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Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou

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par Oumarou Kologo
Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007
  

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Chapitre I.  L'influence des dons sur les choix des électeurs

Consacrée à la description de la manifestation du phénomène des « dons électoraux » et des objectifs auxquels les partis qui en font usage cherchent à atteindre, notre première partie a permis de décrire le champ électoral dans la ville de Ouagadougou, les acteurs qui y sont impliqués et leurs stratégies d'action. Nous tenterons dans cette partie d'analyser l'influence qu'ont les dons en période électorale sur les comportements des électeurs c'est-à-dire comprendre s'ils déterminent ou orientent leurs choix et donc l'affectation de leurs voix. Dans ce chapitre la portée des dons dans les élections (Section I) et les limites objectives de ses effets (Section II) seront évoquées.

Section I. La portée des dons dans les élections

Les périodes électorales sont caractérisées par des dons de plusieurs ordres qu'il conviendra d'élucider en recherchant les encadrements juridiques qui y sont consacrés (§1). Il importe ensuite de saisir la part d'influence que peuvent avoir les divers dons sur les comportements des électeurs (§2).

§1- La diversité des dons et leur encadrement juridique

Les dons comme nous avons tenté de le développer dans le chapitre I sont multiples et de plusieurs origines. Nous essayerons dans ce paragraphe de déceler les règles qui régissent leur acquisition par les partis. Existe t-il une législation en matière de « dons  électoraux »? Si non, quel est l'impact mesurable de cette lacune juridique dans la vie des partis ? Y a-t-il nécessité de dégager des normes pour organiser les processus d'acquisition des dons par les partis et leur transmission à l'électorat?

Il faut dire d'emblée que les dons offerts par l'Etat servent au renforcement des capacités financières des partis pour leurs activités tendant à assurer l'ancrage de la démocratie. Les différents financements qu'offre l'Etat se situent à ce niveau. La loi n0 012-2000/AN117(*) modifiée par la loi n0 12-2001/AN portant financement des activités des partis politiques et des campagnes électorales, prévoit en son article 2 que dans l'exécution de leurs missions, les partis politiques bénéficient de financement public dans les conditions fixées par la loi. L'article 4 de cette loi dispose que « l'Etat contribue au financement des coûts des campagnes électorales des partis politiques par des fonds publics ». Il existe au stade actuel le seul financement public reconnu et pour lequel les partis politiques sont amenés à fournir des documents justificatifs de dépense. Il se subdivise en deux types : le financement pour le fonctionnement des partis politiques (financement hors campagnes électorales) et le financement des différentes campagnes électorales.

  Le premier type de financement est fonction de l'assise politique, au niveau de représentativité des partis. Il prend en outre en compte le nombre de suffrages exprimés pour les partis lors des dernières élections législatives. Ce financement se subdivise en deux parties dont celui accordé aux partis ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés lors des dernières élections législatives (art14). La seconde partie est accordée équitablement aux partis sans aucune autre distinction. Il faut noter qu'ils sont rares les partis qui arrivent à réunir le taux de suffrages exigé. Ainsi, durant la troisième législature, seuls le PDP/PS, l'ADF/RDA et le parti au pouvoir ont reçu un tel soutien. Par exemple, la subvention de l'Etat en 2007 est répartie comme suite : 50 millions répartis entre les partis qui ont eu au moins 5% de suffrages, 50 millions répartis équitablement et enfin les 400 millions répartis entre les partis en tenant compte des listes présentées.118(*)

Si l'on considère bien les partis d'opposition qui en ont bénéficié lors de la législature antérieure, il apparaît clairement que ce sont des anciens partis. Ce sont des partis assez imposants au sein de l'opposition burkinabè. L'appui financier de l'Etat aux partis pour organiser leurs campagnes électorales tient compte du nombre de listes présentées par ces partis; mais ce financement est équitable s'agissant des élections présidentielles. Lors de l'élection présidentielle de 1997, les trois candidats s'étaient répartis les 100 millions de FCFA et chacun avait acquis la bagatelle de 33, 333 millions de FCFA119(*) , alors que pour le scrutin présidentiel de novembre 2005, « les partis en course n'ont reçu chacun que 7. 692 307 francs 120(*)».

