La décentralisation comme un mécanisme de
transfert de pouvoirs aux institutions locales
D'un point de vue politique, la décentralisation est
une réforme qui satisfait la volonté du gouvernement de
même que des citoyens d'élargir le champ de la démocratie.
Elle consiste en un transfert de pouvoirs, c'est-à-dire de
compétences et des ressources financières nécessaires
à son exercice, du niveau central (Etat) au niveau local
(collectivité territoriale), et à des organes élus
(Adjaho, 2002)11. Elle permet ainsi aux représentants
élus des populations, de disposer d'un vaste champ d'initiatives et de
responsabilités (Greffe, 1984).12
La décentralisation est définie dans cette
perspective, comme tout acte à travers lequel un gouvernement central
cède formellement les pouvoirs aux acteurs et institutions de niveaux
inférieurs dans la hiérarchie politico-administrative et
territoriale. Ce transfert de pouvoirs
11 ADJAHO, R. supra pp 21-22.
12 Cité par HOUNMENOU G.B.
(2006).Décentralisation, gouvernance participative et dynamiques locales
de développement, Etude de cas en milieu rural au Bénin.
Thèse doctorale, université de Versailles
Saint-Quentin-En-Yvelines, p51.
implique la création d'un cadre de prise de
décision à l'intérieur duquel, une variété
d'acteurs peut exercer une certaine autonomie (Agrawal et Ribot,
1999).13
Cette considération se retrouve dans les travaux de
Adjaho (2002) qui précisent : « la décentralisation est
aussi une technique d'organisation administrative par laquelle, l'Etat octroie
à d'autres personnes morales de droit public, le soin de s'administrer
elles-mêmes. Il s'agit pour l'Etat de créer d'autres
entités infra étatiques (régions, départements ou
communes), et de leur accorder dans le cadre de la loi, le droit de
gérer leurs propres affaires. Ces entités infra étatiques
sont des collectivités territoriales décentralisées
»14. Ces travaux indiquent par ailleurs que le transfert de
pouvoir peut être total. Dans ce cas, l'Etat se dessaisit
complètement des pouvoirs autrefois exercés par lui. Il peut
s'agir aussi d'un transfert partiel c'est-à-dire d'un partage de
pouvoir. L'Etat ne se dessaisit alors que d'une partie des pouvoirs
concernés. Ces deux cas existent dans de multiples domaines dans
plusieurs pays. Ainsi, avec l'actuelle décentralisation au Bénin,
la commune partage avec l'Etat diverses compétences, notamment celles
relatives à la fourniture de certains types de services publics
(éducation, santé, eau potable et assainissement, voirie...).
A travers sa dimension politique, la décentralisation
traduit un cadre institutionnel et juridique à l'intérieur
duquel, la fourniture à l'échelon local de biens collectifs peut
s'opérer. Il s'agit d'une détermination légale de la
sphère institutionnelle de production de ces biens.15
La décentralisation : facteur de rapprochement des
populations des niveaux de prises de
décisions
La décentralisation rapproche les institutions de
pouvoirs des citoyens. Un gouvernement représentatif est plus efficace
quand il est plus près des citoyens (Stigler, 1957)16.La
décentralisation est en effet perçue comme une manière de
partager le pouvoir, les ressources et les responsabilités avec la
population. Dans cette perspective, elle permet de rapprocher
géographiquement les prises de décision des populations
défavorisées voire de les rendre participatives (Schneider,
1999)17. En favorisant le rapprochement des institutions publiques
des populations, elle les rend plus facilement comptables de leur gestion.
La décentralisation permet ainsi, un contrôle de
proximité des administrations publiques (Ebel et Yimaz,
2001)18.
