Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
§2- Les types de dons dans les électionsLes dons varient d'un scrutin à un autre mais on en distingue qui sont presque toujours observés quelle que soit l'élection. Ces multiples dons peuvent se classer en plusieurs catégories. La première catégorie se structure en subventions étatiques et paraétatiques36(*), en appuis multiformes venant des opérateurs économiques et enfin en offres à l'endroit des électeurs. Les subventions étatiques et paraétatiques sont le plus souvent connues d'avance et constituent pour certains petits partis leurs fonds de base puisqu'ils n'ont pas assez de relations pour se créer d'autres opportunités. Comme le don naturel, ce don crée une dépendance évidente entre le parti et l'Etat et constitue pour les deux une source d'enjeux37(*). Notons aussi que la dépendance s'est établie entre le régime qui a favorisé l'accès des partis aux subventions et certains partis bénéficiaires38(*). Les appuis multiformes sont assurés par les amis des partis ou des hommes politiques. Les grands partis qui disposent de relations assez larges ont beaucoup plus accès à ces dons par rapport aux ``petits partis39(*)''. Les dons ou offres adressés aux électeurs sont composés de promesses électorales, de projets de réalisation, des gadgets, de moyens logistiques et de l'argent liquide. Selon Z .R40(*). « La majorité des partis politiques bénéficient au Burkina Faso des deux premiers types de dons et utilisent la troisième forme dans leur stratégie de campagne » La seconde catégorie se caractérise par d'autres dons matériels et des dons immatériels. Ces dons sont surtout faits aux électeurs par les partis politiques et aussi par leurs émissaires ou intermédiaires. Tableau n0 2. Perception des dons matériels en fonction du sexe
Source : enquête de terrain, mars 2007. Dans l'ordre d'importance, les dons matériels très usités sont : d'abord le lot de pagnes, de tee-shirts, de ballons, de casquettes et d'autres gadgets à l'effigie du parti. La seconde forme de dons matériels est formée par les biens marchands : sucre, sel, cola, café et thé. Le sucre peut être envoyé aux populations lors de certaines fêtes pour le « zom-kom »41(*). Il peut être donné aussi avec le café et le thé aux jeunes qui forment des « grins »42(*). L'argent, les bons de carburant, les parcelles (espaces aménagés dans les zones loties) sont les plus importantes offres après les deux premières catégories déjà relevées. Les dons matériels regroupent ceux en nature et en espèces. On y retrouve les dons marchands alimentaires (sucre, thé, céréales, boissons). O.L43(*) relève un fait marquant au secteur 17 lors des élections municipales de 2006 : « dans la mosquée à coté de ma cour, les chefs de familles ont eu chacun un sac de riz après la prière matinale». On aurait selon cet habitant déposé tôt le matin un lot de sac de riz devant la mosquée et ce, avec l'accord des dignitaires religieux. Certains bâtiments réalisés par le gouvernement sortant accueillent des cérémonies d'inauguration ponctuées par des discours de séduction. Comme le remarque Loada, « Il n'est guère surprenant d'ailleurs que le nombre d'inaugurations ou de démarrage de travaux publics ait connu un accroissement spectaculaire à la veille des élections 44(*)». Socpa relève pour sa part que « hormis les promesses en dotation d'infrastructures de développement, les produits alimentaires et vestimentaires, des gadgets et des pacotilles de toutes sortes sont offerts aux populations pendant les périodes électorales45(*)». L'argent n'est pas épargné dans ces formes d'échange entre les partis politiques et l'électorat. C'est dans l'ordre la septième offre usitée par les partis à Ouagadougou. « La période électorale est en effet perçue par la majorité des citoyens comme le moment où l'on peut reprendre aux hommes politiques l'argent qu'ils ont accumulé depuis leur accession au pouvoir ou plus généralement depuis l'indépendance ».46(*) Les électeurs attendraient donc de tirer des gains financiers de chaque scrutin électoral, de retirer ce qui leur paraît être leur dû retenu par les hommes politiques. Selon P.E. du MPS/PF, on note une certaine évolution depuis 1992 dans la forme et la nature des dons. L'argent étant un moyen visible de corruption, les hommes politiques ont commencé par distribuer des dons en nature (riz, savons, sel, sucre, pagnes) depuis fin 2000. Les moyens de déplacement forment le dernier maillon de dons matériels présentés par les partis politiques dans la ville de Ouagadougou. Ce n'est pas étonnant dans cette ville souvent appelée la capitale des deux roues en Afrique, les mobylettes et vélos sont beaucoup prisés. Cependant, ces engins ne sont pas offerts à tout le monde mais seulement à certains relais c'est-à-dire aux mobilisateurs. Z.R. souligne à cet effet qu'« il arrive que des partis offrent des engins. Ils servent à faciliter les multiples déplacements des différents représentants des catégories de populations aux rencontres des partis ou à leurs actions de mobilisation ».² Autres dons non moins importants concernent les mises à disposition gratuites de locaux et matériels de secrétariat. P.E note que « certains partis sont gratifiés de locaux pour leurs rencontres dans les quartiers et dans le pays sans pour autant verser un pièce. Tout au long des campagnes, ils peuvent en faire leurs sièges. Il en est de même de certains secrétariats qui leur reviennent pour leurs activités de saisie et de tirage 47(*)». Il existe outre les dons matériels, les dons immatériels. Cette deuxième catégorie de dons concerne les promesses48(*), les services rendus et les poses de premières pierres etc. L'électorat est gratifié de multiples promesses de soutien et d'aide pour la résolution de ses problèmes prioritaires. Ces promesses renvoient à l'attribution des postes juteux aux diplômés des secteurs concernés de la ville, à l'amélioration des conditions de vie des populations par la réalisation d'infrastructures socioéconomiques, à trouver de l'emploi aux fils et filles des localités et à hisser au haut rang les élites venant desdites localités. Les deux formes de promesses occupent les premières places des dons immatériels utilisés lors des campagnes et des élections. Les hommes politiques prennent l'engagement ferme de trouver des solutions immédiates aux doléances qui leur sont soumises. Pour Menthong, ce qui importe pour les populations, ce sont « les avantages que la conquête d'une position de pouvoir ou l'exercice d'un rôle d'autorité par un membre de la communauté d'appartenance peut leur apporter en termes de gain, d'avantages politiques, matériels et symboliques et la place que la communauté occupera de ce fait dans le système de domination49(*)». Toute promesse allant dans ce sens ne peut qu'attirer l'attention des populations. Le concept de changement véhiculé par les partis de l'opposition renferme en réalité une panoplie de promesses et de réformes qui auraient une importante influence sur la vie des communautés. Mais selon le quotidien Le pays n03848 « les périodes de précampagne et de campagne sont des moments de promesses dont la durée de vie est égale à celle de la campagne»50(*). Des services sont rendus par les hommes politiques aux électeurs grâce à leurs relations dans l'administration. C'est le cas des dossiers délicats sur l'avancement de certains fonctionnaires qui malgré leurs multiples démarches, n'ont pu résoudre leurs problèmes avec le service de la solde. Les offres de services de certaines entreprises et personnes physiques pour la soumission aux marchés publics seraient appuyées et orientées vers des personnes supposées leur donner une suite favorable. C'est généralement pendant les campagnes que certaines poses de premières pierres symboliques sont faites pour des constructions qui peut-être ne verront jamais le jour. Selon O. N51(*), lors des élections de 2002, un des fils de leur village, homme politique qui leur avait promis depuis 1998 la réalisation d'un barrage, aurait été rejeté par les habitants du village. La promesse n'ayant pas été tenue, les populations ont refusé de sortir à son meeting de 2002. Le candidat a très vite compris la situation et dès le jour suivant des machines ont commencé à vrombir dans la rivière. Les habitants réjouis sortirent très nombreux pour le meeting que celui-ci organisera par la suite. Aux lendemains des élections les machines repartirent avec la promesse qu'elles reviendront et plus jamais elles n'y sont revenues. Les types de dons ci-dessus décrits sont transmis par divers donateurs et ce, suivant des canaux qui méritent que l'on s'y penche. * 36 Ces subventions, si nous tenons compte de la définition sociologique du don, peuvent être classées comme