l'agriculture
Bien que comptant parmi les plus urbanisés d'Afrique de
l'ouest, le Sénégal est toujours, en 2007, un pays
majoritairement rural ; dans un pays dont la capacité d'absorption de
main d'oeuvre du secteur secondaire est très faible et en stagnation,
l'agriculture représente un atout économique, au moins potentiel,
qu'il importe de ne pas négliger.
En 2004, un diagnostic du secteur2 a
été réalisé par Pierre DEBOUVRY, à la
demande du Bureau de la Formation Professionnelle Agricole du ministère
sénégalais de l'agriculture. (étude disponible sur le
site d'Agropolis, ou sur celui du BFPA).
Partant des missions généralement
assignées au secteur agricole, il s'est livré à un travail
approfondi de collecte et d'analyse des données disponibles au niveau
d'un Etat, pour mettre en perspective l'évolution des performances du
secteur agricole, à l'aune des projections démographiques pour
les vingt prochaines années.
Ces missions, parfois contradictoires puisque les
priorités seront différentes selon les acteurs en
présence, peuvent être résumées au nombre de cinq
:
Nourrir la population,
Fournir des ressources en devises,
Permettre à ses acteurs de vivre de leur travail dans des
conditions décentes, Gérer l'exploitation durable des ressources
naturelles,
Générer des emplois (pour les pays dont la
capacité d'absorption de main d'oeuvre du secteur secondaire est
faible).
I-1.1.1.1 Nourrir la population.
Depuis 1990, les principales productions agricoles ont
tendance à stagner : arachide, maïs, mil et sorgho, tandis que sur
la même période, la population est passée de 7.6 à
plus de dix millions d'habitants en 2005. Les importations de
céréales (riz et blé) ont pratiquement
décuplé sur la période 1960-2003, passant de 90 000 tonnes
à 870 000 tonnes en volume annuel, pendant que la population totale
triplait (cf. graphes en annexe).
Ces importations ne sont donc pas proportionnelles à
l'évolution démographique, et traduisent à la fois une
évolution des habitudes alimentaires et une dégradation de la
productivité ; ainsi il n'est pas exagéré d'affirmer que
dans un contexte d'urbanisation rapide, le secteur agricole n'est plus capable
d'alimenter correctement les populations des centres urbains, obligeant l'Etat
à mobiliser une part croissante de ses devises pour importer des
aliments.
I-1.1.1.2 Fournir des ressources en devises
Les ressources du secteur primaire exportées sont peu
nombreuses, il s'agit essentiellement, et dans un ordre décroissant, de
l'arachide, des produits halieutiques et du coton. Pour ce dernier,
2 « Développement du capital humain du secteur
agricole - Programme d'appui aux services agricoles et aux organisations
paysannes (PSAOP-BFPA) Mission d'appui à la mise en place d'un
groupe de nationaux chargé de l'élaboration d'une «
Stratégie nationale de Formation agricole»
la production n'a connu qu'une hausse de 10% depuis 1993, pour
se situer à environ 55 000 tonnes. La situation est tendue du fait
notamment du très haut niveau de subventions pratiqué, entre
autres, par les Etats-Unis. Après une période de forte
croissance, la production halieutique connaît aujourd'hui au mieux une
stagnation, du fait d'une pression excessive sur la ressource. Enfin,
l'arachide est une filière en crise, structurellement, en raison d'une
désaffection importante des consommateurs mondiaux, qui lui
préfèrent d'autres huiles d'origine végétale. D'un
million de tonnes au début des années 60 jusqu'au milieu des
années 90, la production est tombée à moins de 400 000
tonnes au début des années 2000.
En partie du fait de la mondialisation des échanges
commerciaux, qui induit une concurrence souvent inégale avec les
agricultures subventionnées des pays développés,
l'agriculture sénégalaise assume à l'évidence de
moins en moins cette mission qui, faut-il le rappeler, fut la première
assignée d'abord par le colonisateur, puis par le jeune Etat
indépendant.
I-1.1.1.3 Permettre à ses acteurs de vivre de leur
travail dans des conditions décentes
En raison de la dégradation de la fertilité des
sols, du morcellement croissant des unités de production transmises
à chaque génération, et de l'absence d'investissements
structurels dans les exploitations agricoles (insécurité du
capital foncier), la situation devient critique. Les dernières
études conduites3 montrent que la pauvreté se
concentre en milieu rural (pour 75% de l'ensemble) et rend
particulièrement fragile cette population déjà très
dépendantes des aléas climatiques. Dans de très nombreux
cas, les revenus monétaires tirés de l'agriculture sont loin
d'atteindre deux euros par jour (en moyenne annuelle) : le métier
d'agriculteur ou d'éleveur repousse aujourd'hui plus qu'il n'attire.
I-1.1.1.4 Gérer l'exploitation durable des
ressources naturelles
La population continue d'augmenter en zones rurales, ce qui
accentue les prélèvements sur les ressources naturelles (parcours
de bétail, sols, ressources halieutiques, déforestation), qui ne
disposent plus du temps nécessaire à leur
régénération naturelle. Les jachères ont quasiment
disparu, les sols du bassin arachidier sont en partie victime de
remontées salines, tout comme les terres situées de part et
d'autre de la route nationale Saint Louis - Matam dans la Vallée du
Fleuve Sénégal sans compter l'érosion, les pirogues
rentrent au port de moins en moins pleines et les conflits liés à
l'usage du foncier entre agriculteurs et éleveurs deviennent
récurrents.
On le voit, la dégradation des ressources naturelles,
engendrée par la surexploitation, est bien réelle. Si l'on y
prend garde, l'abandon de l'activité agricole, déjà en
cours dans certaines régions, va prendre de l'ampleur, sans que
n'existent des solutions palliatives pour fournir une activité
économique à leurs habitants. A terme, sans changement des modes
de gestion, c'est bien l'ensemble des capacités productives du secteur
qui est durablement menacé.
I-1.1.1.5 Générer des emplois
Les jeunes générations, qui accèdent plus
facilement qu'avant à l'école, ne veulent plus travailler dans
les mêmes conditions que leurs parents. Les mentalités
évoluent également à la campagne, et il est de plus en
plus difficile pour un jeune qui a accès à la
télévision, d'accepter d'attendre un âge mûr (autour
de 40 ans) pour se voir enfin libre de décider de ses décisions ;
les anciens ont en effet toujours la haute main sur le foncier, qu'il s'agisse
de la ressource productive ou de la caution qu'elle peut représenter
pour accéder au financement de certains investissements productifs.
Dans cette optique, l'école est perçue comme le
moyen privilégié d'échapper à la condition «
ancestrale » du paysan ; de plus, l'absence d'enseignement des sciences du
vivant (tout au moins une initiation) au cycle Primaire ne milite pas en faveur
d'une connaissance plus objective du métier de leurs parents.
3 dans le cadre du Document de Stratégie de
Réduction de la Pauvreté (DSRP)
Si l'on ajoute à tout ce qui précède un
développement plus que timide des métiers d'amont et d'aval de la
production, l'on ne s'étonnera guère de l'accentuation de l'exode
rural vers les villes et de l'émigration vers les pays du nord.
Déjà aujourd'hui, certaines petites régions naturelles
sont en proie à un déficit de main d'oeuvre4 au moment
des pointes de travaux agricoles.
En guise de conclusion pour ce chapitre, nous sommes
contraints de reconnaître que le secteur agricole et rural assume de plus
en plus difficilement les principales missions qui lui sont dévolues.
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