13 Op cit
14 ADJAHO, R. supra p22.
15 HOUNMENOU, B. G. supra p 52
16 Ibid
17 HOUNMENOU, B. G. op. Cit. p53
18 Cité par HOUNMENOU, B. G. p 53
La décentralisation favorise par ailleurs une
structuration organisationnelle au plan local, notamment, au niveau de la
société civile et du secteur privé (Requier-Desjardins,
2000)19.
La décentralisation : facteur de participation et de
renforcement des capacités des
populations et moyen de lutte contre
la pauvreté
A travers le principe de participation, la
décentralisation peut être aussi considérée comme un
moyen de lutte contre la pauvreté. Selon Sen (1981), la pauvreté
n'est pas seulement une question de faible niveau de revenu. Elle est aussi un
manque de maîtrise des pauvres sur leur destin et les décisions
qui les concernent. En impliquant les populations locales dans la prise de
décisions et la gestion des affaires les concernant, la
décentralisation répond à une volonté de
réduction de la pauvreté. L'implication des acteurs locaux dans
les initiatives concourant à leur bien-être collectif
répond à cet objectif20.
La lutte contre la pauvreté constitue une mission qui
relève indéniablement du ressort des politiques locales. Pauly
(1973)21 indique à cet effet que, c'est surtout à
l'échelle locale que les acteurs se préoccupent davantage de la
pauvreté. Au Bénin, les priorités actuellement retenues
par plusieurs communes dans leur plan de développement prennent en
compte des initiatives liées à l'amélioration de
l'accès des populations à l'éducation de base, aux soins
de santé et à l'eau potable. Ces initiatives figurent parmi les
priorités inscrites dans la stratégie nationale de
réduction de la pauvreté (CNDLP, 2004)22.
La décentralisation : facteur d'amélioration de
la capacité d'action collective et outil
d'apprentissage de la
gouvernance
Selon Shah (1998)23, la décentralisation
s'inscrit dans une réflexion sur la gouvernance. Celle-ci ne se
réduit pas à l'action des institutions gouvernementales
nationales. Elle implique leur interaction avec non seulement les
différents niveaux territoriaux, mais également l'ensemble des
institutions représentatives de la société civile ainsi
que le secteur privé qui doivent s'engager dans un partenariat pour le
développement.
19 Cité par HOUNMENOU, B. G. supra p 53.
20 Cité par HOUNMENOU, B. G. supra p 54
21Jbid
22 CNDLP : Commission Nationale pour le
Développement et la Lutte contre la Pauvreté. 23.
Cité par HOUNMENOU, B. G. supra p 55
Fondamentalement, la décentralisation vise à
atteindre l'un des principaux objectifs de la bonne politique qui se traduit
par la démocratisation ou le principe que les hommes auraient un mot
à dire dans la gestion de leurs affaires. En ce sens, la
décentralisation est une stratégie de gouvernance pour faciliter
le transfert de pouvoirs tout près de ceux qui sont les plus
affectés par son exercice (Agrawal et Ribot, 1999).
En favorisant la participation des populations dans la
gestion de leurs affaires et dans leur contrôle au plan local, la
décentralisation crée les conditions liées à
l'apprentissage de la gouvernance locale. La participation et la
possibilité de contrôle au niveau local peuvent en effet permettre
une familiarisation avec les modes de fonctionnement, ainsi qu'un apprentissage
de la gouvernance (Schneider, 1999).
Décentralisation pour une amélioration des
services aux populations
La décentralisation accompagne l'amélioration
des services en dispensaires, salles de classes et les installations locales de
distribution d'eau et d'électricité aux populations. C'est
précisément l'enjeu du transfert des responsabilités.
La Banque Mondiale fait remarquer que le fait de
décentraliser ne signifie pas en soi une transformation du mode de
fourniture des services. Tout dépend des motivations de la
décentralisation qui est principalement un acte politique visant une
grande autonomie régionale. La décentralisation des services est
un sous-produit (Banque Mondiale, 2004)24.