Un rapport dûment élaboré par les différents partis faisant mention des usages des fonds qui leur sont alloués, accompagnés des documents comptables doit être transmis à la Cour des comptes durant le premier trimestre de l'année suivante (art13). La Cour des comptes se prononce sur la régularité des dépenses de campagne et hors campagne des partis. Dans le cadre de son exercice de contrôle, le Rapport public 2005 de ladite institution a été remis au président du Faso, le vendredi 13 juillet 2007. La Cour y a mis à nu des malversations financières de certains partis politiques qui usent avec indélicatesse l'argent du contribuable burkinabè. Ces partis feraient tout pour ne pas justifier les subventions à eux accordées121(*)

Les autres financements et appuis divers en provenance d'autres partis, des entrepreneurs privés, des amis et anciens membres des partis appelés à des fonctions ou à la retraite, ne sont pas encadrés juridiquement. Ces types de dons sont cependant très importants. Tous les partis, en fonction de leurs relations privilégiées avec les milieux des affaires peuvent tirer parti. Dans certains partis dits de l'opposition radicale, on note que ces pratiques ne sont pas absentes. Cette situation est confirmée par certains propos tels ceux de Déma Raphaèl Bado ex-député démissionnaire du PAREN. Celui-ci confiait ceci à la presse pour expliquer son engagement avec ce parti. « J'ai décidé de me battre du coté de mon grand frère (Bado) de façon désintéressée. J'ai financé le CDP pour douze millions. Je suis prêt à injecter dix millions pour  les campagnes du PAREN122(*) ».

Il paraît toutefois logique que le parti au pouvoir, qui a tissé des liens avec tous les milieux des affaires puisse bénéficier davantage de ces types de dons par rapport aux partis d'opposition. Hilger et Mazzochetti le démontrent bien quand ils affirment que  la campagne a encore confirmé le gouffre entre les ressources de l'opposition et celles du pouvoir en place. Elle a accentué le sentiment que la politique n'est qu'un « business »123(*). Ils précisent leurs propos en ces termes : « à s'en tenir aux chiffres officiels, peut être minimisés, la campagne du président sortant aurait coûté 983 millions de francs CFA, soit 60 fois plus que celle de son concurrent immédiat, Bénéwendé Sankara. Encore que ce montant n'inclut-il pas l'utilisation des moyens de l'Etat, ni des dons en espèces et en nature des entrepreneurs burkinabè et des chefs d'Etats amis124(*) ».

La loi n'interdit et ne limite pas les appuis divers que les partis peuvent solliciter auprès des personnes morales ou physiques. Chaque parti, dans les limites de ses relations et de ses compétences pourrait amasser plus de fonds et d'appui multiformes qu'il ne reçoit de l'Etat. Quand on sait que les partis n'ont pas la même audience auprès des opérateurs économiques locaux et des bailleurs extérieurs, on comprend aisément l'écart important entre les fonds investis par le CDP et ceux injectés par l'UNIR/MS. Dans une telle situation peut-on s'attendre à ce que la compétition électorale soit équitable? Le système français offre un avantage comparatif que les autorités politiques devraient exploiter.

Selon Vincent et Villier, le code électoral français dispose en ce qui concerne les dons ce qui suit :« les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d'un ou de plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4.600 euros. Les personnes morales, à l'exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d'un candidat ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. Tout don de plus de 150 euros consentis à un candidat en vue de sa campagne doit être versé par chèque. Aucun candidat ne peut recevoir directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d'un Etat étranger ou d'une personne morale de droit étranger 125(*)». Un encadrement juridique qui s'inscrirait dans l'option prise par la France s'impose donc au cas burkinabè afin d'assurer l'équité entre les partis et une concurrence loyale lors des campagnes.

