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La gestion des sites du patrimoine mondial au Maroc: Le cas du Ksar Ait Ben Haddou (province de Ouarzazate)

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par Hassan ZAKRITI
Université internationale de langue française au service du développement africain - DEPA 2005
  

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TROISIÈME PARTIE :
PRESPECTIVES DE SA UVEGARDE,
DE RÉHABILITATION
ET DE GESTION DU KSAR AÏT BEN HADDOU

Face à un devenir incertain du ksar des Aït Ben Haddou, à la précarité de ses

structures (sociales, économiques, culturelles/architecturales..), à la fragilité de son contexte écologique et économique, les perspectives de durabilité du site s'inscrivent dans une dynamique de sauvegarde rationnelle et maîtrisée (chapitre 1), et dans une démarche de réhabilitation répondant aux attentes de la population (chapitre 2), assurées par des mécanismes de gestion planifiée et intégrée (chapitre 3)

Chapitre 1. La dynamique de Sauvegarde

La réflexion à la question de sauvegarde du Ksar Aït Ben Haddou nous amène à

se poser la question suivante : Que doit-on protéger dans ce ksar ?

A priori, l'objectif de la sauvegarde est de protéger le bien et d'en assurer l'intégrité pour les générations futures.

Rappelons que la Recommandation de l'Unesco concernant la sauvegarde des ensembles architecturaux ou traditionnels et leur rôle dans la vie contemporaine (formulée à Naïrobi en 1976) précise que « chaque ensemble historique ou traditionnel et son environnement devraient être considérés dans leur globalité comme un tout cohérent dont l'équilibre et le caractère spécifique, dépendent de la synthèse des éléments qui le composent et qui comprennent les activités humaines autant que les bâtiments, la structure spatiale et les zones d'environnement. Ainsi, tous les éléments valables, y compris les activités humaines même les plus modestes par rapport à l'ensemble, une signification qu'il importe de respecter » (Principes généraux, II, 2).

Ainsi, la sauvegarde doit se fonder sur une définition claire du bien patrimonial et de ses rapports avec son environnement. Elle tend de plus en plus à aller au-delà de la substance physique et s'attache à la qualité du bien (valeurs intrinsèques) et ses valeurs associées (extrinsèques).

Celles-ci ont nombreuses et en général extrinsèques au bien1. Celles jugées importantes gouvernent sa protection et sa conservation. Elles peuvent être aussi bien à caractère historique qu'économique et même être de nature contradictoire dans le même bien, ce qui rend les décisions de sauvegarde et de gestion particulièrement

délicates, d'autant plus que les jugements de valeur peuvent varier avec le temps2.

1 Bernard M. Feilden & Jukka Jokilehto, Guide de gestion des sites du patrimoine mondial, icomos, 1996 (p.17)

2 ibid.

De ce fait, les valeurs associées se retrouvent au coeur de la décision de sauvegarde. Dans le cas de Ksar Aït Ben Haddou, ces valeurs constituent de véritables enjeux ; c'est sur elles qu'il faut d'abord se pencher avant d'examiner les éléments qui animent la dynamique de sauvegarde.

1.1. Reconsidération des valeurs du ksar :

Rappelons que les valeurs associées à un site ou un bien culturel du patrimoine

mondial sont en perpétuelle évolution. D'où, il y a lieu d'accompagner cette évolution en reconsidérant les valeurs associées du Ksar Aït Ben Haddou.

La démarche consiste à élaborer une nouvelle grille d'analyse, qui s'inscrirait dans le prolongement de la déclaration des valeurs émanant du Maroc et de l'icomos (voir la section 1.4.2. du chapitre Ier de la Deuxième Partie).

Bernard M. Feilden et Jukka Jokilehto proposent une approche analytique pour les sites du patrimoine mondial qui examinent à la fois : les valeurs culturelles, leur

nature, leur fondement, et leur impact1. Pour le ksar des Aït Ben Haddou, la trame d'analyse est illustrée par le tableau ci-dessous (fig.13):

Deux nouvelles notions peuvent se dégager de l'analyse des valeurs associées au ksar des Aït Ben Haddou ; elles peuvent influencer le traitement et engendrer de nouveaux enjeux favorables au site.

a. Le site du ksar en tant que site proto-archéologique

Le ksar en question est situé au pied d'une colline, qui recèle des vestiges

archéologiques (grenier collectif, remparts, nécropole) ; lesquels vestiges pourraient renseigner l'archéologie sur les anciens établissements humains dans les vallées présahariennes, d'autant plus qu'une approche archéologique sur le site n'a pas été menée jusqu'à présent.

