2.1. La valorisation du site
2.1.1. Sensibilisation et promotion
La valorisation - élément de transition à
la réhabilitation - s'inscrit dans la
continuité du thème de la conservation. Lorsque
les gens accordent un intérêt à un élément
patrimoine, ils développent généralement des comportements
respectant son
existence1. D'où, la
nécessité de mener une politique de vulgarisation à tous
les niveaux dans le cas du Ksar Aït Ben Haddou afin que toute
action dans le site soit soutenue et
1 Pierre De Maret (dir.), Plan de sauvegarde du patrimoine
de l'Afrique francophone, ULB, 1997, (p.96)
permanente et moins onéreuse. La valorisation dans
notre cas doit s'adresser à deux publics :
Le premier est la population locale. Partant du fait que
l'intérêt est porté par les gens à leur patrimoine
local plutôt qu'à un patrimoine lointain ou qu'il ne connaissent
pas. La population du site du Ksar Ben Haddou s'identifient par
rapport à leur village ancien : il constitue non seulement leur
héritage, mais également leur identité. Ce sentiment est
très remarqué chez les adultes ; c'est donc au niveau du jeune
public qu'il faut mener l'action de valorisation. Sensibiliser les personnes en
âge de scolarité est une action prioritaire car il s'agit de la
meilleure manière d'assurer la préservation du ksar à long
terme et renforcer l'intérêt des générations futures
pour sa gestion au niveau local.
Malheureusement, il y a une seule école sur le site
(situé dans le village issiwid) ; elle sera amenée à
devenir une interface entre les jeunes écoliers et leur patrimoine, qui
risque d'échapper à leur appréhension du fait que la jeune
génération n'a pas vécu dans le ksar. Les locaux de
l'école sont susceptibles d'être des supports pédagogiques
: il convient ici d'enrichir ces locaux par des photographies et des peintures
sur mur, pour illustrer le capital culturel du ksar et de son environnement.
Les acteurs culturels sont amenés à jouer le rôle
d'animateur ou de médiateur au sein de l'école. En
parallèle, il y a un travail similaire à fournir au niveau des
établissements scolaires (collèges, collèges) dans
lesquels les enfants du village poursuivent leur scolarité. Les acteurs
culturels (l'administration chargée des affaires culturelles notamment)
sont invités à travailler dans ce sens conjointement avec
l'administration provinciale chargée de l'éducation et la
jeunesse.
Quant au second public, il s'agit des gens étrangers au
site : qu'ils soient des nationaux de proximité, originaires d'autres
localités ou de visiteurs étrangers au pays ; et d'autre part,
des acteurs institutionnels (à l'échelle provinciale,
régionale ou nationale). Il y a tout un effort à fournir en
matière de valorisation et de promotion à ce niveau. Il est
paradoxal que le site du ksar soit valorisé par les instances
internationales (à l'image de l'Unesco et du PNUD) et ne le soit pas au
niveau national. Il est à rappeler que l'inscription sur la liste du
patrimoine mondial engage l'Etat marocain et non seulement un
département ministériel (le ministère de la Culture en
l'occurrence).
Le label Patrimoine Mondial et son logo doivent tout
au moins figurer sur le site (par exemple par le biais d'une bannière ou
d'une enseigne appropriée ; un concours entre artistes devrait
être lancé à ce titre), ainsi que sur les panneaux de
signalisation ou de balisage qui indiquent le chemin du ksar pour assurer une
meilleure lisibilité et visibilité du site. Des slogans peuvent
également figurer sur le site et sur tous les supports
pédagogiques ou d'informations et de promotion concernant le site. Le
message doit avoir une forte teneur en sensibilisation à
un patrimoine fragile. Un slogan du genre : Héritage
partagé, responsabilité commune revient souvent
dans la littérature de l'Unesco1.
Par ailleurs, il y a plusieurs pistes potentielles à
exploiter, notamment les médias (les chaînes de
télévision, les stations de radiodiffusion, la presse
écrite, etc.) l'administration postale (émission de timbres
poste), les télécommunications (émission de cartes
téléphonique illustrant les potentialités culturelles,
architecturales et
paysagères du site)2.
Photo. 10- l'un des rares panneaux d'indication du Ksar
Aït Ben Haddou (cliché: Luc Fougere)
1 Ce slogan fut, à l'occasion de la
célébration du 30 ème anniversaire de la Convention de
1972, l'intitulé du Congrès international organisé par le
Centre du Patrimoine Mondial et le Bureau régional pour la Science en
Europe ( Venise, du14 au 16 novembre 2002).
2 La Deuxième chaîne marocaine 2M -
émise sur satellite- lance souvent un spot de promotion d'un paysage
architectural d'une vallée verdoyante et d'un ensemble architectural en
terre filmé en plongée très réussie.
