CHAPITRE 1
1.1. BASES THEORIQUES DE LA TERMINOLOGIE
Pour les effets de ce travail, il faut signaler qu'à
cause de la métalangue (variée et rarement consensuelle)
utilisée dans la pratique terminologique on a décidé de
considérer l'unité lexicale comme une entité
composée d'un élément formel, le terme, et d'un
élément sémantique, la définition,
laquelle exprime des traits constitutionnels correspondant à une
abstraction des référents réels, le concept.
Il faut d'abord tenir compte des postulats théoriques
de plusieurs auteurs sur la discipline terminologique. Pour Sapir (1970) la
langue est référentielle et systématique, elle est une
création volontaire et un produit social. Selon le discours
utilisé en fonction de communication, les traits sémantiques des
termes seront plus ou moins importants. La terminologie représente un
complément à la langue naturelle, elle est née comme un
correctif destiné à compenser le caractère flou et
imprécis de la langue générale (Sager, 2000).
Pour les terminologues traditionnels, l'unité de base
de la terminologie est le terme, qui pour eux comporte des différences
suffisantes pour être considéré comme une unité
indépendante du mot, unité de base de la linguistique. En
général, ils affirment que la coïncidence entre les
éléments composant les termes, une forme et un contenu, avec les
éléments constitutifs des mots est seulement apparente. Le
signifié du terme est préexistant à la dénomination
et sa forme est contrôlée tandis que celle des mots ne l'est pas
(Cabre, 1993).
Néanmoins, dans une perspective plus ouverte, le mot
n'est pas radicalement différent du terme, il correspond à la
même unité abstraite susceptible de se manifester dans le discours
à travers des unités superficielles de caractère
différent. Les changements des conditions d'exercice des terminologues
les ont amenés à remettre en doute les idéaux primaires de
la terminologie wüstérienne et les ont poussés à
envisager une perspective plus descriptive et linguistique des
phénomènes communicatifs réels (Bejoint & Thoiron,
2000).
Les termes servent à distinguer des expériences
et des éléments de connaissance et à les organiser.
L'organisation que le locuteur impose à la réalité
dépend de ses objectifs fixés et de la structure
préexistante de la langue de la communauté linguistique, laquelle
ordonne aussi la réalité concernée (Sager, 2000).
Parfois, les unités lexicales peuvent fonctionner comme
des mots et comme des termes selon le choix d'interprétation du
locuteur. L'existence de ces deux types d'unités permet de nouer le
dialogue entre les spécialistes et le grand public, ainsi qu'une
expression spécialisée à plusieurs niveaux. Ce dynamisme
entre les termes et les mots est nécessaire parce que les connaissances
humaines, organisées par la terminologie, évoluent constamment et
les éléments lexicaux disponibles sont limités (Sager,
2000).
Pour les besoins de la recherche, des termes nouveaux sont
créés pour désigner les éléments
nouvellement apparus dans une structure de connaissance. Ces termes
spécialisés, lorsque les innovations scientifiques commencent
à faire partie du domaine public, peuvent ainsi devenir des mots de la
langue générale, par exemple le cas du terme engrais,
lequel était originellement entièrement du domaine technique. Ce
phénomène est appelé lexicalisation en
terminologie (Sager, 2000).
Même si la lexicalisation a lieu, il est possible de
fixer le lien entre le concept et le terme pour un domaine donné, ce qui
peut arriver jusqu'à la normalisation du terme et du concept. Dans ce
cas là, il se produit une procédure inverse à la
dénomination, dans laquelle un terme est donné à un
concept déjà existant, parce que la définition part du
terme pour établir sa signification.
La méthodologie proposée par María Teresa
Cabré expose plusieurs aspects de la théorie de la terminologie,
ses fondements et sa méthodologie. Pour la réalisation de ce type
de recherche pratique, elle établit trois grandes compétences
dans le travail terminologique : la compétence cognitive, la
compétence linguistique et la compétence socio-fonctionnelle (Cabre, 1993).
La compétence cognitive se présente dans une
situation de communication quand le locuteur utilise un terme et
présuppose que son interlocuteur dispose des connaissances
nécessaires pour reconnaître et comprendre cette unité
lexicale (Sager, 2000). L'absence de ce type de
compétence explique les malentendus qui se produisent dans le discours
quand les locuteurs n'ont pas la même connaissance du domaine.
Quant à la compétence linguistique, elle a
à voir avec le partage par les participants de la situation
communicative du même code linguistique, ce qui permet la
compréhension du message.
La compétence socio-fonctionnelle du travail
terminologique comporte le caractère pragmatique des termes comme
unités lexicales. Nommer ou désigner l'abstraction d'une
entité, un fait, etc., est une activité métalinguistique
qui permet d'établir un lien entre l'expérience et le besoin de
communication linguistique (Sager, 2000).