Selon un constat fait par les services de la Banque Mondiale
en Ouganda, les taux de scolarisation ont stagné malgré
l'augmentation considérable des dépenses de l'Etat dans
l'enseignement primaire. Cela a conduit à vérifier si l'argent
investi parvenait effectivement aux écoles. Les enquêtes ont
révélé que 87% des ressources destinées aux
écoles en dehors des salaires étaient en réalité
consacrées à d'autres usages.
L'impact de la décentralisation sur les services se
complique lorsque les objectifs politiques, budgétaires et
administratifs ne sont pas poursuivis simultanément ou de manière
solidaire. L'expérience de la décentralisation dans huit pays
d'Amérique latine laisse penser que ce sont souvent les objectifs
politiques qui ont servi de déclencheur mais que par la suite les
chemins ont divergé (Banque Mondiale, 2004)25.
24 Banque Mondiale. (2004). Rapport sur le
développement dans le Monde, Des services pour les pauvres. Editions
ESKA p 217.
25 Banque Mondiale supra p 218.
C'est dans cette perspective que Frank et al
(2003)26 apportent à notre connaissance que là
où la décentralisation a été motivée
principalement par des objectifs politiques (comme en Equateur, au Pérou
et au Venezuela), le transfert de ressources a souvent été
significatif, mais, le transfert des responsabilités à
été plus difficile à mener à bien. Là
où la décentralisation politique a été
associée à l'autonomie budgétaire régionale et
motivée par cette idée, d'une manière complexe mais avec
un décalage (comme en Argentine et au Brésil), des crises
économiques et politiques se sont produites, en raison de
l'incapacité du centre à imposer une discipline budgétaire
aux autorités locales. En Colombie, bien que la décentralisation
ait été initialement motivée par des considérations
politiques, les ajustements budgétaires et administratifs ont
été plus profonds, et dans les systèmes budgétaires
et administratifs, des ajustements cycliques ont souvent eu lieu.
De cette expérience latino américaine, on peut
retenir que les pouvoirs politiques budgétaires et administratifs ne
sont pas nécessairement transférés d'une manière
simultanée ni selon un ordre cohérent.
Il faut que la décentralisation touche le dispensaire,
la salle de classe et les installations locales de distributions d'eau et
d'électricité de telle sorte que des opportunités soient
créées de renforcer la responsabilité entre citoyens,
hommes politiques ou décideurs et prestataires (Banque Mondiale,
2004)27.
C'est surtout lorsqu'il existe un bon équilibre entre
le financement central et local que la décentralisation peut
déboucher sur un système de contrôle mutuel pouvant motiver
à la fois le gouvernement central et les autorités locales
à faire en sorte que les services fonctionnent bien localement. Mais, le
progrès de l'obligation de rendre compte risque de ne pas avoir lieu et
les avantages de la décentralisation risquent d'être
manqués si les incitations budgétaires et autres, qui
sous-tendent la relation entre le centre et les autorités locales, ne
sont pas en phase, de sorte que le système de contrôle soit
inefficace (Banque Mondiale, 2004)28.
Une étude faite par Galiani et Schargrosky
(2002)29 portant sur le transfert de la responsabilité des
établissements d'enseignement secondaire aux provinces en Argentine,
entre 1994 et 1998, a montré que si les moyennes aux examens
étaient en hausse, les progrès étaient bien plus faibles
lorsque les écoles étaient transférées à des
provinces très mal gérées.
Ainsi, pour que la décentralisation atteigne les
salles de classe, les dispensaires, les hôpitaux et les services de
travaux publics d'une manière propre à accroître
l'obligation de rendre compte et l'efficacité des services, trois
domaines sont essentiels : la finance au niveau sous-
26 Cité par Banque Mondiale op. Cit. p 219.
27 Ibid
28 Ibid
29 Cité par Banque Mondiale. Supra pp
219-220
national, la division des responsabilités
administratives entre le centre et les autorités locales et la
capacité locale (Banque Mondiale, 2004)30.