L'opérateur marocain des télécommunications Maroc Telecom
avait émis récemment une carte téléphonique
illustrant la ville d'Essaouira, Marrakech, et un paysage ksourien de la
vallée du Draa, il convient également que le ksar des Aït
ben Haddou soit représenté dans une carte similaire à un
prix abordable (10 dhs=1Euro ou 18 dhs) ou étendre l'émission
à toute la gamme tarifaire pour assurer une large diffusion.
L'administration postale marocaine Barid Al-maghrib émet souvent des
timbres en série limitée des monuments connus du Maroc et de
certains paysages, il est peut-être temps qu'elle s'intéresse au
paysage ksourien des vallées à l'image du Ksar Aït Ben
Haddou et procéder à de larges émissions de
timbre.
Fig. 15 - exemple de carte téléphonique
illustrant un paysage ksourien de la vallée du Draa
2.1.2. Les vecteurs in situ de
médiation
La promotion des potentialités du site du Ksar
Aït Ben Haddou est susceptible de
drainer davantage de visiteurs pour lesquels il faut non
seulement assurer l'accueil dans de bonnes conditions, mais également
une bonne communication des valeurs du site.
a. écomusée ou musée communautaire
?
Certains y voient la pertinence de créer un
écomusée au niveau du ksar1. A ce titre,
la structure muséale parait la formule la plus
sollicitée, pour créer une dynamique de communication, car elle
revient souvent dans la littérature relative à la valorisation
des sites culturels. Entre musée classique (archéologique,
muséographique, thématique, etc.) et musée de
reconstitution, l'écomusée est le modèle qui a plus de
notoriété, car le plus théorisé et le plus
adapté à des contextes socioculturels, géographiques,
et
écologiques extrêmement
variés2.
Inspirés des musées communautaires, ou une
simple dérivée de ceux-ci, l'écomusée a acquit ses
titres de noblesse grâce à l'apport de Georges-Henri
Rivière (premier directeur de l'ICOM en 1946), et à la
dimension sociale qu'il se veut porteur pour la communauté
détentrice des valeurs patrimoniales, à travers les
expériences menées dans différentes régions du
monde.
L'écomusée, selon les termes de G-H.
Rivière, est « un instrument qu'un pouvoir et une
population con çoivent, fabriquent et exploitent ensemble. Ce pouvoir,
avec les experts, les facilités, les ressources qu'il fournit. Cette
population, selon ses aspirations, ses savoirs, ses facultés
d'approche.
Un miroir où cette population se regarde, pour s'y
reconnaître, où elle recherche l'explication du territoire auquel
elle est attachée, jointe à celle des populations qui l'ont
précédée, dans la discontinuité ou la
continuité des générations. Un miroir que
1 F. DeMicheli, op. cit., p.
2 André Desvallées, «Novelle
muséologie», in Encyclopaedia Universalis, ed. 1998
(p.922)
cette population tend à ses hôtes, pour s'en
faire mieux comprendre, dans le respect de
son travail, de ses comportements, de son intimité
»1.
Il serait à la fois une interprétation de
l'espace, un laboratoire de recherches
pluridisciplinaires, un conservatoire, et une
école2.
Ce type de << musée » devrait être
dirigé par un conseil d'administration comprenant des
représentants de trois collèges : celui des usagers, celui des
scientifique et celui des gestionnaires. Il revient à cette structure
d'établir un statut adapté au contexte du site et à ses
occupants, soulignant son mode de fonctionnement.
Dans une telle démarche, il ne s'agit pas de <<
délivrer un message universel à un public
indéterminé, mais de mettre la population en contact avec ses
propres
valeurs »3.
Il faut reconnaître que cette démarche n'est pas
du tout facile, vu les enjeux importants qui pèsent sur l'environnement
du ksar des Aït Ben Haddou sur le plan social, culturel et
économique. En outre, l'expérience des écomusées ou
des musées communautaires au Maroc est assez récente, et n'a pas
encore révélé ses éléments de
réussite ou d'échec.
Les premiers sont liés surtout à des sites
naturels ou à des aires protégées et se prêtent
à confusion avec les musées de plein air. Quant aux seconds, les
musées communautaires, on ne dispose à l'heure actuelle qu'une
seule expérience : celle du village des Aït Iktel dans le
Haut-Atlas menée par l'anthropologue marocain: Ali
Amahan4.
b. les maisons thématiques
Dans cette dynamique, la population est appelée à
créer en concertation, des
structures révélatrices des valeurs
(intrinsèques et extrinsèques) du site en rappelant la fonction
majeure et originelle du ksar : l'habitat. Ainsi, des structures d'animation
devraient se décliner en plusieurs formes de désignations selon
qu'il s'agisse d'habitat (Maison des Aït Ben Haddou, des Aït
Aïssa, des Aït Bahaddou, des Aït Lahçaïne, des
Aït Ou Gourram, des Aït Ali Ou H'mad, des Aït Saïd,
entre autres),
1 (( Images de l'écomusée », in
Muséum, n°148, 1985, cité par J-P Laurent.
