Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou( Télécharger le fichier original )par Oumarou Kologo Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007 |
Section II. Les Limites de l'effet des dons sur les comportements électorauxLa part des dons dans la détermination des choix des électeurs, même si elle n'est pas négligeable, elle comporte des limites qu'il conviendrait de dégager. Les exigences démocratiques voudraient que toute élection soit encadrée par des observateurs (nationaux comme étrangers) et leur rôle combien important pourrait réduire les ardeurs de toute tentative de clientélisme et rendre du coup l'élection transparente. Les détournements des dons constituent aussi un moyen qui peut amenuiser l'impact des dons sur les électeurs. Enfin, on ne saurait ignorer le déterminisme symbolique des pesanteurs socioculturelles dans toute entreprise humaine. §1- Le rôle des observateurs et les cas de détournementsL'élection présidentielle de novembre 2005 aurait connu la participation de 1400 observateurs dont 400 observateurs internationaux mandatés par une quarantaine d'associations et de structures internationales dont les principales sont l'Union Africain (UA), l'Organisation Intergouvernementale de la Francophonie (OIF) et l'Union Européenne. Ces missions d'observation de l'élection présidentielle du 13 novembre 2005, rappelle-t-on, ont été, pour la plupart, invitées par le gouvernement burkinabé133(*). Parmi les observateurs nationaux, on note les membres des institutions politiques comme la CENI, le conseil d'Etat et le conseil constitutionnel, les membres du MBDHP, et de certaines ONG, etc. Ces observateurs viennent en appui aux observateurs des partis politiques positionnés dans les bureaux de vote. L'incapacité financière de certains partis fait qu'ils sont moins représentés dans les bureaux de vote. Qu'à cela ne tienne, la présence d'un nombre aussi important d'observateurs pourrait brouiller les voies de tricheries et donc de corruption, ce qui sans doute réduit les possibilités d'influence systématiques des choix des électeurs. Certains observateurs, peu neutres peuvent fermer les yeux sur des cas de fraudes massives et de corruptions pratiquées sous leur nez. On ne peut donc conclure que les observateurs mettent pratiquement fin aux magouilles électorales. Ils sont, pour la plupart, absents lors des campagnes alors que c'est surtout pendant ces moments que la pratique des dons est assez prégnante. Leur influence sur la pratique des dons pourrait être effective si leur mission commençait en même temps que le début des campagnes. Une meilleure analyse des limites des dons dans l'orientation des comportements de l'électorat ouagalais devrait intégrer l'usage que les donataires en font. Comment les dons reçus sont-ils utilisés par les bénéficiaires ? Pour Socpa, les dons dans le champ électoral subissent des détournements de deux ordres dont le non respect des électeurs de leurs engagements vis-à-vis des partis (les promesses de certains électeurs de voter tel ou tel parti) et la confiscation voire la conservation des dons par les émissaires. Certains électeurs refuseraient après avoir pris les dons d'aller voter pour les partis qui les leur ont offerts. Cela témoigne de l'existence d'électeurs inconstants et irrésolus. Il s'agirait ici de décisions soit souverainement prises ou faites sous pressions par lesquelles les électeurs renoncent à des partis pour lesquels ils s'étaient engagés. Ces électeurs après avoir pris part à toutes les rencontres des partis en question, ils pourraient décider stoïquement de quitter leurs navires à la dernière heure. Ce virage est très fréquent à Ouagadougou parce que les populations s'organisent pour mieux tirer partie des élections. Les « grins » de thé qui poussent comme des champignons à l'approche des élections témoignent de l'ingéniosité de certains habitants qui voient dans les élections de simples occasions pour s'amasser des ressources. Banégas134(*) parle dans ce cas d'une « revanche des électeurs » c'est-à-dire la capacité de ces derniers à renverser la relation clientélaire à leur profit en conservant une large latitude d'action vis-à-vis des offreurs ou « patrons » politiques. C'est ce qui explique que certains électeurs réclament eux mêmes les dons aux hommes politiques. Ils n'attendent plus l'initiative des partis, ils demandent des sources de motivation, des stimulants avant de prendre parti. En effet le tableau n0 16 en annexe montre que 65% des enquêtés soutiennent que le don est devenu une exigence de l'électorat. Certains mobilisateurs rencontrés dans les quartiers nous ont confié que leur rôle principal n'est pas forcément d'amener les populations qu'ils mobilisent à voter pour le parti mais surtout les amener à prendre part aux meetings. K.A135(*)s'inscrit dans ce sens quand il confie que : « Mon travail est un simple contrat dans lequel le parti gagne et moi aussi j'en tire quelques avantages. Je suis tenu de mobiliser, de convaincre les gens et les conduire dans les meetings. C'est aux responsables du parti de gagner leur confiance ». Cependant bon nombre de ceux qui viennent aux meetings repartent généralement avec des cadeaux du parti qu'ils auraient rencontré. Evidemment, dans une telle optique les populations réunies dans les campagnes électorales sont composées de militants, de sympathisants et bien sûr de « mendiants » qui viennent guetter les offres. On comprend aisément qu'après avoir obtenu ce qu'ils veulent, ils s'en vont tout en laissant les hommes politiques à leur sort. Le deuxième type de détournement et c'est d'ailleurs le plus important parce qu'il est non seulement l'expression d'une trahison vis-à-vis du parti que l'émissaire représente, mais il est aussi une action qui réduit considérablement les efforts de mobilisation des partis. Ce détournement est de l'apanage des intermédiaires, courtiers ou émissaires politiques. La grande majorité, soit 90% des interviewés ont répondu que les intermédiaires ne transmettent pas toujours les dons. Les modalités suivantes ont été invoquées par les répondants pour exprimer cet état de fait : ü ils ne donnent qu'à leurs connaissances, amis et familles, ü ils en profitent au maximum et donnent les miettes aux autres, ü ils ne voient que leurs propres intérêts, ü les campagnes sont l'occasion pour eux de s'enrichir, ü ils s'approprient une grande partie des dons, ü ils profitent de ces dons pour réaliser leurs projets personnels qui dormaient dans les tiroirs, ü les intermédiaires sont aussi des nécessiteux qui profitent de la situation. En clair, certains émissaires ou courtiers politiques auraient de nombreux projets dont ils conditionneraient la réalisation à l'obtention des dons matériels ou financiers. Ce sont donc des saprophytes qui ont réussi à convaincre les dirigeants politiques de leur soutien et qui, cependant cachent des objectifs inavoués à atteindre. Il n'y a pas que les intermédiaires pauvres qui détournent. « Quel que soit le niveau et le statut social de l'intermédiaire, il est capable de détourner ce qu'on lui remet pour les électeurs. Cela dépendant d'abord de ce qu'il reçoit et de la quantité des dons qui lui sont remis136(*)». Leurs actions ne permettant pas la circulation effective des dons jusqu'aux destinations prévues, elles écourtent l'impact que ces dons auraient eu en temps réel. L'action des intermédiaires et des observateurs ainsi décrite permettent de mettre du bémol sur l'incidence effective des dons. Les pesanteurs sociologiques et les promesses non tenues des hommes politiques pourraient aussi être des aspects considérables contribuant à amenuiser l'effet des dons sur l'électorat. * 133 WWW.AIB.BF, samedi 12 novembre 2005. * 134Voir « Marchandisation du vote, citoyenneté et consolidation démocratique au Bénin », R. Banégas, in politique africaine, n0 69,Paris, Karthala, 1998, p76. * 135 Conseiller municipal à la mairie centrale au compte du CDP * 136 P.E du bureau politique national du MPS/PF |
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