Chapitre 3. Les mécanismes potentiels de
gestion
Il est de toute évidence que les potentialités du
ksar des Aït Ben Haddou, ses
impératifs de sauvegarde et de réhabilitation
appellent à être gérés de la manière la plus
adéquate. La durabilité de sauvegarde et de réhabilitation
doit être assurée par les mécanismes de gestion des plus
appropriées.
En fait, la gestion d'un site du patrimoine mondial tel que
le ksar des Aït Ben Haddou se fonde sur une analyse
détaillée de son intérêt, tel qu'il a
été identifié au cours de la procédure
d'inscription. D'après B.M. Feilden et J. Jokilehto,
la gestion des sites du patrimoine mondial comprend les
éléments suivants :
- faire comprendre à tout le personnel du site les
valeurs culturelles à préserver sur ce site ;
- élaborer des directives spécifiques en
fonction de la définition de l'intérêt du site ;
- établir un inventaire complet de toutes les
ressources culturelles du site ;
- organiser des inspections régulières
conduites par des professionnels qualifiés et
expérimentés, qui rédigeront un rapport officiel ;
- élaborer un plan stratégique de
maintenance débouchant sur la formulation de projets sur divers
éléments qui s'inscrivent dans un programme annuel de travail en
fonction de leur priorité ; et
- respecter, dans toute intervention, les principes
éthiques de la conservation, les
recommandations de l'Unesco et les directives contenues dans
la charte de Venise1.
La gestion au niveau du site en question est la
capacité d'assemblage de ces éléments. De ceux-ci se
dégagent deux tendances qui se recoupent à plusieurs niveaux : il
s'agit de la gestion planifiée et la gestion intégrée.
3.1. La gestion planifiée
La gestion planifiée d'un site du patrimoine mondial
fait référence à un outil fondamental : le
plan de gestion. Il s'agit d'un instrument de gestion
destiné à organiser la conservation et à appuyer les
actions de développement par rapport à
l'environnement du site2.
Depuis 2000, le Comité du Patrimoine Mondial ne cesse de
réitérer sa recommandation d'élaborer un plan de gestion
pour le Ksar des Aït Ben Haddou sous
1 Bernard M. feilden et Jukka Jokilehto, Guide de gestion
, p.1-2
2 ibid.
peine d'être inscrit sur la liste du patrimoine mondial
en péril. En 2001, les acteurs locaux se sont réunis à
maintes reprises pour élaborer un plan conforme aux normes de l'Unesco
pour qu'il soit finalisé en 2002. Mais cette action n'a pas abouti
jusqu'à présent. Ainsi, le Maroc s'est retrouvé
confronté à une dernière échéance
formulée par le Comité du Patrimoine Mondial (la session de
2004). En dépit de cette sommation, le
Maroc a réussi encore à repousser
l'échéance1.
Dans cette démarche de planification, trois
composantes sont à mettre en place : une structure de gestion du
Ksar Aït Ben Haddou, un groupe de travail pour
l'élaboration du Plan de gestion, et enfin le Plan de gestion proprement
dit.
3.1.1. La structure de gestion
C'est la structure qui sera chargée de la gestion du
site. La commission de gestion du site aura pour rôle de gérer le
site, d'assurer son entretien et sa mise en valeur et de conserver les valeurs
pour lesquelles il a été inscrit au patrimoine mondial. Elle
veillera ainsi à l'application de la Convention du patrimoine
mondial.
Cette entité potentielle ne comportera au début
que les membres désignés à participer au groupe de travail
qui sera chargé d'établir le plan de gestion du site;
Après il sera constitué une structure plus large qui veillera
à l'exécution et au suivi du programme de conservation et de mise
en valeur du site conformément au plan de gestion.
Indépendamment de la commission qui existait
déjà au niveau local et qui avait
pour mission d'exercer une surveillance
régulière sur le site2, il a
été recommandé de créer une structure
désignée par Commission de gestion ou
Commission du site du ksar de Alt Ben Haddou
composé d'administrateurs et de spécialistes en
divers domaines : architecture, patrimoine, droit, géographie,
agronomie, urbanisme,
1 En fait, la planification de la gestion du site remonte
à 1990 où une Commission du plan-cadre pour la
réhabilitation du ksar des Aït Ben Haddou instituée à
l'échelle de la Province pour examiner un document de travail
élaboré par le consultant de l'Unesco Jean-Louis Michon en
concertation avec le CERKAS. Ce document, qui dressait une première
liste des divers éléments devant entrer dans le Plan-cadre de
réhabilitation du ksar, comportait 3 grands volets portant sur :
- l'aménagement du site et ses accès (pont,
voiries..) ;
- les infrastructures et les équipements de base
(eau potable, électricité, télécommunication..)