Non seulement, on note un faible encadrement de la loi en matière de dons reçus par les partis mais on peut aussi remarquer que cet encadrement est quasi inexistant concernant les types de dons transmis par les partis à l'électorat. Ni le code électoral ni la loi portant financement des activités des partis politiques n'en fait vraiment cas. Une telle ouverture offre une parfaite occasion aux partis de se lancer dans des pratiques de corruption. La corruption dans le financement de la vie politique prend dès lors plusieurs formes, allant de l'achat des votes à l'utilisation de fonds illicites et l'abus des ressources étatiques. Selon S.A. :« La loi ne plafonnant pas les dépenses des partis et ne règlementant pas les dons privés (opérateurs économiques, sociétés), elle favoriserait seul le parti au pouvoir car, seul ce parti peut se créer de bons contacts avec les donateurs privés »126(*).

Cette situation d'absence de normes juridiques encadrant les multiples dons qui se manifestent dans le champ électoral, donne plus de force aux partis qui ont d'importants rapports avec le monde des affaires au détriment des autres partis. Cet avantage dont jouissent généralement les grands partis et en particulier le parti au pouvoir n'est pas de nature à créer des conditions idoines pour un meilleur fonctionnement des partis politiques encore moins assurer des élections transparentes. En effet, les partis ne partent pas aux élections sur le même pied d'égalité du moment où certains d'entre eux ont reçu un double appui dont le financement public et les dons privés.

L'encadrement juridique des dons existe dans des pays comme le Bénin ou le Cameroun. Ainsi par exemple, la loi 94-013 du 17 janvier 1995 portant règles générales pour les élections du président de la république et des membres de l'Assemblée Nationale au Bénin interdit en son article 31  les dons, les libéralités et toutes les faveurs administratives faits à des fins de propagande pour influencer ou tenter d'influencer le vote. La limitation des dons privés et aides peut aussi s'observer dans certaines législations de la sous région. Par exemple, au Bénin, il ne peut dépasser 1/3 des ressources totales du parti. Au Sénégal, il y est interdit le recours aux aides financières d'origine étrangère et aux aides provenant de personnes étrangères y résidant tandis qu'au Mali, il est autorisé mais dans la limite de 20% des ressources internes du parti127(*).

Contrairement à ces pays, au Burkina Faso, seul le financement public est soumis au contrôle juridique, les dons privés semblent être ignorés par la législation. Au regard de leur importance, ils favorisent les activités de certains partis et leur permettent d'être plus influents sur le champ politique. Il s'impose dès lors la nécessité de prévoir des normes en vue d'un meilleur encadrement et plafonnement de ces dons ci-dessus faits mention. Selon S.A. du PDP/PS, l'opposition aurait toujours demandé qu'une règlementation soit instituée pour cette question, mais le parti majoritaire aurait chaque fois rejeté la proposition. Somme toute, il apparaît que seul un encadrement juridique intégrant le plafonnement des dons et des dépenses pourrait permettre aux partis d'avoir les mêmes chances devant les électeurs.

Il faut cependant souligner que quelque soit le type d'encadrement mis sur pied, on ne saurait totalement parier sur son efficacité. Comme le signale S.M de l'UNIR/MS « Beaucoup de dons se transmettent les nuits et dans des valises, sans témoins, car l'objectif recherché est assez louche pour que ceux qui donnent se laissent découvrir ». Est-il possible de régir de tels dons ? La règle ne pouvant sanctionner sans preuves, certains dons seront toujours pratiqués malgré tout, dans la mesure où tous les dons ne sont pas repérables matériellement. Cependant, la présence de la règle pourrait créer une certaine méfiance et donc réduire le zèle qu'ont certains partis d'offrir avec exhibition.

