Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
Chapitre I. De la pratique des dons dans les électionsDurant tous les scrutins organisés, les pratiques et les usages de dons multiformes ont été remarqués au Burkina comme cela se passe partout en Afrique. Cependant l'absence de données scientifiques avérées sur les élections avant 1991 rend l'analyse de la manifestation des dons difficile dans cette période lointaine de l'histoire politique du Burkina. La problématique des dons électoraux ne se limite pas aux élections organisées sous la quatrième République, d'où la nécessité de porter un regard diachronique sur l'évolution de l'usage des dons dans les différentes élections au Burkina Faso (I). Il apparaît ensuite nécessaire d'appréhender les types de donateurs et les moyens de transmission des dons aux électeurs (II). Section I. L'historique et la typologie de donsL'émergence du phénomène du don électoral au Burkina Faso est le fruit d'un processus qui s'est construit tout au long des différentes joutes électorales. Comment expliquer l'évolution du phénomène de don électoral au Burkina Faso (§i) ? Quelles classifications peut-on faire de ces dons (§2) ? §1- L'évolution du phénomène du don électoral au Burkina FasoSituer la période de l'avènement des dons dans le jeu électoral au Burkina Faso a été une préoccupation centrale de la présente étude. P.E26(*)explique qu'il faut d'abord rechercher dans la base sociologique, l'origine du don électoral au Burkina Faso. L'émergence des dons dans le champ électoral s'est progressivement opérée. Bagoro s'appuyant sur l'analyse d'IDEA note que la campagne électorale au Burkina Faso tend « trop souvent à se caractériser par la remise des cadeaux et l'achat des consciences 27(*)». De nos recherches, il est ressorti qu'en réalité c'est au cours des élections présidentielles de 1978 que les dons ont connu leur apparition dans les campagnes. K.A28(*) explique que pendant les élections de 1978, les principaux partis qui ont brillé dans l'usage des dons sont le RDA et l'UNDD. La situation financière des partis de l'époque et leur nombre assez réduit ont rendu moins visible l'utilisation des dons. Cette situation a connu une montée progressive depuis les élections présidentielles du 2 juin 1991. Tableau n0 1. Apparition des dons dans les élections au Burkina Faso selon les variables sexe, âge et niveau d'instruction
Source : enquête de terrain, mars 2007. Le tableau ci-dessus donne un aperçu général des réponses des enquêteurs sur les moments probables de l'émergence du don dans les élections dans la ville de Ouagadougou. Les données du tableau concordent sur cette date de 1992 comme le point culminant de l'usage excessif des dons dans les élections. Sur les 40 personnes enquêtées, 21 personnes soit 52.5% soulignent que c'est à partir des législatives de juin 1992 que le phénomène « don électoral » a commencé à être très manifeste. Quelle que soit la variable prise en compte, le tableau permet de mettre en exergue l'année 1992 parmi les différentes dates qui ont été proposées par les répondants. Des focus, il ressort que l'année 1998 marque le point d'orgue du fort usage des dons dans les campagnes électorales. Bien que ce soit dès 1992 que les élections ont connu un regain d'intérêt au Burkina Faso, les entretiens montrent que c'est à partir de 1998 qu'elles vont être émaillées de l'usage de nombreux dons. « Il fut un moment où les populations et les partis politiques ont compris que le changement (l'alternance) n'était plus possible. Dès lors, les partis politiques qui ne connaissaient pas encore les pratiques clientélistes, sont entrés dans la danse avec le parti au pouvoir. En d'autres termes, il s'agit pour les partis politiques de se prévaloir des mêmes armes (les pratiques clientélistes) pour conquérir l'électorat dont le parti au pouvoir maîtrisait grâce aux dons 29(*)». Les partis politiques de l'opposition suite à la révision de l'article 3730(*) ont vu leur espoir de gagner les élections futures s'émousser. Tous les moyens paraissent dès lors nécessaires pour se tailler une belle image auprès des populations afin d'espérer obtenir quelques voix. Dans cette optique et malgré leurs moyens limités, tous les partis dans la course au pouvoir n'ont cessé d'offrir des cadeaux ou d'en promettre à l'occasion des scrutins. En outre, la multiplication du nombre de partis politiques pourrait expliquer l'émergence du phénomène. « Tout parti, quelle que soit son obédience, qui veut maintenir une bonne audience et garder solide ses bons contacts avec l'électorat, est tenu de faire des offres. C'est une opération coup de charme qui, pourtant, s'impose au regard du nombre croissant des partis politiques31(*) ». Les pratiques clientélistes sont devenues depuis 2002 une arme efficace aux mains de tous les partis y compris les partis d'opposition. Les partis d'opposition ont connu un succès spectaculaire