;
- la réhabilitation architecturale.
Jean-Louis Michon rapporte qu' un consensus semblait
atteint sur la démarche à suivre pour permettre à chaque
intervenant de préciser la tâche qui lui reviendrait dans l'
action commune, d' établir des prévisions de dépenses et
un calendrier d'opérations, le tout devant être
intégré dans un plan global lorsque, pour des « raisons
inconnues », le Directeur du CERKAS a cessé de participer au
travail de ladite commission, mettant un terme à l'élaboration du
Plan-cadre. Cf. Sauve garde et réhabilitation du ksar Aït Ben
Haddou, rapport de mission établi par J-L. Michon pour le Centre du
Patrimoine Mondial, Août 2000.
2 Durant mon séjour scientifique de trois mois au
CERKAS, aucune commission de surveillance régulière, n'a
été sur place, ce qui explique un relâchement au niveau de
cette action qui, de toute façon, manquait d'efficience et de moyens
assurant sa continuité. Cette entité ne pourrait s'occuper de la
gestion proprement dite vu qu'elle ne dispose pas d'un statut légal lui
permettant de bénéficier de ressources
financières.
économie, etc. Ces compétences techniques et
scientifiques émaneront des départements concernés, des
collectivités locales, des structures scientifiques et de la
société civile.
La tâche première de cette commission sera de
conserver et de gérer le site. Son rôle consistera notamment
à orienter les décisions concernant des points qui peuvent
influer sur l'authenticité et la valeur culturelle du site et à
déterminer les formes d'entretien, d'action et d'utilisation les mieux
adaptés à la nature du site et les plus acceptables pour la
population locale.
La commission devra se conformer aux chartes et conventions
internationales et les appliquer tout en tenant compte des règlements et
usages locaux et elle se tiendra en contact avec le Centre et le Comité
du patrimoine mondial duquel, en cas de besoin, elle pourra obtenir aide et
conseil.
La commission de gestion doit être régi par une
réglementation appropriée (le cas échéant
complété par un règlement intérieur) et d'un budget
régulier financé par l'Etat et/ou les collectivités
locales (Conseil de la Région, Conseil Provincial, la Commune), et
eventuellement par des recettes des droits d'entrée.
Les ressources financières reposent
sur la capacité des collectivités concernées à
fournir le cadre favorable qui garantirait la pérennité de la
gestion en termes de crédits de fonctionnement. Une structure autonome
vis-à-vis de ces collectivités nécessite un cadre
légal et un statut juridique particuliers tel celui d'un
établissement public, ou d'une association reconnue
d'utilité publique (telle qu'elle a été
proposée par le Gouverneur). Dans les deux cas, la procédure de
la mise en place est assez compliquée.
Néanmoins, les autorités locales sont favorables
à ce que le rôle de la commission de gestion du site telle qu'il
est proposé par l'expert de l'Unesco soit assumé par deux organes
distincts. La formule proposée était la suivante:
- un Comité technique provincial ou
Conseil de gestion chargé d'élaborer les directives et
les orientations de base pour la sauvegarde et la mise en valeur du site. Ce
comité aura également le pouvoir de statuer sur toutes les
décisions concernant l'avenir du site. Ce sera l'organe consultatif.
- une association chargée de la mise en application de
ces orientations. Elle jouera également un rôle important au
niveau de la sensibilisation et de communication.
Suite à ces décisions, une commission technique
provinciale a été mise en place pour la préparation du
dossier de création de cette association qui aspire accéder au
statut d'utilité publique.
Certains ont proposé que la gestion du site soit
confiée au conseil communal. D'autres ont suggéré que
l'association existante Alt Alssa assume cette responsabilité.
Il a été soulevé que celle-ci ne représente qu'une
fraction ethnique et qu'elle vit des problèmes avec le reste de la
population. Le Gouverneur de la Province a proposé alors la
création d'une association reconnue d'utilité publique qui
s'occuperait de la sauvegarde et la sa mise en valeur du site du ksar Alt
Ben Haddou en particulier et de l'ensemble du patrimoine architectural de
la province, en impliquant des personnalités influentes. La proposition
était ambitieuse mais n'a pas fait l'unanimité de la population.