L'encadrement juridique peut-elle concerner les promesses électorales ? Comment en effet contrôler des promesses ? Peut-on interdire aux partis de proférer des promesses lors des campagnes ? Selon le code électoral béninois en son article 110, sont interdites ``les promesses de libéralités, d'emplois publics ou privés ou d'autres avantages'' susceptibles d'influencer les choix des électeurs. Il est évident que l'encadrement des promesses électorales reste assez théorique car dans la pratique, cette mission de la règle paraît impossible. Toute élection se joue dans les discours des acteurs politiques. Que le discours soit programmatique ou non, il porte sur un ton séducteur. Dans ce cas, toute tentative d'encadrement de ces types de dons serait vaine voire illusoire. Il faut reconnaître malgré cela que le plafonnement des dépenses des partis à l'endroit des électeurs placerait l'ensemble des partis sur le même pied dans la conquête du pouvoir. La logique du plafonnement veut que, quelque soit la somme reçue par les partis, ces derniers ne dépassent une certaine limite dans leurs dépenses. Ce principe réduirait la tendance à l'exhibitionnisme à laquelle se donnent les partis plus nantis. Dès lors les électeurs ne pourront que se replier sur une analyse programmatique pour opérer leur choix. Mais face à des électeurs de plus en plus attirés par l'appât du gain, on peut craindre que les partis politiques n'acceptent de jouer un franc jeu.

Un bon encadrement juridique offrirait une scène politique assainie des scories de la corruption puisque les acteurs politiques auront tendance à se soumettre au droit afin d'éviter les sanctions. Il faut signaler que la corruption peut être une source de déstabilisation d'un Etat. Elle peut conduire à des voies non pacifiques de conquête du pouvoir, d'où l'importance de son encadrement pour éviter tout risque de violence. Mais il est évident qu'aucun encadrement de quelque nature qu'il soit ne peut totalement mettre fin aux magouilles et aux diverses tentatives de corruption. A défaut de l'anéantir dans toutes ses formes, l'encadrement juridique des dons crédibilise le jeu politique et offre des perspectives pour une prise de conscience citoyenne des méfaits des dons sur la démocratie et partant, pour l'appropriation de la culture démocratique.

* 117 Cette loi a été modifiée par la loi n0 12-2001/AN du 28 juin 2001 portant financement des activités des partis politiques et des campagnes électorales.

* 118 Cf. Arrêté conjoint n0 2007-34/MATD/MFB du 10 Avril 2007..

* 119 L'Hebdo n0 304 du 11 au 17 février 2005.

* 120 Arrêté conjoint n0 2005-0075 / MATD/MFB du 20 octobre 2005.

* 121 « Même si aucun parti n'est cité nommément, il ressort dans le rapport que des irrégularités ont été constatées dans la plupart des partis politiques sur la gestion des fonds alloués par l'Etat pour l'animation de la vie politique pendant les périodes de campagnes et hors campagnes : des factures non certifiées, non acquittées, des insuffisances ou absence totale de justification des dépenses, la non ouverture de compte pour la gestion de la subvention, non respect des délais de transmission des rapports financiers et des bilans comptables à la Cour des comptes. Très peu de partis politiques rendaient leurs rapports financiers à la Cour. ». Cf. www.lefaso.net «Cour des comptes : un bijou à protéger » consulté le vendredi 17 Août 2007.

* 122 L'Indépendant n0 705 du 13 mars 2007.

* 123 Voir J. Hilger et J. MazzochettiI, op cit. p13.

* 124, J. Hilger et J. MazzochettiI, op cit. p15.

* 125J.Y. Vincent et M. Villier, Code électoral, paris, édition Juris-classeur, 2004, 71.

* 126 S.A., membre du bureau politique national du PDP/PS.

* 127 Voir Rapport du séminaire international sur « la corruption électorale en Afrique de l'Ouest », CGD, Ouagadougou, 2003, p9-10.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984