aux législatives de 2002. L'opposition a connu ses premières percées électorales, en remportant lors des élections communales du 24 septembre 2000, 6 communes sur 49. Les législatives de 2002 ont confirmé cette montée en puissance de l'opposition, puisqu'elle y a remporté 54 des 111 sièges parlementaires32(*). Mais cette montée de l'opposition dans le jeu politique trouve certainement ses raisons dans la situation sociopolitique que le pays a vécu depuis le décès de Norbert Zongo survenu le 13 décembre 1998. Juste après cet évènement, « un collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques est créé pour lutter contre l'impunité et pour la justice, avec pour slogan ``trop c'est trop'' »33(*). La publication du rapport de la commission d'enquête indépendante loin de décrisper le climat social a déclenché de troubles et de violences importantes. Dans cette situation de crise profonde, les partis d'opposition qui se sont alliés au mouvement du collectif ont trouvé une occasion pour se rapprocher davantage du peuple. L'électorat, de l'avis de certains analystes, aurait sanctionné le pouvoir pour les cas de crime impunis en accordant sa confiance au renouveau politique incarné par les partis politiques de l'opposition inscrits dans le collectif34(*). Ainsi les résultats aux législatives de 2002 ne sauraient être justifiés seulement par l'effet de la pratique des « dons électoraux »; car la crise qui a précédé ces élections a eu un impact aussi fondamental sur la réalité politique et sur les stratégies des acteurs. En outre, les acquis suivants ont été constatés avant le déroulement du scrutin de 2002 : la création d'une structure de suivi et d'observation des élection appelée Observatoire National des Elections (ONEL), la révision du code électoral avec l'adoption du scrutin proportionnel avec répartition complémentaire de sièges aux plus forts restes lors des législatives et l'introduction du bulletin unique et enfin le renforcement de la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante) et de la liberté de la presse. Tous ces changements dans la vie politique du pays ont certainement contribué à l'émergence d'une ``opposition réelle''. Dès lors, l'usage des dons par l'opposition peut se présenter comme un moyen de maintenir en haleine l'électorat et conserver ses chances pour les échéances futures. Selon S.A35(*)« les dons sont entrés dans les moeurs politiques au Burkina durant la troisième mandature (présidentielle et législative) et dans la présente en cours depuis fin 2005 ». Ainsi, bien que les dons eussent été déjà utilisés dans certaines élections, c'est durant ces derniers mandats que le phénomène a pris une certaine ampleur. En somme, les analyses montrent que depuis 1991, les élections au Burkina ont toujours été fortement marquées par le foisonnement en leur sein des dons de diverses catégories. Au fil des ans et selon les types de scrutins, les dons sont entrés dans les habitudes des partis politiques et aussi dans celles des populations. Il convient dès lors de décrire et de classifier les différents dons usités. C'est ce à quoi nous nous attèlerons dans le paragraphe suivant. * 26 P.E. est membre du bureau national du MPS/PF * 27 B. Bagoro, Démocratie et processus électoral au Burkina Faso, mémoire de maîtrise Droit Public, Université de Ouagadougou, FDSP, 1998-1999, p77. * 28 K.A. est actuellement conseiller municipal à la mairie centrale au compte du CDP. * 29 Entretiens focus au secteur 27 et 29. L'année 1998 se caractérise par la révision de l'article 37 de la constitution qui a ouvert grandement la voie au Président sortant Blaise COMPAORE de se représenter. Le groupe du secteur 27 formé dans le cadre de ce focus était composé de 2 étudiants, 2 élèves, 2 commerçants, 2 enseignants et de 2 charretiers. Le groupe du secteur 29 était composé de 1 étudiants et 2 étudiantes, 2 professeurs de lycées et collèges, 3 commerçants, 1 technicien du froid et 1 vendeur de kiosque. * 30 L'article 37 porte sur la limitation des mandats présidentiels. A l'issue de sa révision, le mandat présidentiel qui était limité à 7 ans renouvelable une fois est passé en 1997 à 7 ans renouvelable puis à 5 ans renouvelable une fois en 2000. La discussion houleuse qui s'en est suivie entre les principaux partis de l'opposition et le parti au pouvoir sur la rétroactivité des effets de son application n'a pas empêché la candidature de Blaise Compaoré. * 31 N. A, conseiller régional CDP du centre et conseiller de Tanguin Dassouri. * 32Voir « L'après-Zongo : entre ouverture politique et fermeture des possibles », M. Hilger et J..Mazzochetti, in Politique africaine, n0 101, édition Karthala, 2006, p9 et 10. * 33 L. M. Ibriga et A. Garané, Constitutions burkinabè, Namur, boland, 2001, p48. * 34 Indépendant n0 705 du 13 mars 2007. * 35 S.A. Membre du bureau national du PDP/PS |
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