Le contentieux de la propriété intellectuelle: cas de la marque de produits ou de services( Télécharger le fichier original )par Nadine Josiane BAKAM TITGOUM Université de Dschang (Cameroun) - Diplome d'Etudes Approfondies 2008 |
chapitre ii : LE DEROULEMENT DU CONTENTIEUX DANS LE CADRE DELICTUELL'efficacité du monopole conféré au titulaire de la marque par l'enregistrement est tributaire de la protection contre les actes d'exploitation illicite. Parmi les atteintes susceptibles d'être portées contre les droits du propriétaire de marque, la contrefaçon occupe une place d'honneur. Toutefois, une étude de ces atteintes qui écarterait la concurrence déloyale et autres cas de responsabilité civile nous paraît inachevée. La défense de la marque suppose que certains actes soient interdits en dehors de l'accord du propriétaire (section I) et qu'il soit mis à sa disposition des moyens de poursuivre en justice leurs auteurs (section II). SECTION II: L'INCRIMINATION DES ATTEINTES AUX DROITS CONFERES PAR LES MARQUESLes violations du monopole sur la marque concernent au premier chef la contrefaçon. Lato sensu, elle recouvre toutes les atteintes illégitimes au droit exclusif du titulaire d'une marque. Parmi les actes constitutifs de contrefaçon, certains peuvent être considérés comme principaux (§1) et d'autres secondaires (§2). §1 : LES ACTES PRINCIPAUX DE CONTREFAçON DE MARQUELes actes principaux de contrefaçon sont ceux de premier rang qui déclenchent l'incrimination. Ils sont principaux en ce qu'ils ne nécessitent la réalisation préalable d'aucune infraction mais, au contraire contribuent à en commettre. Aussi, recense-t-on les actes de contrefaçon sur le signe qui constitue la marque (A) et ceux portant sur le produit ou service désigné au dépôt (B). A-LES ACTES DE CONTREFAÇON SUR LE SIGNE La contrefaçon du signe se fait par reproduction (1) ou par imitation (2) de la marque contrefaisante. Stricto sensu, la contrefaçon consiste en la reproduction de la marque126(*). Elle est constituée lorsqu'il y a reproduction à l'identique ou au quasi-identique. La marque contrefaisante est soit une copie servile c'est-à-dire sans aucune différence perceptible, soit une copie quasi-servile, lorsque les différences sont insignifiantes. La reproduction est constitutive de contrefaçon, même si aucun usage ou aucune commercialisation ne s'en suit. L'existence ou l'absence d'un risque de confusion est indifférente ; de même que la bonne foi du contrefacteur est difficile à envisager. L'appréciation de la contrefaçon par reproduction se fait de façon analytique. On dissèque la marque protégée pour déterminer ses éléments essentiels et pour voir si le signe argué de contrefaçon reproduit ou non ces éléments caractéristiques. C'est aux juges du fonds qu'il revient d'apprécier souverainement, compte tenu des conditions d'exploitation de la marque, si l'élément reproduit constitue bien un élément essentiel caractéristique et distinctif en lui-même. Mais, il y a contrefaçon si, reproduite dans son ensemble, une marque complexe constitue un tout indivisible c'est-à-dire lorsque c'est l'ensemble qui est distinctif et non ses éléments pris séparément127(*). Quant aux modes de reproduction, ils sont très variés. Dès lors que la marque est reproduite pour être utilisée dans la même spécialité, il y aura contrefaçon à la reproduire sur des étiquettes ou sur une forme tridimensionnelle, dans des documents publicitaires, des emballages, des catalogues ou des papiers d'affaires, sur une enseigne, dans un dépôt à titre de marque, comme nom commercial, etc. La mauvaise foi de l'imitateur est exigée puisque l'article 37 parle d'imitation « frauduleuse ». Le tiers ne peut valablement abriter l'usurpation de la marque derrière l'emploi de termes neutres128(*) dont il accompagnerait l'utilisation de la marque d'autrui. En ajoutant de tels termes, le contrefacteur, d'une part, fait l'aveu de ce qu'il connaît l'existence du droit privatif, d'autre part accentue le rattachement de ses propres produits ou services à ceux de son concurrent. Ce risque de confusion ainsi créé, est pareillement un élément essentiel à l'imitation d'une marque protégée. L'article 37 alinéa 1c) de l'annexe sanctionne la contrefaçon par imitation. L'imitation