3.2.3. Approche préventive : la gestion du
risque
L'approche préventive de la gestion
du patrimoine consiste à effectuer des actions de prévention,
régulières et ponctuelles sur des points précis (dits
points clés). Ces interventions sont assez minimes, mais sont
susceptibles d'assurer durablement la conservation de biens fragiles. Ces
interventions sont pertinentes dans la mesure où elles ont fait preuve
de succès dans de nombreux cas ; elles sont peu coûteuses
comparées aux opérations de restaurations de grande envergure
(où l'intervention est curative), car elles sont
échelonnées dans le temps, donc supportables en termes de
dépenses.
Le CERKAS, vu l'expérience qu'il a pu cumuler depuis
sa création, est en mesure d'intégrer cette composante dans sa
démarche de sauvegarde du ksar en repérant les points clés
(jugés extrêmement vulnérables et/ou potentiellement
porteurs d'élément de consolidation) afin de mener des
opérations d'entretien régulier avec le concours de la population
et l'autorité locale.
D'autre part, cette approche fait référence
à la notion du risque sur les biens patrimoniaux. La gestion du risque -
expression empruntée du langage des affaires - est devenue de plus en
plus sollicitée dans la gestion des sites du patrimoine mondial en
raison d'une part, de leur complexité (les centres urbains), la
vulnérabilité de leurs composantes (structures en terre ou en
bois) et la fragilité de leur équilibre (les paysages culturels)
; et d'autre part, en raison de leurs enjeux pour l'humanité. Les sites
du patrimoine, de ce fait sont jugés - à des nuances près
- des zones à risque.
Dans le cas du Ksar Aït Ben Haddou, le risque
relève de deux facteurs majeurs : naturel et humains (voir la sous
section : 3.4.2. Les facteurs affectant le site, à la Deuxième
Partie).
Le risque est classiquement défini comme
l'événement aléatoire pouvant entraîner des dommages
; sa réalisation est ainsi génératrice de pertes pour les
organisations et
les collectivités1. Il est
défini également comme étant un évènement
prévisible ou imprévisible à fréquence plus ou
moins faible mais de grande gravité2. Le risque est
dit
majeur lorsqu'il s'agit d'un événement
déstabilisant pour une collectivité
donnée3. La notion du risque est fondée
sur trois composantes essentielles :
1. l'aléa : la probabilité d'un
événement qui peut affecter les collectivités et les
systèmes qui les régissent ;
1 C. Marmuse & X. Montaigne, Management du risque,
coll. Vuibert Entreprise, Paris, 1989 (p.45)
2 Le risque majeur, coll. Le livre
général, Secrétariat d'Etat chargé de
l'Environnement et de la Prévention des Risques technologique et
naturels majeurs, s.d. (p.7)
3 id. p.8
2. les enjeux : il s'agit des personnes, des biens,
et l'environnement menacés par le risque majeur, susceptibles de subir
des dommages ou des préjudices. Ils sont donc de quatre ordres :
humains, sociaux, économiques et écologiques ;
3. la vulnérabilité : c'est la mesure
des conséquences dommageables de
l'événement, sur les enjeux en
présence1.
L'aléa associé à la
vulnérabilité des enjeux (personnes, biens ou autres) est un
risque, et la probabilité de se réaliser suppose une
prédisposition à réagir et en détermine la nature.
La connaissance du risque suppose à priori la connaissance des
phénomènes dont découle l'aléa, et d'autre part, la
connaissance des enjeux pour évaluer l'impact du risque et
établir des priorités d'intervention.
Quel que soit le domaine dans lequel elle se réalise,
la gestion du risque comporte fondamentalement deux dimensions
complémentaires. La première concerne ce que l'on pourrait
qualifier de gravité ou de conséquence préjudiciable
associée au risque (quantifiée socialement, économiquement
et financièrement). La seconde est relative à la décision
prise face au risque et le coût associé à cette
décision.
En matière de patrimoine mondial, cette approche
devient de plus en plus sollicitée. A ce titre, l'ICORP (Conseil
International pour la Préparation aux Risques) offre un cadre
institutionnel de réflexion et d'intervention dont les professionnels du
patrimoine (national ou mondial) doivent s'inspirer. L'ICCROM - de son
côté- propose des programmes de formation périodique
en matière de gestion du risque dans le cadre de son programme
ITUC.
Dans le contexte marocain, la gestion du risque est
liée le plus souvent à la gestion des entreprises. En
matière d'urbanisme et d'aménagement de l'espace, elle commence
à intégrer la conception des urbanistes et des
aménagistes, alors que chez les conservateurs du patrimoine, elle n'est
pas encore à l'ordre du jour de leur démarche bien que le risque
fait partie de leur quotidien.