Par ailleurs, le ksar est en train de devenir un village déserté abandonnée par ses habitants, et perdre de ce fait sa fonction originelle : celle de l'habitat. Si le processus persiste, le ksar a de fortes chances de devenir un site proto-archéologique de l'habitat des vallées présahariennes.

Le ksar gagnerait en notoriété certes, mais engendrerait de nouveaux enjeux qu'il serait difficile de maîtriser. Il ne s'agit pas ici d'une recherche d'une notoriété supplémentaire, mais plutôt d'une approche d'intégration dans un processus de recherche scientifique en matière d'archéologie, à laquelle les ksour échappent encore.

1 id., pp. 16-21.

D'autant plus que certains éléments obscurs demeurent sans réponse quant à la fondation de cet ensemble, sa chaîne chronologique, les systèmes de croyances et de production des ksouriens, et que seule une approche archéologique assez poussée pourraient apporter des éléments de réponse à de nombreuses problématiques.

Valeurs associées au ksar
des Aït Ben Haddou

Composantes

Fondements

nature

Impact

Valeurs culturelles

Valeurs d'identité

La reconnaissance

Liens émotionnels :
Sentiment d'appartenance au site,
d'appropriation de l'espace (en
régression)

Abandon quasi-total (installation sur
un site très proche)

 

La recherche

Valeur architecturale ; adaptation
à la topographie du terrain.

Inscription sur la liste du patrimoine
mondial (1987) ;
Classement au niveau national
(2004).

 

Approche comparative :
Représentabilité, rareté, etc.

Architecture vernaculaire typique
des vallées présahariennes ;
Caractère exceptionnel

Préoccupation avancée de la part des
autorités de l'Unesco ; inscription sur
la liste du patrimoine mondial.

Valeurs socio-
économiques
contemporaines

Valeurs économiques

Etablissement humain ;
interaction avec l'espace ;
Potentiel touristique et
paysager

Commerce, agriculture, élevage,
tourisme, artisanat, production
cinématographique

Impact négatif sur le ksar dû à la
domination du tourisme, à la
spéculation, au commerce
anarchique, etc

 

Occupation de l'espace

Habitat (en déclin)

Abandon du ksar ; dégradation des
structures du bâti

 

Potentialités en écotourisme
et tourisme culturel

Potentiel touristique ; signification
culturelle et historique

Dégradation du tissu original et perte de témoignages archéologiques dues à la prévalence d'un tourisme mal géré.

 

Vie en communauté

Valeurs communautaires :
solidarité, cohésion, gestion
communautaire des ressources (en
déclin)

Régression accélérée de la sauvegarde
du ksar

 

Histoire politique basée sur
la recherche
(historiographie,
archéologie)

Nomination de l'amghar Ben
Haddou chef du village (XIème s.)-
alliance des Aït Ben Haddou avec
le clan des Glaouis(fin XIX ème s.)

Faible impact sur la sauvegarde du
ksar (histoire mineure aux yeux des
pouvoirs politiques)

 

Fig.13 -Grille des valeurs associées au Ksar Aït Ben Haddou (inspirée du modèle de B.M. Feilden & J.Jokilehto, Guide de gestion des sites du patrimoine mondial, 1996)

Photo.11 - les vestiges des remparts du ksar (cliché : M. Barjali - Cerkas)

b. le site du ksar : paysage culturel

Le ksar des Aït Ben Haddou obéit à la fois à deux notions définies par l'article 1 de la

Convention de 1972, celle des ensembles et celle des sites (voir section 1.1. du chapitre Ier de la Première Partie) :

Les sites, selon les termes de la Convention, correspondent à ce qu'on appelle les Paysages culturels. Ceux-ci se situent au coeur d'une réflexion aussi bien des experts de l'Unesco, des professionnels du patrimoine que des gestionnaires du patrimoine mondial.

La notion de paysage culturel n'est pas récente. Le géographe américain Carl Sauer en proposa une définition en 1929 : « le paysage culturel est façonné à partir du paysage naturel par un groupe culturel. La culture est l'agent, la nature le moyen, et

le paysage culturel est le résultat »1.

