Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
§2- L'incidence effective des dons sur les choix électorauxLa pluralité des dons observés dans les élections au Burkina et surtout l'importance que les populations semblent leur accorder invite à s'interroger sur leur impact véritable sur les comportements des électeurs. En d'autres termes les dons seraient-ils des éléments déterminants des choix des électeurs dans la ville de Ouagadougou? Pour Boy et Mayer128(*), le comportement de l'électeur n'est jamais neutre, il est le résultat d'un calcul dont lui seul connaît les véritables mobiles. Ainsi écrivent-ils : « qu'il s'intéresse beaucoup ou pas du tout à la politique, qu'il en parle volontiers ou jamais avec son entourage, qu'il aille voter ou qu'il reste chez lui le jour de l'élection, qu'il s'en remette à ses élus ou qu'il soit prêt à descendre dans la rue pour exprimer ses opinions, l'électeur a ses raisons». Quelle que soit l'attitude adoptée par l'électeur, celle-ci reste motivée par une raison quelconque. Il n'existe donc pas de hasard dans le comportement de l'électeur, il s'engagerait en fonction de ses logiques propres et de ses attentes dissimulées. Faut-il dès lors conclure que les choix politiques des électeurs soient motivés par les dons qui leur sont faits ? C'est à cette question que nous nous attellerons de répondre. Selon les résultats du tableau n03 ci-dessus présenté, 77.5% des enquêtés reconnaissent que c'est surtout pendant les campagnes électorales que beaucoup de partis font des offres aux populations. Ceci pourrait expliquer l'intérêt que les partis accordent à l'impact des dons pendant les élections sur la participation des électeurs aux activités de mobilisation mais aussi aux résultats finaux. C'est donc certainement pour cette raison que les partis s'évertuent à faire des offres aux électeurs. En effet, comme nous l'avions signalé au chapitre II (section I§1), les logiques qui sous-tendent la naissance et les luttes entre les partis politiques sont à rechercher dans leurs mobiles inavoués. De même, ces types de mobiles dans lesquels les dons trouvent une place de choix, pourraient permettre d'expliquer le comportement de certains électeurs. Le tableau suivant donne un aperçu des perceptions des populations rencontrées par rapport à l'influence des dons sur les choix des électeurs. Tableau n04. Mesure de l'effectivité de l'influence des dons en fonction des variables : Sexe et âges.
Source : enquête de terrain, Mars 2007. Il se dégage de ce tableau que la majorité des enquêtés admettent et confirment l'impact des dons dans les choix des électeurs lors des élections. Ainsi, 80% des hommes et 60% des femmes, soit en tout 70% des personnes enquêtées notent l'influence effective des dons sur les comportements des électeurs. Le constat reste le même quelque soit l'intervalle d'âge pris en considération. En outre, les données de ce tableau peuvent être complétées par celles du tableau n0 13 en annexe qui établit une relation entre l'incidence des dons sur les comportements des électeurs et certaines variables (la profession et le niveau d'instruction). En effet, on y observe que le niveau d'instruction ou la fonction des acteurs sociaux n'influence aucunement leur réponse à la question de savoir si les dons ont une quelconque influence sur les résultats électoraux. Dans le tableau n04, il s'agissait de savoir si de l'avis des populations, les dons avaient une influence sur les comportements des électeurs. Ce tableau permet de savoir si ceux qui reçoivent les dons votent généralement pour les donateurs.
Tableau n0 5. Rapport entre dons et vote des électeurs.
