Photos numériques et implications artistiques et
esthétiques
Photo numérique et mémorisation de la
réalité
Avec l'introduction de la technologie numérique dans
la sphère de la photographie, quelle configuration va prendre la
mémorisation de la réalité à travers la photo ?
Quels sont les caractéristiques spécifiques de cette
mémorisation ?
En réponse à cette interrogation de base, les
enquêtés affirment qu'au moyen de la photographie numérique
les photographes d'aujourd'hui peuvent réussir à saisir la
réalité dans ses détails infinitésimaux. Si jadis
on reproduisait la réalité à travers quelques photos
représentatives - c'est l'exemple des expositions photo dans les
musées d'histoire -, les photographes de nos jours peuvent grâce
aux capacités énormes qu'offre le caméscope produire une
multitude de photos qui témoignent de notre époque et donc il
leur est largement possible d'écrire notre histoire au biais de la photo
numérique.
« Maintenant c'est énorme, on a une
multitude des photos qui reproduisent la réalité, notre
patrimoine on peut l'enregistrer avec beaucoup de détails ».
Effie, 32 ans
Cette mission d'enregistrement de la réalité
à travers la photo peut être remplie par n'importe quelle personne
qui possède un appareil photo numérique. Les
événements majeurs de la vie, les instants joyeux, les moments
d'amitié constituent autant d'éléments à
préserver et le caméscope offre à ce niveau une grande
flexibilité. Cela étant dit, nous ne sommes pas obligés de
garder en souvenir tous les évènements de sa vie mais
principalement les plus marquants.
« Moi par exemple quand je pars en voyage, je
pars avec des amies, en famille , c'est là que je choisis les moments
à saisir avec plus de flexibilité au niveau de la photo avec
l'appareil numérique ». Wydade, 26 ans
Les photos numériques de par leur grande
accessibilité enregistrent souvent dans les plus petits détails
les grands voyages qu'on n'a pas l'occasion de faire souvent. Elles nous
rappellent toujours des moments et gestes précis tout en
suggérant le rassemblement des amis ou des proches pour des
séances de visionnage commun, ouvrant ainsi des pistes de bavardage et
de convivialité. A la différence des textes écrits ou
oraux, les photos des voyages -que ce soient numériques ou argentiques-
offrent grâce à leur fonction ample de description l'avantage de
rapprocher les souvenirs et de les faire partager facilement avec les autres.
Ces photos semblent constituer une mémoire qu'on
fabrique soi-même et qu'on garde. C'est la trace visible d'un état
d'esprit vécu ou d'un instant d'amitié partagé. C'est
aussi en quelque sorte un regard subjectif sur un objet observé et
apprécié. Dans ce sens, ce n'est pas la photo prise qui importe
en soi mais c'est la sensation qui s'en dégage.
Si la définition de ce qui mérite
d'être photographié et mémorisé diffère
manifestement d'une personne à une autre, les objets rencontrés
lors des voyages représentent des « cibles
prioritaires » pour la majorité des usagers des photos
numériques. Dans cette case, nous recensons les monuments, les endroits
touristiques, les objets bizarres et plus généralement tout ce
qui offre la sensation du mouvement.
Le caméscope avec son poids léger, sa
facilité d'utilisation et sa capacité focale importante permet la
captation et l'enregistrement en temps réel de l'ensemble de ces
décors. En visionnant les photos enregistrées on se rend compte
de leur allure vivante et animée. Pour illustrer cette idée,
Saïd fait référence aux touristes Japonais et Chinois qui,
durant leurs voyages dans les citées européennes, s'amusent
à photographier tout et n'importe quoi avec leurs caméscopes.
Mais c'est justement le cas de quelques personnes ayant une certaine
dépendance vis-à-vis de la technologie qu'il ne peut pas
être généralisé.
« Moi par exemple j'ai un appareil photo, je
vais pas, je sors pas avec mon appareil photo pour photographier n'importe
qui... donc c'est vrai que... bon, c'est un cas
spécial » ; Wydade, 26 ans
Mais, revenant à notre questionnement du
départ nous nous permettons de poser la question suivante :
jusqu'à quelle limite la photo peut représenter la
réalité ? Cet enjeu est-il possible surtout si l'on sait que
la réalité est difficile à saisir ?