Ce qui est récent néanmoins, c'est la reconnaissance des paysages culturels comme entités patrimoniales ayant des mécanismes qui requièrent protection, conservation et gestion. Le concept de paysage s'éloigne donc de l'instrument de géographe visant à mieux apprécier la mécanique de transformation de

1 Cf. Iccrom chronique, n°29, juin 2003, édition fran çaise (p.12)

l'environnement ; il est perçu comme pouvant offrir un ensemble d'instruments

opérationnels pour améliorer la définition et la protection du patrimoine1.

On ne sauvegarde pas les paysages culturels avec les instruments conventionnels de la conservation, mais par la reconnaissance des forces qui gouvernent la dynamique des changements.

La Convention de 1972 désigne cette catégorie par << des oeuvres conjuguées de l'homme et la nature ». La perception des auteurs de cette convention englobaient les paysages de tous les genres : urbain, rural, industriel, etc. toutefois, dans la pratique, la

définition a surtout été appliquée aux paysages ruraux2.

Les paysages culturels procurent un sentiment d'identité : ils donnent aux groupes sociaux et aux individus le sentiment d'appartenir à un lieu. Ils fournissent des exemples classiques d'utilisation durable des terres. Par les cultures pratiquées et l'élevage dans le cadre des systèmes traditionnels d'utilisation du sol, beaucoup de paysages culturels recèlent en outre d'importants réservoirs de biodiversité. Pris ensemble, ces paysages offrent Une grande diversité culturelle, tandis que chacun d'eux peut apporter la preuve des interactions avec l'environnement naturel dans un lieu

particulier3.

Dans les Orientations (§36-§42), << le terme Paysage culturel recouvre une grande variété de manifestations interactives entre l'homme et son environnement naturel.

(...) ils reflètent souvent des techniques spécifiques d'utilisation viables des terres, prenant en considération les caractéristiques et les limites de l'environnement naturel dans lequel ils sont établis ainsi qu'une relation spirituelle spécifique avec la nature. La protection des paysages culturels peut contribuer aux techniques modernes d'utilisation viable et de développement des terres tout en conservant ou en améliorant les valeurs naturelles du paysages ».

Il est clair que le village communautaire des Aït Ben Haddou présente tous les aspects d'un paysage culturel : structures en terre extraite de l'environnement immédiat, et modelée à partir de modèles géométriques d'une sobriété remarquable ; intégration de l'ensemble dans son paysage naturel (colline, terrains agricoles irrigués, fleuve..) .

Rappelons que Henri Terrasse avait décrit le ksar au début des années 1930 en termes d'éléments paysagers : << (il) échelonne sur une pente de roches rouges, au bord

1 ibid.

2 ibid.

3 Cf. Paysages culturels : les défis de la conservation (en anglais), actes d'ateliers tenus à Ferrara (Italie) les 11-12 novembre 2002 (Conclusion et recommandations publiés en français), p.173

d'un oued, une cascade de maisons et de tighremts ». Il reste à savoir à quelle catégorie de paysage culturel appartiendrait le ksar en question.

Les Orientations proposent une classification des paysages culturels en 3 catégories (§39) : le ksar des Aït Ben Haddou balance entre les deux dernières catégories ; à savoir : les paysages essentiellement évolutifs/ paysages vivants (§39. ii/b) et les paysages associatifs (§39. iii).

Quoiqu'il en soit, le Ksar Aït Ben Haddou est la manifestation d'un long processus d'interaction équilibrée entre les ksouriens du site et leur milieu naturel, et la conséquence d'une parfaite adaptation entre l'élément humain et les conditions de son espace vital.

La dynamique de sauvegarde consisterait à mener ce processus sans rupture tout en cherchant à assurer l'équilibre de l'interaction entre l'élément humain/culturel et naturel. Ce qui fait la force qui anime le souci de sauvegarde des paysages culturels.

Toutefois, il est difficile d'atteindre ce stade de traitement tant que les structures de sauvegarde (le Cerkas en l'occurrence) réfute toute idée de reconsidérer les valeurs du ksar (intrinsèques) et les valeurs qui lui sont associées (extrinsèques) à la lecture du dernier rapport de suivi périodique (2000 ; p.4).

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King