L
a commande passée par le Bureau de la formation
professionnelle agricole porte sur « l'appui à la mise en place
d'un cadre de pilotage régional de la formation agricole et rurale dans
la Vallée du fleuve Fruit de la Sénégal
».réflexion conduite en 1998 et 1999, le Bureau de
la formation professionnelle agricole
n'est pourtant qu'un instrument au service de la mise en
oeuvre de la stratégie nationale de FAR ; un instrument important
toutefois, susceptible d'animer le secrétariat permanent du futur
comité national de planification stratégique qui devrait
être fonctionnel dans les prochains mois pour assumer la fonction de
cadre de pilotage national de la FAR.
Pourquoi la nécessité d'un pilotage ?
qu'est-ce qui pose problème ?
Nous avons eu à montrer, dans la première
partie de notre travail, les mutations qu'a subi le secteur agricole et ses
acteurs, ces mutations ayant été provoquées par le
désengagement de l'Etat du secteur productif à la suite des plans
successifs d'ajustement structurel.
Habitués d'une agriculture très
administrée, objet d'une véritable planification par un Etat
central qui les encadrait, les producteurs sénégalais ont
dû s'adapter rapidement, par la force des choses, à un
environnement beaucoup plus incertain : les prix ne sont plus garantis
systématiquement, l'écoulement des récoltes n'est plus
acquis, de même que la possibilité d'accéder, en temps
utile, aux facteurs de production et éventuellement au crédit de
campagne pour les acheter.
L'évolution du « métier » est
considérable : de producteur « simple », les agriculteurs sont
devenus par force de véritables chefs d'exploitation, des chefs
d'entreprise qui doivent désormais se préoccuper de savoir dans
quelles conditions et à qui ils vont pouvoir vendre leur production, en
cherchant à maîtriser leurs prix de revient pour affronter la
concurrence des importations (riz par exemple).
Ces bouleversements, les acteurs « institutionnels »
de la formation agricole et rurale ne les ont découvert que tardivement
; la part du budget de l'Etat dans le fonctionnement des écoles à
vocation diplômante de l'enseignement technique a longtemps
été insignifiante, tant que la coopération
française, puis suisse y était massivement présente, c'est
à dire jusqu'à la fin des années 1990.
Si les débouchés automatiques dans la fonction
publique se sont taris au début de cette même décennie, le
dispositif a continué à s'auto-entretenir.
En matière de formation professionnelle continue, les
centres de formation publics et privés ont souffert des mêmes
travers : aux périodes d'euphorie, durant lesquelles les bailleur de
fonds qui les avait construit et équipés les dotaient en budgets
de fonctionnement, ont succédé invariablement des périodes
de léthargie, semblables au phénomène « d'hibernation
», parfois suivie de disparition pure et simple : soit que le «
mécène » souhaite passer à autre chose (souvent
déçu par la visibilité des résultats atteints),
soit qu'une obligation de réduction des dépenses, suite à
la baisse des budgets consacrés à l'aide au développement,
ne vienne réduire les ambitions.
Le décalage déjà important entre, d'une
part, l'offre de FAR qui visait uniquement à former les paysans en
techniques de production, et d'autre part les besoins du secteur en termes de
compétences nouvelles29 n'a fait que s'accentuer, provoquant
une prise de conscience chez quelques cadres, mais surtout parmi les
élus représentant la profession agricole, qui s'est assez
tôt détournée de cette offre de service que nous avons
qualifiée d'institutionnelle.
La FAR, mais aussi le conseil agricole et rural, tout comme
les besoins d'animation en milieu rural, ont fait ainsi l'objet d'importants
besoins de la part des populations rurales, entraînant une explosion de
prestataires privés de service : consultants, bureaux d'études,
ONG.
29 Accès et connaissances des marchés,
mécanismes de fixation des prix, défense des
intérêts de la profession, sécurisation des
approvisionnements en intrants, etc.
Très rapidement, l'offre pléthorique a
montré ses limites : sans garantie d'aucune sorte, sans normes à
minima, sans déontologie, le secteur pourtant concurrentiel de la FAR
n'a pas permis au marché d'imposer ses règles, du fait de
plusieurs caractéristiques :
· Absence de transparence, y compris sur des marchés
publics ;
· Information très imparfaite des demandeurs (des
clients) sur les caractéristiques de l'offre potentielle de services
;
· Des demandeurs « in fine » souvent peu
solvables et offrant peu de garanties, obligeant à
recourir à
un tiers d'un genre très particulier : l'organisme-financeur «
à fonds perdus ».
C'est dans cette particularité du mode de financement
que se trouve à notre sens la spécificité la plus
marquée du « marché » de la FAR : sauf exception,
l'achat de formation ne repose que sur des subventions, pas sur des cotisations
; le prix n'est pas fixé naturellement par équilibre entre
l'offre et la demande.
Dès lors, il n'existe que très peu de lien entre
la qualité des prestations et leur coût, de même qu'il
n'existe pas de lien direct entre leur coût et la capacité
contributive des demandeurs.
Même si l'on ne peut nier l'existence de financements
d'origine privée dans les actions de formation mises en oeuvre, force
est toutefois de reconnaître la prépondérance des fonds
publics consacrés au sous secteur, qu'ils proviennent directement ou
indirectement des caisses de l'Etat, via les projets et l'aide publique au
développement.
Dans ces conditions, la qualité des prestations
devient un domaine d'intérêt général, puisqu'il
s'agit de deniers publics : ainsi se pose la question de la régulation
de l'offre de services dans le sous secteur de la formation agricole et
rurale.