d'une marque et l'usage de la marque imitée pour des produits ou services identiques ou même similaires est une contrefaçon, s'il en résulte un danger de confusion dans l'esprit du public. La mauvaise foi de l'imitateur est exigée puisque l'article 37 parle d'imitation « frauduleuse ». L'imitation s'apprécie comme toute contrefaçon, par les ressemblances d'ensemble et non par les différences. Le juge camerounais précise d'ailleurs que le délit existe même lorsque les éléments reproduits sont encadrés dans des dessins ou accessoires différents129(*). Il convient donc avant tout, de définir quelles sont les caractéristiques essentielles de la marque du demandeur qui lui donnent son caractère distinctif, puis de confronter ces caractéristiques à l'objet prétendument imitant ; mais on s'attache à l'impression d'ensemble que reçoit le client d'attention moyenne qui n'a pas les deux marques simultanément sous les yeux130(*). Suivant cette logique, il serait difficile à ce dernier de faire la différence entre les marques « Signal 2 » et « Spécial 2 ». C'est dire que, contrairement à la contrefaçon stricto sensu, l'appréciation est, en matière d'imitation, davantage synthétique que analytique131(*). Les modes d'imitation sont divers. L'imitation peut jouer non seulement sur une ressemblance sonore ou visuelle, mais aussi sur une ressemblance intellectuelle notamment à travers des associations d'idées propres à semer la confusion dans l'esprit du client. L'association peut même s'opérer par contraste ou par opposition : on parle d'imitation par contraste132(*). L'imitation peut aussi consister à traduire une marque d'une langue à une autre. Elle résulte alors de la traduction des termes qui composent la marque pour autant qu'une large fraction du public en comprenne la signification dans la langue étrangère. Une question se pose de savoir si le prétendu contrefacteur peut s'exonérer en invoquant une intention parodique à l'égard de la marque imitée. Il faut dire que, très souvent, l'intention humoristique cache mal une volonté de parasitisme, ou même de dénigrement133(*). Dans ce dernier cas, il n'y a pas lieu de s'arrêter au caractère éventuellement non commercial ou non concurrent de l'utilisation, car le discrédit jeté sur l'entreprise, ses services ou ses produits, à travers la marque, porte atteinte à son activité économique et à son patrimoine incorporel134(*). Mais, la contrefaçon par imitation ne sera retenue que si la marque caricaturée est apposée sur des produits identiques ou similaires. Autrement, l'action en justice ne sera possible que sur le fondement de la responsabilité civile ou en s'appuyant sur l'article 6 de l'annexe III de l'accord de Bangui. En tout état de cause le risque de confusion est un critère majeur qui joue lorsque la contrefaçon tend à tromper la clientèle aussi bien sur la marque elle-même que sur l'origine des produits. B-LES ACTES DE CONTREFACON SUR LE PRODUIT Certains actes de contrefaçon s'opèrent davantage sur les produits que sur le signe constituant la marque. Du côté de la clientèle, il s'agit de fraudes au sens du droit de la consommation. La contrefaçon est alors constituée par apposition de la marque sur des produits autres que ceux de son titulaire (1) ou par substitution de produits (2). 1- L'apposition (ou remplissage) L'apposition de la marque vise l'hypothèse où la marque, mieux, la reproduction de cette marque est authentique mais où un tiers l'appose sur des produits sans y être autorisé. Le contrefacteur utilise des étiquettes, des emballages, des conditionnements, du matériel de vente authentique pour des produits correspondant à la spécialité mais ne provenant pas du titulaire de la marque. L'intention frauduleuse est une fois de plus exigée par la loi. S'il n'y a pas usage du reconditionnement à titre de marque, il n'y a pas contrefaçon. Par exemple, un particulier qui remplit, pour son propre usage, une bouteille de vin marquée avec du vin de palme ne commet pas une contrefaçon ; il en va de même s'il demande à un commerçant de remplir le conditionnement qu'il fournit lui-même. Si le conditionnement est utilisé en dehors de la spécialité, par exemple, par un pompiste qui remplit d'essence la bouteille de vin qu'il vend à l'automobiliste