Il semble que l'inscription du ksar sur la Liste du patrimoine
mondial est devenu
une charge qui pèse sur le site vus les enjeux
auxquels sont confrontés et la population et les décideurs, et
qui donnent matière à spéculations et d'infractions
urbanistiques nourries par la volonté du gain chez certains
investisseurs.
Le ksar illustre bien les problématiques auxquelles
est confronté l'ensemble des établissements humains des
vallées présahariennes : abandon du ksar; dégradation du
bâti faute d'entretien et d'investissement; attraction exercée par
la route qui a favorise l'implantation de nouveaux établissements
relativement mieux dotés en équipements, mais moins
adaptés - en termes de matériau- aux conditions climatiques.
Le mode de construction en terre, plus adapté aux
conditions bioclimatiques, n'est pas réglementé, de moins en
moins maîtrisé et reste dans la plupart des cas onéreux :
difficulté d'accès au crédit bancaire, difficulté
d'établir des réglementations techniques en la matière,
déperdition du savoir-faire, etc.
Notre examen de la situation du ksar est axé sur deux
volets : l'état de conservation et la situation foncière du ksar.
Ces deux éléments du diagnostic sont des handicaps
récurrents à toute action visant la conservation globale, la
réhabilitation et la revitalisation du ksar.
3.4.1. L'état de
conservation
Malgré les efforts déployés dans le sens
de préserver l'essentiel du Ksar des Alt
Ben Haddou, la situation est celle d'un site dans un
état d'abandon quasi-total et fortement dégradé.
L'ensemble des conditions et des moyens devant être mis à sa
disposition pour sa mise en valeur en tant que patrimoine mondial est à
ce jour insuffisant. Le diagnostic de l'état du ksar se résume
ainsi :
Actuellement, plusieurs maisons risquent d'être
réduites à néant, alors que d'autres évoluent dans
ce sens en raison de leur abandon. Quelques rares maisons sont encore
préservées et sont situées surtout dans la partie basse du
ksar. Le diagramme ci dessous (fig.9) illustre bien ce phénomène
et nous renseigne sur les différents états de conservation.
60,00% 50,00% 40,00% 30,00% 20,00% 10,00% 0,00%
bon moyen en ruine
Fig.9 - Etat de conservation des structures (source :
CERKAS)
Photo.10 - exemple d'aménagement privé
à des fins touristiques alté rant l'intégrité
visuelle du ksar (cliché : M. Barjali - Cerkas)
3.4.2. La situation
foncière
Une enquête a été menée par le
CERKAS en septembre 2001 pour faire un
constat sur la situation foncière du ksar. Cette
démarche s'avérait nécessaire afin d'éclaircir la
situation et collecter les informations qui peuvent constituer une base de
données sur laquelle peut se fonder toute étude ou action dans
l'avenir. Il était également important de connaître l'avis
des propriétaires car avant toute action de mise en valeur du ksar, leur
opinion était essentielle.
L'enquête en question s'est articulée autour de
4 volets : situation foncière, fonction du bien, état de
conservation et propositions de réhabilitation.
Différents constats on été
dégagés de cette enquête, qui se résument ainsi :
une situation foncière assez complexe qui entrave toute action de
réhabilitation du ksar, néanmoins, les propriétaires sont
prêts à participer à cette action si certaines conditions
sont réunies (voir en détail dans le volet consacré
à la dynamique de réhabilitation à la Troisième
Partie de ce mémoire).
Le ksar des Aït Ben Haddou reflète
à lui seul, à une échelle réduite, toute la
complexité du régime foncier marocain, qui - faute
d'interlocuteur unique - freine à la fois toute dynamique de sauvegarde
et du coup toute initiative d'investissement (aussi
bien publique que privé)1.
Les abords du ksar sont caractérisés par le
statut de propriété collective des
terrains2. Au sein du ksar, les
propriétés privées représentent la majorité
absolue. A l'exception de l'enceint qui est un bien collectif et de la
mosquée qui dépend des Habous tous les autres locaux
appartiennent aux particuliers avec un pourcentage supérieur à
98%.