A titre d'exemple, le Département gouvernemental
chargé de l'Urbanisme et de l'Aménagement du Territoire -
doté d'une Direction de la Surveillance et de la Prévoyance des
Risques - emploie désormais le terme des zones sensibles au
lieu des zones à risque pour désigner l'ensemble des
espaces soumis à des aléas naturels et/ou technologiques,
à fort enjeux humains et économiques, et aussi les secteurs qui
méritent d'être individualisés et valorisés de part
leurs intérêts économique,
1 id., p. 24
patrimonial et environnemental, et leur sensibilité
face à l'action humaine1. Cette définition
évoque les sites à vocation spécifique (voir la
section 3.4. de la Première Partie ) dont le site du
Ksar Aït Ben Haddou fait partie.
La gestion du risque au niveau du Ksar Aït Ben Haddou
repose essentiellement sur l'identification des facteurs de risque et sa
localisation, la détermination de leur impact une fois le risque
réalisé, la probabilité de sa réalisation, et la
démarche à suivre au cas où il devient réel.
L'identification des points vulnérables au risque est une étape
fondamentale dans la gestion du risque. Ces éléments peuvent
s'apparenter souvent aux points clé (signalés plus haut) qui
peuvent servir d'indicateurs clés sur l'état de conservation du
ksar. Les indicateurs clés sont des témoins
(généralement en matière plastique tel le plâtre)
utilisés pour mesurer l'évolution des fissures sur les
structures, ou bien fondées sur des observations visuelles directes des
fissures, des glissements de
terrain, des affaissements de rochers, de la salinité
des sols et de l'érosion2.
Il faut tenir compte également des risques
comportementaux émanant des visiteurs ou dus à des mutations
sociales dont l'abandon constitue un risque majeur.
Il ne faut surtout pas perdre de vue que, si la
fréquentation des visiteurs présente une opportunité pour
l'économie de la localité, il n'en demeure pas moins un facteur
de risque pour le ksar, et qu'il faut savoir prendre en compte. A ce titre,
l'institution des droits de visite du ksar (billetterie) serait en mesure de
quantifier la fréquentation et d'en évaluer le risque.
Mais il faut avant tout, établir une grille d'analyse
des risques (inspirée des facteurs affectant le bien) qui sera la
référence en matière de détermination des
coûts de gestion, de la capacité d'intervenir, et des actions
prioritaires. Le tableau ci-dessous illustre les facteurs affectant les sites
du patrimoine mondial, et sur lequel peut se fonder la grille d'analyse des
risques relative au Ksar Aït Ben Haddou (fig.18).
Globalement, la gestion des deux typologies de risques (naturel
et humain) doit
être conçue sous deux angles : celui du risque
majeur, et celui lié à la fréquentation des visiteurs.
Les gestionnaires du site auront un intérêt
à intégrer dans un premier temps cette composante, et la
développer par la suite. Ceci développera certes la
sensibilité par rapport au devenir du ksar, ce qui va minimiser les
pertes et du coup, réduire les coûts de gestion (en termes
d'intervention).
1 Aïcha Benkirane et Abdelghani Tayyibi,«
Stratégie du département de l'urbanisme en matière de
gestion de risques », intervention aux Ateliers nationaux sur les
risques majeurs organisé à Rabat les 26 et 27
février2003 (diffusée sur Internet).
2 Rapports périodiques et programmes
régional : Etats arabes 2000-2003, Centre du Patrimoine
Mondial-Unesco, 2004 (p.47).
Origine des facteurs de risque
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Nature des risques
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Intégrité visuelle
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-Pressions urbaines et constructions illicites
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-Déforestation
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-Terrains en friche devenant décharges
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-Régression des jardins (à l'intérieur
et/ou autour du site
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Intégrité structurelle
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-Infrastructure mal intégrée
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Pressions du développement
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-Incendies
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-Déplacement de populations ou refus
d'intégration
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Intégrité
fonctionnelle
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-Activités industrielles polluantes
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-Soukisation (envahissement des activités artisanales,
commerciales et autres..)
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-Abandon des cultures sèches
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-Pâturage dans le site
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- Pollution de l'air
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-effets éoliens
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Contraintes d'environnement
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-Vents de sable
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-Avancée de dunes
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-Tarissement des sources
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-Perte d'espèces animales
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- Séismes
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- Pluies violents et inondations*
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Catastrophes naturelles
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- Erosion et corrosion par eau de mer
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- Vagues intempestives sur falaise
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- Glissement de terrain*
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- Sécheresse*
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- Chutes de pierre de la falaise. *
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Pressions visiteurs ou tourisme :
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- Piétinement des vestiges
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- Fréquentation
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-Déchets et ordures
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-Accessibilité dans le site
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-Vandalisme, pillage, vols
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-Pressions par le tourisme
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-Augmentation de l'insécurité
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-Equipements touristes
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-Manque d'infrastructures touristiques*
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Fig. 18- Typologie des risques sur les sites du patrimoine
mondial
(inspirée des facteurs affectant les sites du
patrimoine mondial, in Rapports périodiques et programmes
régional : Etats arabes 2000-2003, Centre du Patrimoine
Mondial-Unesco, 2004.
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