Aux yeux de certains habitants, l'hypothèse d'une telle association
animée par des personnes influentes mais étrangères au
site (voire même à la région) risque de modifier la nature
des préoccupations de la population locale, essentiellement
exprimée en termes d'amélioration de conditions de vie et de leur
environnement immédiat.
Il conviendrait de laisser la gestion proprement dite du site
a la commune d'Alt Zineb toute en gardant la première structure
qui fera office d'organe consultatif et d'orientation, et doter cette commune
de ressources nécessaires à la mise en oeuvre des orientations de
la première entité (en termes de financements et de
compétences techniques). L'action de la population se situera à
deux niveaux : au niveau de la commune par le biais de leurs élus, et au
niveau du comité provincial, du fait que les représentants des
familles du site soient de droit représentés au sein de cette
structure.
Dans tous les cas, il faut que la structure de gestion
proprement dite du site soit doté de ressources permanentes (budget,
personnel, etc.) et conforme à un cadre juridique et institutionnel qui
assure sa pérennité et qui favorise pleinement l'association de
la population locale à cette gestion. Les autorités locales sont
amenées à trouver la formule qui répond à ces deux
impératifs.
3.2.2. Le groupe de travail
Le groupe de travail est crée au sein de la commission
de gestion du site et sera
chargé spécialement de l'élaboration du
plan de gestion, instrument indispensable pour la conservation des valeurs du
site et de sa mise en valeur. Il sera composé d'un bureau et de membres
associés. Il serait préférable qu'il soit dirige par un
architecte ou amenagiste urbaniste familiarisé avec les problèmes
de conservation, de réhabilitation et de gestion des biens patrimoniaux
et, si possible, de l'architecture en terre.
Une fois le groupe désigné, Une première
réunion sera organisée pour informer l'ensemble des membres les
objectifs de ce plan et la stratégie adoptée pour son
accomplissement. Les différents intervenants seront invités
à proposer des projets pour la mise en valeur du site avec estimations
des dépenses et de la durée d'exécution.
Les rédacteurs se chargeront, avec consultation des
autres membres du groupe, d'esquisser une première version du plan de
gestion qui sera soumise à la Commission de gestion et
éventuellement au Centre du Patrimoine Mondial.
Il est envisagé que la préparation du plan de
gestion soit confiée à un expert ou un bureau d'études
spécialisé, mais cette démarche est en mesure de mobiliser
des crédits et engendrer des dépenses (lancement d'un
marché) et risque de ne pas impliquer les acteurs pertinents (population
locale, élus, universitaires, compétences techniques
locales..).
3.2.3. Le plan de gestion
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Le plan de gestion vise à organiser les activités
sur le site et à maintenir
l'équilibre des fonctions. Il s'agit d'un document par
lequel les collectivités locales (régionales, provinciales, et
communales) et les autorités déconcentrées
(administratives, techniques et scientifiques), s'engagent à mettre en
oeuvre des projets identifiés ; ce qui suppose un diagnostic
précis, une identification des actions, des financements garantis et des
responsabilités bien déterminées, ainsi que l'existence
d'un mécanisme de sauvegarde approprié.
Dans le cadre de la préparation de ce document, le
CERKAS a procédé à l'inventaire de toute la documentation
relative au site, en prospectant les documents et les archives disponibles. Il
était question d'entamer les étapes suivantes :
- Relevé du site (topographique, architectural,
photogrammétrique) ;
-Description du site et définition de ses limites
;
-Identification et estimation des valeurs du site
(historiques, architecturales, communautaires, économique, culturelles,
etc.) ;
- évaluation de la dynamique démographique et
économique;
- description des modes de production et de gestion des
terres ;
- description des régimes fonciers ;
- identification des facteurs affectant le site ;
Les étapes majeures
d'élaboration du plan de gestion proprement dit se
présentent selon un calendrier tel qu'il a été
proposé en 2000 par le consultant de l' Unesco J-L.Michon:
- le groupe de travail, en examinant les plans d'actions
sectorielles, procèdera aux ajustements nécessaires pour
réunir dans un Avant-projet de plan de gestion.
- L'avant-projet est adressé au président de la
Commission de gestion et au Centre du Patrimoine Mondial pour observations et
suggestions éventuelles.
- les dernières rectifications sont effectuées,
à la lumière des observations formulées, pour la
rédaction finale du Plan de gestion.