2 ibid
3 Marc Alain Maure (1976), cité par A.
Desvallées, op. cit., p. 922
4 Mr. Amahan est vice-président de l'ICOM-Maroc et
inspecteur au Ministère de la Culture ; son expérience est
décrite dans : Ali Amahan, (( Développement : un modèle de
musée communautaire dans un village du Haut-Atlas », in Les
musées : construire les communautés, Acte de la
Journée internationale des musées (18 avril 2001) et
également A. Amahan, La face humaine de la pauvreté, Document
présenté dans le Mediterranean Development Forum, 3-6 Sept. 1998.
(les deux documents sont diffusés sur Internet).
d'ateliers de tissage (Maison de tissage), ou de salle
d'exposition filmographique du site (Maison de Cinéma), etc.
c.
le centre d'interprétation1
Il s'agit d'une structure destinée à «
fournir au public l'information qu'il désire sur le site qu'il visite,
à lui donner des points de repère et des clés de lecture
lui
permettant de restituer par la pensée les
fonctions disparues »2.
Les centres d'interprétation sont nés en
Amérique du Nord, dans le but de pallier le manque d'objets originaux ou
d'animer des parcours de parc naturels. Par la suite, ces centres se sont
retrouvés liés directement aux sites archéologiques
notamment en France, et assimilés souvent à des musées de
site (en Espagne où ceux-ci s'intitulent eux même des «
Centres d'interprétation ») où des ensembles
archéologiques et monumentaux qui se rapprochent de la définition
des parc archéologiques (dans les pays scandinaves).
Une panoplie d'outils pédagogiques et d'information est
mise à la disposition des visiteurs : panneaux, photographies,
maquettes, audiovisuels, etc.
Le vocable désignant le centre d'interprétation
-terme générique parait-il- peut se décliner en plusieurs
formes, selon le contexte où l'on se situe, et selon la finalité
de l'action.
Dans le cas du village communautaire des Aït Ben
Haddou, une telle structure semble pertinente dans la mesure où
elle fait défaut et le visiteur se retrouve dans le site sans aucune
information, devant une population en phase de rupture latente avec son
passé, avec ses traditions et avec ses valeurs.
Le choix de l'emplacement de cette entité dépend
du circuit de visite à aménager sur le site. Sa
désignation varierait selon qu'elle va se situer dans la rive
opposée au ksar (Centre d'information) ou dans le ksar lui-même
(Maison d'information). Il convient au CERKAS d'assurer cette tâche par
le biais de l'antenne qu'il envisage installer dans le site, vue
l'expérience qu'il a cumulée dans ce domaine (le cas de la
Qasba de Taourirt à Ouarzazate).
d.
la dynamique scientifique
Dans un chapitre précédent (chapitre 1/ 1.1.a) il
était question de reconsidérer les
valeurs du ksar et d'accompagner l'évolution de ses
valeurs. Il en est ressorti que le ksar, avec les vestiges
révélés à proximité, l'abandon quasi-total
de la fonction
1 Le cours de Mme Myriam Morel-Deledale - lors de son
passage à l'Université Senghor- m'a inspiré ce
modèle de structure de médiation dans le site du Ksar Aït
Ben Haddou, à partir des exemples rencontrés dans le monde (cours
également diffusé sur Internet).
2 Michel Colardelle, « les musées de site :
Recherche, reconstitution, préservation du patrimoine,
aménagement du territoire », Acte de la Rencontre ICMAH,
Thessalonique, 1997 (p.176).
d'habitat, la phase de rupture avec le passé, est dans
un stade assez proche d'un site archéologique de l'habitat
présaharien. D'où, le choix de l'appellation : Site
protoarchéologique.
Les autorités de tutelle sur la recherche
archéologique (Direction du Patrimoine culturel et l'INSAP) sont en
mesure d'établir un programme de recherche étalé sur dix
années à raison d'une mission d'un mois ou plus par année,
ou de deux missions le cas échéant (en Septembre et/ou en
Mai).
Les étudiants de l'INSAP devraient être
intégrés à ce programme étant donné que
chaque année, une mission de fouille est programmée pour eux
(pendant le mois de
mai de chaque année)1.
Ces missions pourraient être cofinancées par des
organismes universitaires nationaux ou étrangers à l'instar des
missions qui sont menées dans différentes régions du
Royaume. Les PROTARSCE financés intégralement par le
Département chargé de la recherche scientifique, offre une
opportunité de financement pour de tels programmes.
Ces missions seront susceptibles d'animer le site et
d'engendrer une dynamique sociale et économique tout autour
(restauration, des centaines de journées de travail, etc.), à
l'image de nombreux villages où des missions similaires sont
menées systématiquement. La population du site est amenée
à découvrir une nouvelle facette des valeurs de leur site, et qui
échappent encore à leur conscience.
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