Source : enquête de terrain, Mars 2007. Si l'on se confère au tableau ci-dessus on peut établir une corrélation effective entre les dons reçus et la distribution des voies des électeurs. Ainsi 80% des hommes soutiennent que les électeurs votent ceux avec qui ils ont pris les dons. Cette situation est confirmée avec moins d'acuité chez les femmes (70%). Mais il reste que de tous les deux cotés, la majorité reconnaît l'effet des dons sur les choix des électeurs. Dans nos entretiens avec les personnes ressources, il se dégage l'idée que les dons ont une influence effective sur les comportements des électeurs. La pauvreté des électeurs les conditionnerait à l'acceptation des dons et partant à l'aliénation de leurs comportements aux dons. Pour illustrer ce fait, le focus secteur 27 donne l'exemple suivant : « quand vous êtes dans une situation de sous emploi ou de chômage, ou quand vous vous posez la question sur comment faire pour avoir un plat à midi, si un parti pendant ce temps venait à vous proposer une offre alléchante, vous ne pouvez résister129(*) ». Z.R. de la CFD/B abonde dans le même sens en ces termes : « dans un pays pauvre comme le notre, les masses acceptent et réclament les dons durant les campagnes non par plaisir mais par ce qu'elles sont dans une situation qui les oblige à le faire. C'est une question de survie ». Dans ce cas, comment expliquer que même des gens aisés amassent et s'approprient certains dons ? Ce ne sont pas visiblement les pauvres ou la seule condition de pauvreté qui conduit à une telle pratique qui, par la suite, oriente les choix des électeurs. Il faut dire que c'est une pratique qui a fini par entrer dans les moeurs et les habitudes des populations que toute élection est une occasion de distribution clientélaire de ressources. A cet effet, on note avec Houngnikpo130(*) qu'au lendemain de l'avènement de la démocratie, les populations ont rapidement établi une corrélation entre le pouvoir et la richesse illicite en Afrique entraînant une course sans répit au pouvoir. Le combat vital des partis étant pour l'enrichissement, il est normal que les électeurs attendent d'eux des gestes avant de les voter. De plus, les électeurs sont écartelés et tiraillés, pris dans le jeu complexe de pression et de contre-pression, de requêtes et d'attentes. En proie aux problèmes de survie immédiate et face aux dons qui tombent du ciel telle une manne, ils ne peuvent rester indifférents. Les partis politiques pour mieux avoir plus d'impact dans leurs actions développent dans leur approche « la pression alimentaire131(*) », c'est à dire offrir à boire et à manger à l'électorat, à promettre des nominations dans les hautes sphères de l'Etat. Ces propositions ne peuvent évidemment rester sans effet sur l'électorat sensible à ces types de questions. L'exemple que donne P.E. du MPS/PF est très frappant. Il l'exprime en ces termes : « Dans un village de Ouagadougou, j'étais en compétition avec le CDP et l'ADF/RDA pour la municipalité. J'avais deux conseillers qui étaient des ressortissants de ladite localité mais j'ai perdu les élections. La raison était simple : au lieu d'apporter la somme demandée par les habitants pour la réparation de leur pompe et l'achat de leur moulin, j'ai promis de le faire. L'ADF/RDA qui y est passé après moi a répondu à leurs sollicitations en remettant une enveloppe de 500 mille francs. Au finish, ce parti remporta plus de 200 voix contre 26 pour mon parti et 20 pour le CDP ». S'il est vrai que les dons sont des canaux exploitables par les électeurs pour subvenir à leurs besoins, il est évident que ce qu'ils reçoivent pendant les campagnes ne met pas fin à leur pauvreté. Malgré tout, certains électeurs ne peuvent s'en passer, ils seraient même capables de refuser de voter s'ils n'en obtenaient pas (Kiéma, Boy et Mayer). Nul doute que les dons puissent avoir une quelconque influence sur les choix des électeurs, mais il est ressorti de nos investigations que l'impact des dons est plus important pour certaines catégories de populations. En d'autres termes la population entière ne vit pas cette influence de la même manière. Les analphabètes en général, et les travailleurs du secteur informel (généralement moins instruits) sembleraient beaucoup plus enclins à subir l'incidence des dons dans leurs choix électoraux. En outre, on peut soutenir que l'incapacité à lire le jeu politique et les programmes des acteurs rendent ces catégories d'électeurs plus vulnérables. Cependant, comme nous l'avions déjà relevé plus haut, les franges les plus riches et les plus instruites n'échappent pas à cette logique même si l'incidence à leur niveau est à relativiser. Il ne suffit pas en effet, d'être riche ou bien instruit pour comprendre aisément le jeu politique ou pour échapper au jeu de séduction des partis. Les partis politiques développent durant les scrutins leurs stratégies en tenant compte du type de population auquel ils font face. De ce fait, tous les électeurs sont exposés aux ruses des partis. Il faut souligner que pour une partie (soit 30%) de la population rencontrée dans cette étude, l'effet des dons sur les comportements des électeurs est négligeable. Braud note que « la découverte d'exemples qui confirment une théorie a très peu de signification si nous n'avons pas essayé, sans succès de découvrir des réfutations. Rien en effet, ne garantit que d'autres faits, involontairement écartés ou non soupçonnés, ne contredisent pas les premiers132(*) ». Quelles peuvent être dès lors les limites objectives de l'impact « des dons électoraux » ? * 128 D. Boy et N. Mayer, L'électeur a ses raisons, Paris, presse science po, 1997, p11. * 129 Entretien focus group du secteur 27. * 130 M. C. Houngnikpo, L'illusion démocratique en Afrique, Paris, L'Harmattan, 2004, p 134. * 131 A. Socpa. op cit. p2. * 132K. POPPER, cité par P. BRAUD, in, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 2002, p631. |
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