Cette question fera d'ailleurs en 1999 l'objet d'une des
quatre orientations de la stratégie nationale de formation agricole et
rurale, à savoir : «Réguler l'ensemble des
institutions publiques et privées de formation agricole et rurale
».
Dès l'année 2000 et à titre
expérimental, le Réseau Formation Fleuve (RESOF) a
été mis en place dans la vallée, avec le soutien
très fort du bureau d'appui à la coopération
sénégalo-suisse, pour constituer un instrument important de cette
régulation ; en parallèle, un comité
national de planification stratégique de la FAR était
créé pour piloter ce sous-secteur.
Nous avons eu l'occasion dans les pages
précédentes de révéler que ce comité
national n'a jamais été opérationnel, et de montrer que
l'impact du RESOF en terme de régulation de l'offre de formation,
livré à lui-même et à son unique bailleur de fonds,
est malaisé à définir.
Du reste, dès 2004 les acteurs de la FAR dans
la Vallée du fleuve Sénégal s'étaient
exprimés pour dénoncer le handicap que constituait à leurs
yeux l'absence de cadre de pilotage : sans pilotage, sans orientations
précises, sur quelles bases _ et avec quelle légitimité_
conduire la régulation de l'offre de services ?
Car il s'agit bien de cela : fixer le cap, et des objectifs en
matière de qualité des prestations, mais pas seulement :
équité dans l'accès au service, transparence,
efficacité et efficience des fonds publics alloués, priorisation
par le biais de politique d'aménagement du territoire, d'un ré
équilibrage dans les questions de genre, de politique nationale et
régionale interventionniste en faveur de l'insertion
socioprofessionnelle des jeunes, etc.
C'est bien pour toutes ces raisons qu'en décembre
2004, au cours d'un atelier organisé par le RESOF à Saint-Louis
et auquel avait été convié le BFPA, de nombreuses voix
s'étaient élevées afin que soit mis en place un cadre de
pilotage à l'échelle de la région ; cet atelier avait
été l'occasion de tenter de répondre aux questions sous
jacentes : piloter quoi ? avec qui ? pour faire quoi ? afin d'améliorer
quoi ?
Si la qualité de la formation avait bien sûr
alors été abordée, ce sont plutôt les questions
de
financement de la FAR qui avaient été mises en avant, dans
un contexte de décentralisation des
responsabilités au profit des collectivités
locales, et de déconcentration des services techniques de l'Etat. La
mutualisation des ressources, financières et humaines, par exemple sous
la forme de fonds de formation, implique évidemment d'en partager la
gestion : par extension, c'est donc vers un pilotage partagé que
semblaient vouloir se diriger les acteurs de la région.
Nous verrons à la suite comment se positionnent les
différentes catégories d'acteurs concernés dans la
région de Saint-Louis, notamment les organisations professionnelles
agricoles et les collectivités territoriales, et comment leurs positions
ont pu évoluer depuis 2004, ou même depuis 2000, année de
la création du RESOF.
Pour le bureau de la formation professionnelle
agricole, il s'agit de tester la faisabilité,
l'opérationnalité et l'efficacité du couple cadre de
pilotage + instrument de régulation, dans le cadre d'une région
administrative et dans l'esprit des lois de décentralisation de
1996.
A partir de la « porte d'entrée » que
représente le RESOF, et en capitalisant ce qui a déjà
été esquissé et tenté, il s'agit de tirer les
leçons de cette expérience et de voir dans quelle mesure, et
moyennant quelles précautions et aménagements, elle est
reproductible dans d'autres contextes puisque le but est bien évidemment
de mettre en place, au côté et au même niveau que le
pilotage national, des instances régionales de pilotage de la formation
agricole et rurale.
Notre travail consistera à identifier et analyser les
pratiques réellement mises en oeuvre sur le terrain, et à mettre
en relief l'évolution de ces pratiques, puis nous formulerons, en toute
modestie, des recommandations afin de conforter les dynamiques en oeuvre et de
se rapprocher des résultats attendus.
Quels sont ces résultats attendus ?
Ils se situent à deux niveaux, pour lesquels la recherche
d'une relation « gagnant-gagnant » entre acteurs et catégories
d'acteurs est un impératif absolu :
· D'abord au niveau des conditions à réunir,
pour que tous les acteurs importants acceptent de
s'engager, de tenir leur
place et de partager réellement le pilotage souhaité du sous
secteur ;
· Ensuite au niveau de la visibilité , locale et
régionale, de l'impact de cette nouvelle mission de pilotage, et bien
entendu, de la légitimité dont pourront se prévaloir ses
acteurs.
Avant d'y parvenir, nous aborderons successivement sur un plan
théorique plusieurs concepts, que nous expliciterons au moyen d'une
revue de la littérature existante :
· Les notions de pilotage et de régulation, de
régulation participative, appliquées à la Formation
Agricole et Rurale (FAR)
· Le concept de concertation
· La qualité en formation, ce qui nous conduira
dans un premier temps à montrer, dans le contexte de notre travail, le
décalage des normes utilisées habituellement dans
l'économie dite « formelle », puis dans un second temps
à nous intéresser aux relations qui régissent l'offre et
la demande de formation dans le secteur du développement rural, au
Sénégal.
Nous renvoyons le lecteur à notre premier
Mémoire, consacré au RESOF et déjà cité,
pour l'exploration d'autres concepts tels que l'organisation d'acteurs en
réseaux ou encore le développement local.
Les quatre orientations de la stratégie
nationale de formation agricole et rurale