Les conditions minimales qui indépendamment du type de
travail, contexte et situation doivent être respectées dans le
travail terminologique sont les suivantes:
a) Une méthodologie spécifique pour
détecter et compiler les termes de spécialité est
nécessaire.
b) Le terme est l'association d'une forme et d'un contenu qui
correspond aux traits d'un noeud cognitif d'une structure conceptuelle
donnée.
c) La forme et le contenu fonctionnent dans un double
système, dans la langue générale et la langue de
spécialité, et ils obéissent à deux tendances, la
structuration et l'économie.
d) Les termes sont thématiquement spécifiques,
de sorte qu'il n'y a ni terme sans domaine qui le contienne ni domaine sans
terminologie.
e) Les termes de tout domaine gardent différents types
de rapports.
f) Tout travail terminologique est descriptif.
g) Les termes compilés ont une source
réelle : textes spécialisés, discours oraux ou
enquêtes terminologiques.
h) Tous les termes sont associés à une grammaire
unique.
i) Tous les termes ont une seule définition qui se
détermine avec précision dans le domaine spécifique.
j) Les termes peuvent avoir des valeurs pragmatiques
différentes.
k) Un terme peut avoir des variantes dénominatives en
relation de synonymie.
l) Le travail terminologique conduit toujours à une
application : Une liste de termes, un glossaire, un dictionnaire, la
résolution d'une consultation ou une liste normalisée (Sager, 2000).
Pour aboutir à une application du travail
terminologique, il faut appliquer diverses procédures et
méthodes. La première démarche proposée par Rey (1992) consiste à déterminer un domaine pour
en définir et en décrire la terminologie
(Sager, 2000). Dans la pratique documentaire et bibliographique, il est
préférable de présenter le classement conceptuel en
arbre, ce qui permet de clarifier la hiérarchie des concepts. Pour
déterminer le domaine terminologique, il existe deux
possibilités : soit le travail comprend des structures notionnelles
et terminologiques repérables par un corpus, soit le travail s'inscrit
dans un type d'activité spécifié en général
par des paramètres socio-professionnels. Pour le travail proposé
ici en agroécologie, il s'agit de la première démarche,
dans laquelle la détermination du corpus requiert la définition
empirique des besoins. La présentation d'un arbre du domaine suppose une
analyse des concepts. Cette analyse permet de construire un modèle
notionnel et de déterminer comment la terminologie existante s'articule
avec lui.
Deuxièmement, les unités linguistiques
utilisées comme termes et leur valeur sont repérées dans
un ensemble de textes faisant partie du corpus choisi. Cette analyse
documentaire prétend viser des contenus universels exprimables. Pour ce
faire, la procédure la plus souhaitable est le dépouillement
terminologique plurilingue et comparé (Rey,
1992), ce qui permet de dépasser le plan formel des unités de
travail, en les comparant dans différentes langues, et d'établir
de cette façon les concepts qu'elles expriment. Dans un travail
bilingue, il est possible de concevoir un triangle composé des termes de
chaque langue, et où le concept auquel ils renvoient se trouve dans
l'angle supérieur du triangle.
Le choix des unités dans le corpus peut comprendre les
unités non décrites ou mal décrites dans une partie du
domaine ou la totalité des termes du domaine. Dans le premier cas la
sélection des unités est délicate et il est difficile
d'établir leur affectation au domaine étudié. Dans le
deuxième, la sélection est moins hasardeuse à condition
que le corpus soit cohérent et d'une taille conséquente (Rey, 1992). Dans ce travail, qui essaye de montrer une
problématique terminologique, les termes choisis seront ceux qui sont
mal décrits, mais il est possible de les encadrer dans un domaine
spécifique parce que la plupart des problèmes qu'ils
présentent sont de nature formelle et non conceptuelle, et même
s'il y a des cas où le rapport terme-concept n'est pas bien
défini, les termes en question sont facilement établis comme
appartenant au domaine.
Les informations sur les termes choisis peuvent être
présentées sous la forme d'une fiche terminologique, dans
laquelle le terme constitue l'entrée ou vedette, qui prend en
considération les différentes dimensions des termes :
linguistique, notionnelle et documentaire. Au niveau linguistique, les
informations concernent la forme du terme, sa phonétique, ses
caractéristiques morphosyntaxiques, etc. Au niveau notionnel, il y aura
le domaine d'affectation, l'analyse du concept par une définition,
l'analyse des traits caractéristiques de la définition, la mise
en relation avec d'autres termes et les unités terminologiques d'autres
langues correspondant au même concept quant il s'agit d'un travail
plurilingue. Finalement, le niveau documentaire est constitué par les
contextes où les termes ont été trouvés, les
auteurs et la date de l'élaboration de la fiche, et le codage de
l'entrée dans un ensemble (Rey, 1992).
En ce qui concerne la définition, elle doit être
distinguée de la description, ce qui n'est pas toujours facile. C'est la
constitution du système notionnel qui permet de choisir le ou les traits
indispensables et définitoires du concept. De plus, les
définitions doivent suivre des critères d'économie, de
non-circularité et d'homogénéité.
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