Sous-section3. Rupture ou évolution de la tradition
fédéralisante?
Cette réforme, la Nouvelle Réforme, nous
ramène à la question centrale de notre étude, à
savoir si le schéma féodal d'une division fédéral
des compétences perdure.
Juridiquement, l'imbrication de deux niveaux bien distincts
dans l'ordre juridique andorran a fait son apparition en 1866. Officiellement,
chaque entité possède son propre domaine de compétences.
Nous serions donc face à une superposition fédérale au
sens stricte du terme.
De plus, l'élargissement de la base du suffrage tend
à confirmer l'argument selon lequel nous serions dans un nouveau
schéma de fédéralisme. En outre, le fait d'impliquer une
plus grande partie de la population traduit à la fois une volonté
affirmée de démocatisation du monde politique andorran, mais
aussi reflète une tentative de rationnalisation du pouvoir.
1866 traduirait une rupture claire et nette avec l'« ancien
régime »: le système féodal de
Coprincipauté.
Enfin, cette rationnalisation par le droit écrit
apparaît en Principauté sous la forme de la
plainte37. Le décrêt autorise tout citoyen qui
possède le droit de suffrage à porter plainte devant la
juridiction d'un des deux Coprinces si une décision ou un acte
administratif lui apparaît contraire au décrêt. Il s'agit
d'une avancée en terme de droits octroyés aux habitants de la
vallée.
Cependant, ces changements sont-ils significatifs?
Ces changements impliquent plus une redéfinition
technique que de compétences. En
37 En catalan appelé « recurs en queixa
»
effet, il est clair que le Décrêt
épiscopal de 186638 redéfinit les règles du jeu
et éclaircit beaucoup de zones d'ombre. Il s'agit d'une
révolution technique. Du point de vue des compétences, cela n'en
est pas moins à relativiser. En effet, la question du
fédéralisme, outre ses implications purement techniques (double
niveau législatif, exécutif et judiciaire), fait appel à
un ensemble de pratiques, surtout du point des compétences des
différents niveaux.
Tout d'abord, pour étayer cette thèse, nous
pouvons dire qu'un vide quant à l'exécutif central persiste.
L'assemblée nouvellement renomée ne possède toujours pas
la capacité de désigner un exécutif, comme cela se passe
chez ses voisins européens: il y a toujours cette confusion de
rôles du Syndic Général: à la fois président
d'une assemblée législative et chef de l'exécutif
andorran, qui n'en possède que quelques traits caractéristiques.
Les coprinces, français et espagnol, possèdent toujours le
monopole de l'exécutif (par le biai de leurs représentants qui
possèdent la délégation de signature: les
viguiers).
De plus, la répartition des compétences n'est
pas clairement définie. En effet, un floux artistique perdure. «
Qui fait quoi? »: il s'agit toujours de la grande question centrale, qui
est issue de rivalités de pouvoir au sein même des paroisses, mais
aussi entre l'entité fédéral et les entités
fédérés. Ce que l'on peut dire, cependant, c'est qu'il y a
tout de même l'émergence et par là même la
reconnaissance d'un intérêt général. Entendu comme
l'intérêt de tous les habitants des Vallées neutres, celui
passe par l'affirmation de la supériorité normative des consensus
qui peuvent surgir des débats de la Maison de la
Vallée39.
En conséquence, les « vieux démons »
sont toujours présents. Le système antérieur demeure. Les
changements apportés par la Nova Reforma ne procèdent que de
l'accumulation du droit. Il n'y a pas eu, en effet, de modification des
pratiques politiques de type fédéral. Les paroisses demeurent
compétentes dans bon nombre de domaines et le Conseil
Général est toujours le lieu de discussion et d'échanges,
parfois conflictuels, entre les Paroisses.
L'échelon central n'a pas connu de réforme
profonde, notamment face à la question de son autonomie. En outre, les
conseillers généraux sont toujours liés à leur
paroisse d'origine,
38 Ce décrêt sera ratifié par Napoléon
III plus tard, en avril 1868.
39 Maison de la Vallée: lieu où se tiendront
désormais les séances du Conseil Général.
Jusqu'à cette période, elles pouvaient avoir lieu dans
différents endroits.
et représentent au sein de l'assemblée dont ils
sont membres, leurs intérêts.
La Réforme de 1866 a donc apporté beaucoup de
droits et de libertés aux andorrans, mais n'a pas, sur le fond, rompu
avec le régime féodal de l'égalité paroissiale. Il
y a encore un vide quant à l'émergence d'un pouvoir
législatif central, réel et autonome du reste des entités
fédérés.
Ainsi, l'Andorre peut encore être
considérée, à cette époque, comme une
véritable association politique de territoires. Les changements profonds
apportés par la Nova Reforma ont principalement eu comme
conséquences l'élargissement des droits des andorrans. Par la
suite, nous allons tenter d'étudier les réformes qui ont pu
suivre jusqu'en 1978.
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