Si l'acte photographique est chargé symboliquement
du fait que c'est une immortalisation du moment, une préservation de la
mémoire individuelle et collective en vue de la transmettre aux
générations futures, la prolifération des photos
numériques représentatives de la réalité ne pourra
que réduire les temps d'arrêt sur image et casser l'unicité
du moment. En effet, prendre énormément de photos avec son
caméscope contribue à banaliser les photos de telle sorte qu'on
ne trouvera pas le temps nécessaire pour les regarder dans leur ensemble
ce qui induit systématiquement la baisse sinon la perte de la fonction
de mémoire photographique avec le mode numérique.
En d'autres termes, avec l'effet de banalisation de la
photo intimement rattaché au numérique, nous ne retrouvons pas la
beauté des scènes photographiées. Ce n'est plus la
contemplation de l'objet comme c'est le cas dans le mode argentique, c'est
plutôt sa captation et son appropriation rapide. C'est comme si
l'être humain veut remplacer sa mémoire cérébrale
par une autre photographique.
La méditation de l'instant disparaît avec la
photo numérique car cette dernière ne peut offrir qu'un temps
d'arrêt éphémère à celui qui la regarde. La
notion d'instant, observe notre population enquêtée, peut
être également absente dans le film vidéo du fait que c'est
un défilé d'images qui capture l'action. Mais ce qui reste
à souligner, c'est que la disparition du concept d'instant dans la photo
numérique n'est pas due à sa matérialité
différente de la photo argentique, elle est due plutôt à
cette mécanique assez reproductive des images que peut facilement offrir
l'appareil photo numérique.
Selon l'avis de Alae, la photo argentique et la photo
numérique semblent être toutes les deux non représentatives
de la réalité. La raison étant que si la première
porte un regard esthétique sur la réalité, la
deuxième de par sa grande netteté visuelle et son sens pointu du
détail semble décrire la réalité de façon
crue c'est à dire « trop réelle ».
Pour ce qui concerne le même point, c'est à
dire la représentation de la réalité au moyen de la photo,
Karim remarque de sa part que la photo argentique est incapable de saisir la
réalité observée. La raison étant que la phase du
développement chimique de la pellicule dans le laboratoire implique une
certaine fabrication, alors qu'avec l'appareil photo numérique les
photos sont plus réelles parce qu'elles sont prises
instantanément.
« Disons par exemple que je vois un chat passer
je le prends à l'instant avec mon appareil photo numérique ,
c'est une chose que ne permettait pas l'appareil photo avant ».
Karim, 19 ans
Toutefois, et sans se questionner trop sur son degré
du réalisme, la photo représente toujours pour notre population
enquêtée un besoin nécessaire pour l'être humain du
fait que c'est un document historique à part entière. La
sauvegarde de l'histoire se réalise par des matériaux multiples
telles la littérature et la peinture par exemple, le support
photographique que ce soit argentique ou numérique constitue
également un matériel figuratif intéressant ;
grâce à sa force d'attraction, sa vitesse et sa précision
il a la capacité de décrire des situations et de communiquer des
émotions avec beaucoup de force.
Mais à ce niveau-là il faut se
demander : combien de photos faut-il prendre par exemple d'un tel
événement pour le mémoriser ? Selon quelles
règles doit-on prendre ces photos ? Quelles sont les
démarches esthétiques à tenir en compte pour la
réalisation des photos historiques ? Ces interrogations sont tout
à fait légitimes si l'on sait qu'une seule photo bien
réfléchie peut nous impressionner et éveiller nos sens
méditatifs alors que devant un panorama de photo on peut rester parfois
indifférent.
« Des fois on va rester dans un panorama
pendant une heure et des fois on prend une photo (photo
réfléchie), en fait juste le fait de la contempler on a tellement
apprécié sa beauté qu'on veut s'approprier ».
Amine, 25 ans
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