des dons. En effet, l'Etat qui tend la main attend du parti une contre partie qui est d'abord, le respect des règles du jeu (leur utilisation judicieuse selon les lignes prévues). Celui qui reçoit (le parti) se met dans les dispositions de rendre compte un jour et de ne pas offenser le donateur (en transgressant les règles). * 37 L'Etat attend de son don un impact sur la vie du parti et partant, sur la vie politique tandis que le parti entent tirer parti pour faire passer un message et conquérir le pouvoir de l'Etat afin de ne plus se sentir redevable à ce dernier. Un autre enjeu est de prouver à l'Etat qu'il est en mesure de gérer le peu qu'on lui donne pour mériter la confiance de gérer le patrimoine étatique. * 38 Avec la personnalisation du pouvoir d'Etat, un responsable d'un parti bénéficiaire est allé jusqu'à remercier le Président Compaoré pour l'octroi de la subvention. Ce qui laisse penser que le lien de dépendance apparaît aussi entre le régime qui a permis l'octroi de la subvention et certains partis bénéficiaires * 39 Nous entendons par petits partis, les jeunes partis, les partis nouvellement crées ou même qui existent depuis des années mais qui n'ont pas d'assises financières importantes. Les partis peu implantés à l'échelle nationale avec un nombre limité de partisans peuvent se retrouver dans cette expression de petits partis. * 40 Z.R. est le président d'un parti politique. Ce parti fait parti de la coalition CFD/B. Il fut candidat malheureux aux législatives de 2007. * 41 Boisson faite à base de céréales (riz, petit mil etc.), très prisée par la majorité des populations. * 42« Le grin » : Expression issue du djula, elle signifie d'abord une réunion ou un groupe de personnes qui s'identifient par rapport à un certain nombre de valeurs. Le grin est généralement constitué par des jeunes. Ce sont selon J. Kieffer, des endroits où des jeunes, souvent sans emplois fixes et célibataires, se retrouvent chaque jour dans la rue pour « passer du temps » autour d'un thé (Cf. Les jeunes des « grins » de thé et la campagne électorale à Ouagadougou, politique africaine, n0101, Paris, édition Karthala, Mars-Avril 2006, p9) * 43 O.L. est un responsable de la mobilisation des jeunes pour le compte du PAI à Boulmiougou. * 44 Voir « Les élections législatives burkinabè du 11 mai 1997 : des « élections pas comme les autres » ? A.M-G. Loada, in politique africaine n0 69, Paris, édition Karthala, mars 1998, p65. * 45 Voir « les dons dans le jeu électoral au Cameroun », A. Socpa, in Cahiers d'études africaines, n0 157, 2000, p14. * 46 Voir « Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin », R. Banégas, in Politique africaine, n0 69, Paris, édition Karthala, 1998, p79. * 47 P.E du MPSPF, membre du bureau politique national. * 48Le propre du don sociologique est la construction d'enjeux sociaux. Le donneur attend que ce qu'il a remis produise des effets immédiats ou futurs. Un effet fondamental est le contre don qui peut être actuel ou reporté suivant une certaine temporalité. Durant le temps qui sépare le don et le cotre don, le donneur espère des retombées tandis que le « receveur » espère tirer au maximum partie, tout en ayant conscience qu'il devrait un jour rendre la monnaie. Si l'on se fonde sur la question d'enjeux sociaux qui se trament dans les interactions des agents, les promesses sont bien des dons dans la mesure où elles conditionnent, structurent et orientent les rapports des acteurs. Du point de vue de la conception du don comme objet matériel, les promesses sont une forme incomplète de don, car elles ouvrent la pandore de l'espérance (en amont) et crée une certaine reconnaissance, mais elles n'acquièrent leur complétude de dons que lorsqu'elles sont accomplies (en aval). Il y a donc deux dimensions dans les promesses, elles ont un impact immédiat qui consiste à produire l'espérance, et un impact futur qui se produit lors de leurs réalisations effectives. * 49Voir « vote et communautarisme au Cameroun. un vote de coeur, de sang et de raison », H. L Menthong, in Politique africaine, n° 69, mars 1999, p49. * 50Voir « quand les pouvoirs se nourrissent de l'ignorance des populations », Le pays n0 3848 du 13 au 15 Avril2007, p31. * 51 O.N. est un jeune diplômé en pharmacologie, il est un responsable de la mobilisation du MPS/PF à Wemtenga |
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