- la version finale est achevée sous forme de maquette,
assortie des illustrations nécessaires. Elle doit être
imprimée et diffusée à travers les canaux de
communication. Les exigences de forme du Plan de gestion
feront référence à:
- la formulation d'objectifs et évaluations des
contraintes ;
- la définition de projets ;
- la désignation des sources sûres de
financements ;
- la désignation des maîtres d'ouvrages
;
- l'établissement du plan annuel (plan de travail :
gestion, entretien régulier, etc.);
- le programme d'action à moyen terme (dans 5
ans)
- le programme d'action à long terme (le cas
échéant de 5 ans à 30 ans)
- les modalités d'exécution des travaux
;
- l'évaluation des besoins en compétences et
de personnel ;
- les modalités d'établissement de rapport,
d'examen de résultats et d'évaluation de l'impact des projets
réalisés;
- les modalités de révision des plans
(annuels, à moyen terme et à long terme)
- la description du procédé de stockage des
informations et des données ;
- le mode de gestion des visiteurs;
- l'identification des interventions minimes;
- la désignation de la structure de gestion;
- la pro grammation de la recherche sur le site;
- le mode de promotion et de valorisation culturelle du site
;
- la révision de la description du site et
réévaluation ;
- la modalité de participation de la population
locale dans la gestion.
Elles doivent être classées en section thematiques
et le cas échéant en sous-sections. Quant à celles du
fond, elles doivent mettre en évidence:
- la méthodologie adoptée dans
l'élaboration du Plan;
- le niveau de faisabilité par rapport au contexte
social, economique, juridique et institutionnel;
- l'adaptabilité et la conformité avec les
plans urbains, notamment: le SDAU du Grand Ouarzazate, le PDAR de la Commune
d'Aït Zineb, ainsi que le Plan d' Aménagement de la Commune Rurale
d'Aït Zineb (en cours de préparation par les services de l'Agence
Urbaine d'Agadir).
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Il s'agit en fin de compte d'un document où tous ses
éléments sont réunis. D'un autre côté, le
plan de gestion devra permettre de faire ressortir une méthode de
travail qui consiste à programmer les actions à entreprendre
annuellement ; à moyen et à long
terme : respectivement dans 5 ans, et jusqu'à 2020 ;
date qui correspond à l'horizon du SDAU du Grand Ouarzazate. En
outre, il prendra en considération les documents urbains en vigueur et
se conformera aux chartes et aux conventions internationales en matière
de conservation de patrimoine. Par ailleurs, et au vu de l'évolution des
différents paramètres, le plan de gestion doit être
périodiquement réactualisé et
réévalué. Malheureusement, au stade où nous en
sommes, le plan de gestion est encore en gestation et affronte de nombreuses
difficultés. Il est loin d'être prêt avant la prochaine
session (2005), voire même pas avant celle de la session d'après
(2006).
Néanmoins, la planification de la gestion du site du
Ksar Aït Ben Haddou - en termes de sauvegarde, protection et
réhabilitation- soulèvent des questions récurrentes
relatives notamment : au financement de la gestion, au rôle du CERKAS,
à la participation de la population du site.
Vu la fréquentation du site par un nombre important de
visiteurs, le ksar est amené à engendrer des recettes de visite
à l'instar de nombreux biens patrimoniaux dont l'accès est payant
à l'image - non loin du site - de la Qasba de Taourirt située
dans la ville de Ouarzazate. Il est vrai que ce bien est la
propriété de la municipalité de la ville, mais cela
n'empêche pas le ksar - avec les statuts fonciers qui le
régissent- de bénéficier de recettes de visites. Il reste
à trouver un consensus au niveau des propriétaires fonciers, sur
la formule de collecte qui convient, sur la structure qui sera chargée
de la collete (la Commune ou le Fond national de l'action culturelle/FNAC) et
sur le régime de distribution adéquat de cette ressource. A ce
titre, Le prix du billet de rentrée doit être étudié
et abordable aussi bien pour les visiteurs nationaux qu'étrangers.
D'autre part, le plan doit faire mention des interventions
régulières que la structure de gestion doit envisager. Il s'agit
de repérer d'abord les points-clés (une tâche qui revient
à la structure de sauvegarde) sur lesquels il faudra des interventions
légères et régulières, sans avoir à recourir
à des opérations de restauration qui engendrerait des
dépenses importantes (voir section sur l'approche préventive
de la gestion).
Il est, par ailleurs, essentiel de veiller à ce que le
site soit documenté systématiquement avant, pendant et
après toute intervention. Une fois qu'une intervention a eu lieu, ce qui
a été modifié est perdu pour touj ours si la documentation
n'a pas été convenablement réalisée. La
documentation est une activité permanente pendant tout le processus de
la gestion du site.
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