en panne, la contrefaçon est exclue. Toutefois, si les produits sur lesquels est apposée la marque sont similaires à ceux désignés au dépôt, l'apposition constitue une contrefaçon dans la mesure où existe un risque de confusion dans l'esprit du public. Enfin, si les produits sont authentiques mais n'ont pas été marqués par le titulaire de la marque, un tiers qui y appose la marque sans autorisation commet une contrefaçon. L'apposition recouvre aussi l'hypothèse de la réapposition de marque. Notamment, il peut arriver qu'un commerçant peu scrupuleux réappose la marque sur un produit réparé ou modifié pour faire croire que le produit est neuf et provient du titulaire de la marque, ou la présente comme un conditionnement authentique. Cette réapposition est une contrefaçon en même temps qu'une tromperie sur l'origine du produit. Il y a contrefaçon car la fonction de la marque, qui est de garantir l'origine du produit, a été faussée. Egalement, il arrive que, pour des raisons de commercialisation, un distributeur soit amené à reconditionner des produits authentiques. Il semble alors, qu'il y ait atteinte à la marque si les produits ont subi une altération au cours de l'opération de reconditionnement135(*). Indépendamment de toute altération, le délit de substitution obéit à un mécanisme différent mais tendant au même effet de tromperie. 2- La substitution de produits ou de services En l'absence d'apposition ou de remplissage, par exemple, lorsqu'un commerçant auquel un client a demandé du vin d'une certaine marque, lui en remet un autre, mais dans un emballage sans marque, il ne s'agit pas d'une contrefaçon par apposition, mais du délit de substitution de produits ou de services qui est sanctionné par l'article 37 al. 2a) de l'annexe III. Pour une partie de la doctrine, on se trouve ici davantage dans le domaine des fraudes et dans celui de la concurrence déloyale que de la contrefaçon stricto sensu. Pourtant c'est bien à travers la marque qu'est réalisée la tromperie, qui porte atteinte ainsi à la propriété du titulaire de cette marque. Le fait de livrer sciemment un produit ou service autre que celui qui a été demandé sous une autre marque enregistrée est un délit pénal. Si l'action est intentée par le titulaire de la marque, il se fondera sur l'article 37 al. 2a) de l'annexe ; du côté du client, il y a fraude par tromperie ou tentative de tromperie sur l'origine des marchandises. Contrairement à la contrefaçon par reproduction, par imitation, ou par apposition de la marque contrefaisante qui peut connaître un prolongement dans des actes distincts et consécutifs, la substitution de produits ou de services n'en est pas susceptible. Dans la mesure où ils supposent, en principe, la réalisation préalable d'autres atteintes, ces actes peuvent être considérés comme secondaires. * 126 ROUBIER, traité, T.1, n°80. * 127 Cass. Com. 26 novembre 1996, « Studio Action », PIBD, 1996, n°625.III.63 (terme banal dans la spécialité, indissociable de l'ensemble qui constitue la marque complexe déposée). * 128 Des termes tels formule, façon, système, imitation, genre, méthode, etc. * 129 TGI Bafoussam, jugement n°87/ADD/civ. Du 02 juillet 1996, affaire société REEMTSMA CIGARETTEN FABRIKEN GMBH et société GTDC c/ SITABAC et autres. * 130 R. PLAISANT, « protection et défense de la marque de fabrique », 5e édition, n°O.26. * 131 ROUBIER, op. cit. n°80. * 132 E. HIRSCH6BALLIN, « imitation par contraste », mélanges ROUBIER, 1961, T.2, p. 489. L'illustration classique de l'imitation par contraste est fournie par le litige qui opposa jadis la marque « la vache qui rit » à son imitatrice, « la vache sérieuse » : Paris, 4 mars 1959, D.1960, p. 26, obs. DESBOIS. * 133 Sur le dénigrement d'une marque dans une émission satirique, Cass. Com. II, 2 avril 1997, « Les guignols c/Peugeot », D. 1997, p. 411, obs. B. EDELMANN. * 134 Utilisation de la marque de produits du tabac dans une campagne macabre contre la tabagisme. Cass. Com. 21 février 1995, Bull. civ. IV, n°55 p.52. * 135 A titre de droit comparé, article 7 de la directive Européenne du 21 décembre 1988. Voir également R. KOVAR, « Le reconditionnement des produits marqués », mélanges BURST, 1997, p. 273. |
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