Photo numérique et implications esthétiques
Le discours sur les photos numériques s'inscrit dans
un cadre plus large, celui de l'image dont le positionnement est devenu
très stratégique dans l'espace médiatique. Maintenant, il
y a de plus en plus d'images qui circulent à travers les médias,
il y a plus d'intérêt porté sur l'image et ses effets
psychologiques et sensibles. Les photos numériques distribuées en
particulier sur le réseau Internet représentent une masse
importante des images qui circulent dans notre vie quotidienne, elles offrent
des possibilités d'échange entre les personnes ou l'ensemble des
communautés virtuelles.
Pour ce qui concerne notre échantillon
enquêté, les photos numériques représentant des
paysages et des scènes de la nature diffusées sur le Net sont
caractérisées par leur grande qualité qui offre une
sensation de confort visuel, elles requièrent des implications
esthétiques certaines pour les internautes. A travers lesquelles, on
peut visiter des mondes lointains en un simple clic, on a le sentiment de
voyager et de traverser l'espace sans même se déplacer. C'est un
voyage virtuel à travers Internet qu'offrent ces photos doublé
d'un effet de rêve, et c'est justement quelques images
représentatives qui donnent l'illusion à ceux qui les regardent
d'être partis en voyage.
Ceci suppose que les photos numériques ont la
capacité de faire naître des représentations mentales pour
ceux qui les regardent. Mais, une image mentale peut-elle reproduire la
réalité telle qu'elle s'est déroulée ? Le souvenir
d'un voyage réel ne serait-il pas plus authentique et vif qu'une photo
restée dans la mémoire d'un paysage vu un certain moment lors
d'un voyage virtuel à travers Internet ? La question essentielle
qui se pose : Est ce que nous avons besoin de ces photos numériques
publiées sur Internet (représentant des coins paradisiaques) pour
simuler des voyages ?
Pour ne pas prétendre apporter des réponses
instantanées à ces interrogations (nous estimons que cela sera
possible ultérieurement dans le cadre d'une recherche approfondie) nous
revenons à notre problématique initiale, c'est à dire les
dimensions socio-sémiotiques et esthétiques des photos
numériques. A cet effet, Tamila pense qu'avec la
pénétration de la technologie numérique dans le champ de
la photographie, la photo perd sa magie et son charme. Pour expliquer son point
de vue, elle fait référence aux photos classiques du début
du 20ème siècle qui étaient d'une beauté
artistique irréprochable qui leur donnait le statut de vrais
chefs-d'oeuvre. Elles correspondent par exemple à quelques photos
anciennes des grands parents qu'on prend soin de garder précieusement
pour les générations à venir au contraire des photos
numériques qui sont si nombreuses qu'on oublie souvent de les
préserver.
Tamila pense qu'avec l'appareil photo numérique l'on
ne peut pas reproduire des photos artistiques qui touchent les sentiments des
gens, étant donné que de nos jours les traditions photographiques
ont changé. Autrement dit, avec le numérique on est plus dans
l'éphémère et l'irréfléchi que dans le
méditatif. La photo numérique de ce fait n'est plus un
arrêt sur image, une traduction iconique d'un moment unique ou une
contemplation lucide d'une scène précise, c'est plutôt une
mécanique incarnationnelle et froide des images, une captation
rapide de l'instant, et tout le monde peut facilement en accéder.
Cette possibilité de prendre autant de photos qu'on
veut avec le numérique et notamment de les visualiser et de les
supprimer ne peut que tuer le plaisir lié à l'acte photographique
considéré comme un moment privilégié et une
réflexion iconique sur un instant apprécié. C'est la
raison pour laquelle on peut se rendre compte que quelques photos argentiques
portant notre touche personnelle vaudront mieux qu'une multitude de photos
numériques prises de manière rapide et irréfléchie.
« On prend beaucoup de photos mais on ne se rend
pas compte que (l'acte photographique) c'est un point privilégié
pour se préparer, je ne sais pas... ça donne pas une valeur
à la photo en elle-même ». Faïçal, 21 ans
En fait, du moment que l'appareil photo numérique
assure une prise déchaînée de photos avec des
possibilités parallèles de retouche on n'arrive pas à
saisir l'instant véridique. Avec le numérique, les photos des
voyages par exemple vont avoir tendance à être plus
répétitives (plusieurs versions photos du même endroit ou
paysage de différents angles), donc plus futiles et moins signifiantes.
De plus, le fait de partir en voyage avec son caméscope peut parfois
nous priver de profiter des instants heureux que l'on s'efforce de capturer un
à un avec son appareil photo. Ceci va nous inciter à se
demander : A quoi cela sert de mémoriser toujours l'instant avec
son caméscope ? sommes-nous toujours contraints de mémoriser
nos voyages ou notre quotidien en général à travers des
photos ? La mémoire photographique enrichit-elle ou appauvrit-elle
notre mémoire cérébrale ?
De sa part, Effie considère que le passage de
l'argentique au numérique ne peut pas constituer un dilemme pour la
photographie. Le numérique participe par contre à la
démocratisation de l'art en donnant accès à tous ceux qui
le désirent à la photo. Il appartient plus tard aux photographes
professionnels de choisir le support convenable pour représenter la
réalité à travers des photos artistiques.
« Après si les vrais photographes, les
spécialistes veulent prendre des photos artistiques , eh bien c'est
à eux de choisir l'appareil ou le support (numérique ou
analogique) qui préfèrent pour reconstituer la
réalité à travers la photo, tu vois ? ».
Effie, 32 ans
Cela étant dit, le numérique reste le
médium le plus favorable pour la réalisation de photos
réussies. Ses fonctionnalités souples, sa simplicité
d'usage et le nombre assez important de photos qu'il permet de prendre en sont
apparemment les raisons majeures. Toutefois, le numérique multipliant le
nombre des photos prises entraîne leur banalisation et c'est justement
avec l'argentique qu'on arrive à apprécier plus les photos. Cela
renvoie aux phases successives pour la production de la photo dont la phase du
développement chimique de la pellicule qui va décider du destin
de l'image (la teinte qu'elle va prendre, photo ratée ou
réussie...).
Pour les personnes qu'on a interrogées sur leurs
usages des photos numériques dans la vie quotidienne, c'est un vrai
bonheur de faire une photo en mode argentique, parce que l'on ne connaît
pas le résultat du développement du film ce qui rend
précieux et le temps d'attente et d'expectation et la photo obtenue
elle-même. La photo argentique prend notamment plus de valeur et devient
une source de plaisir ; on peut la toucher et la sentir comme un
être humain, à travers laquelle des souvenirs lointains
s'éveillent en nous et nous pouvons revoir le passé se
reconstituer en morceaux.
« Il y a vraiment un réel contact quand
tu prends la chose dans ta main, tu sens...C'est inconscient et après tu
dégustes ce moment ». Amal, 24 ans
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