1.7. La mise en oeuvre des mesures de protection : le
classement
La protection juridique du site du Ksar Aït Ben Haddou
est une composante de
première importance pour la sauvegarde du village.
Le texte de classement est venu enfin en 2004 de se greffer au
système de protection du patrimoine national (loi n°22-80) et au
processus de sauvegarde du site enclenché depuis 1953 en vertu de
l'arrêté viziriel portant classement des
vallées des Oasis (B.O. n°2125 du 7 juillet 1953- p. 983).
Cependant, ce texte de classement n'a pratiquement jamais été
appliqué en faveur du ksar, et tendait à tomber en
désuétude, d'autant plus qu'il avait une portée
géographique assez importante.
En 2001, deux documents urbains ont été
approuvés et homologués par l'autorité chargée de
l'urbanisme et l'aménagement du Territoire : le Schéma Directeur
du Grand Ouarzazate (SDAU) et le Plan de développement et
d'aménagement de la Commune rurale d'A ït Zineb
(PDAR).
Bien que ces deux documents tiennent compte respectivement du
patrimoine architectural à l'échelle de la Province, et du ksar
des Aït Ben Haddou à l'échelle de la commune, ils
se sont révélés sans effet réel sur la sauvegarde
du site, étant donné que le premier a une portée
générale et le second a une portée limitée. Il est
vrai qu'il s'agit d'instruments de planification en matière
d'aménagement et de l'occupation du sol, mais qui sont dépourvus
d'éléments contraignants. Plusieurs infractions au PDAR
ont été constatées, et l'intégrité du
site risquait d'être altérée irréversiblement.
La procédure de classement avait été
entamée en 1994, mais n'a pu aboutir à cause de la lenteur de la
procédure et de la complexité du statut foncier du ksar.
Conformément à la réglementation en vigueur, la demande de
classement doit émaner du propriétaire du bien, de
l'autorité de tutelle, ou d'une association reconnue d'utilité
publique. Le classement du ksar était confronté à la
diversité des propriétaires donc à une
variété de régimes de propriété.
La procédure fut relancée en 2001 grâce
à l'effort du CERKAS et la volonté sérieuse des
collectivités locales et l'autorité de tutelle (Ministère
de l'Intérieur).
En conséquence, le Ministère de la Culture est
de droit engagé dans l'action de protection du site du ksar (avant, le
ministère était en situation de fait). Tout aménagement,
modification, construction nouvelle ou installation est en vertu du texte de
classement, subordonné à l'avis favorable de l'inspection
régionale des sites et
monuments (Marrakech), et éventuellement du CERKAS.
Et toute infraction à l'arrêté de classement sera
passible de sanction prévue par la loi n°22-80 relative à la
conservation du patrimoine mobilier et immobilier (Titre VIII, sections 1 et
2), et la loi 12-90 relative à l'urbanisme.
Le texte de classement prévoit non seulement la
protection du ksar mais également ses abords et fixe un zone tampon,
ainsi que des servitudes (non aedificandi et non altius tolendi).
Celles-ci ont été déjà fixées dans le
PDAR (document graphique), et les auteurs du texte de classement ont
dû les maintenir pour leur pertinence et leur
adéquation avec le contexte (voir plan
ci-dessous)1
Cependant, le classement n'offre pas beaucoup de garanties en
faveur du ksar. Il s'agit d'un instrument de protection juridique dont le
détenteur (ministère de la culture en l'occurrence) n'exerce
aucun pouvoir de police sur les sites classés. Il s'agit à la
limite d'un instrument normatif auquel les autorités et la population
sont censées s'y référer le cas échéant.
Par ailleurs, ce classement risque de figer la dynamique
économique du ksar, dont les propriétaires vont se retrouver
devant la contrainte de respecter les normes de construction (modèles et
matériaux) et en face d'un instrument juridique contraignant dont les
effets échappent à leur perception. D'autant plus que la
réglementation en matière de classement n'offre aucune mesure
d'incitation pour les propriétaires désireux d'effectuer des
travaux d'amélioration de leur cadre bâti (exonération ou
allégement fiscal). L'administration de tutelle détient
même le droit d'exécuter d'office des travaux qu'elle juge utiles
à la sauvegarde des bâtisses (loi n°22-80 ; art. 25).
D'autre part, associé à la réglementation
en vigueur (loi n°22-80 ; art.26), le classement du ksar en question
consacre la règle du Dahir du 27 avril 1919 organisant la tutelle
administrative des collectivités ethniques et réglementant la
gestion et l'aliénation des biens collectifs qui dispose que les
biens collectifs sont inaliénables et imprescriptibles.
Il est évident que le texte ne classement ne garantit
pas pleinement le respect de la réglementation en vigueur. Il y a un
effort énorme à fournir auprès de la population et les
acteurs locaux dont dépend l'avenir du ksar. A ce titre, le CERKAS
est surtout appelé à mener une action de diffusion de ce
texte à tous les niveaux en soulignant les enjeux de sa mise en oeuvre
et en gardant le sens de l'écoute auprès de la population. Sans
cette approche, toute action de sauvegarde et surtout de réhabilitation
serait vaine et inconséquente.
1 Le texte de classement existe actuellement en arabe. La
version française n'est pas encore publiée.
Chapitre 2. La démarche de réhabilitation
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La réhabilitation du ksar des Aït Ben Haddou
consiste à repérer les pistes et la mise
en oeuvre des mécanismes de sa mise en valeur, et
à inscrire l'ensemble dans une perspective de rentabilité sociale
et économique en essayant de concilier d'une part les valeurs
internationales (Convention de 1972, Charte de Venise, etc.) avec les
attentes de la population locale, et d'autre part l'éthique de
sauvegarde avec les impératifs de développement local.
La réhabilitation du Ksar Aït Ben Haddou
se veut d'abord une vocation sociale, et passe forcément par
l'élément de reconnaissance en tant que patrimoine mondial. La
reconnaissance du patrimoine s'effectue à deux niveau : d'une part au
sein des détenteurs du bien patrimonial et des gens qui en exerce le
droit de jouissance (population, usagers, touristes, etc.) ; d'autre part, au
sein des autorités et des organisations.
Il est évident que les propriétaires
légitimes du ksar se reconnaissent dans leur village (sentiment
d'appartenance, d'appropriation et d'héritage). Mais il n'est pas
certain qu'ils sachent tous que leurs biens font partie d'un patrimoine
universel. Car même le logo du patrimoine mondial ne figure pas sur le
site. Ce qui rend la reconnaissance du bien en tant que patrimoine mondial
moins évidente également par les visiteurs.
La réhabilitation du ksar des Aït Ben Haddou
est une démarche assez compliquée, dans la mesure où
il y a d'abord une approche à adopter auprès de la population
(qui a abandonné son village), avant de procéder à la mise
en valeur du ksar par l'amélioration des conditions de vie, et la
création d'une nouvelle dynamique au sein de l'ensemble.
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