L'héritage constitue le principal mode d'acquisition
des biens au ksar avec 74,67%. Cependant ce mode avait posé beaucoup de
difficultés surtout le surpeuplement dû aux multiples divisions
entre les héritiers. On peut le considérer comme une des causes
majeures de l'exode vers le nouveau village puisque les maisons ne peuvent plus
abriter plusieurs familles (voir fig. 10). Il s'agit également
d'un problème lors des actions de restauration et de
réhabilitation car il est touj ours difficile voire impossible d'avoir
l'accord de tous les héritiers concernés.
1 Cf. Lahcen Larbaoui, « La question foncière et
l'investissement », in Urba, n°5 (bulletin électronique
du Ministère chargé de l'urbanisme et de l'aménagement du
Territoire).
2 Les terres collectives - à vocation agricole
notamment- qui appartiennent aux collectivités ethniques (ou locales),
sont placées sous la tutelle du Ministère de l'Intérieur.
Elles sont inaliénables, insaisissables et imprescriptibles, en vertu de
l'art.4 du Dahir du 27 avril 1919 organisant la tutelle administrative des
collectivités ethniques et réglementant la gestion et
l'aliénation des biens collectifs. Sur ce sujet voir Ahmed Daoudi,
« le statut foncier des terres relevant de la réforme agraire et du
collectif », in Urba, n°5
L'achat est le deuxième mode d'acquisition au ksar ;
il représente 25,22%. On note que la majorité de ces transactions
se font essentiellement entre les copropriétaires et que les acheteurs -
à quelques rares exceptions près - sont originaires du ksar. Donc
on peut déduire l'existence d'un système isolé et
«protectionniste» puisqu'il est clair qu'on préfère ne
pas vendre aux personnes étrangères au ksar.
50% 40% 30% 20% 10% 0%
mode et date d'acquisition
héritage achat
Fig.10 : mode et périodes d'acquisition (source :
CERKAS)
Pour les périodes d'acquisition, on a constaté
que la plupart de ces acquisitions remontent aux années 1960 et 1970
(fig.11). Donc la majorité des transactions ont
été réalisées avant les années 70 (plus de
63%), et peu d'opérations ont eu lieu après cette
décennie, ce qui est expliqué par l'exode surtout suite à
la création du nouveau village issiwid. Par ailleurs, il
ressort de l'enquête que les gens sont presque à
l'unanimité contre la vente de leurs biens. Toutefois, ils se
déclarent en majorité pour l'exploitation à des fins
personnels avec 87,71%. Mais, pour des raisons économiques, on constate
qu'une tranche de 7, 01 % des habitants sont favorables à la location.
Cependant, chez la plupart, on a noté une certaine réticence
quant à un partenariat particulièrement avec les organismes
privés et les associations.
entre1 960-70
entre1 980-90
avant 1960
après1 990
0,00% 10,00% 20,00% 30,00% 40,00% 50,00%
Fig.11 : périodes d'acquisition (source :
CERKAS)
Quant a l'état d'occupation du ksar, l'enquête a
révélé que 35% des locaux sont occupés d'une
façon permanente, 3,50% le sont provisoirement alors que plus de 61% des
biens sont abandonnés (fig.12). Ces chiffres reflètent
parfaitement un problème aussi pesant sur le devenir du ksar qu'est
l'abandon. En effet, les locaux sont vidés des habitants et le ksar
risque de devenir totalement déserté ce qui engendre un autre
problème : le mauvais état de conservation dû
essentiellement à l'absence d'entretien réguliers et permanents.
Force est de signaler que sur les locaux occupés, dix maisons seulement
sont actuellement habitées, et le reste sert de locaux de commerce
(bazars).
70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0%
permanent provisoire néant
Fig.12 : état d'occupation du ksar (source :
CERKAS)
3.4.2. Les facteurs affectant le
site
Les facteurs affectant le site est une formulation du Centre du
Patrimoine
Mondial qui emploie ces termes dans les rapports de suivi
périodique sur l'état des sites du patrimoine mondial.
Ils font référence aux facteurs ayant un impact
négatif sur l'état des sites du patrimoine mondial. Dans le cas
du ksar des Alt Ben Haddou, on ne dispose pas
d'indicateurs-clés fiables. Mais d'après le dernier rapport
établi par le Cerkas et soumis au Centre du Patrimoine Mondial (2000),
il ressort que les facteurs affectant le ksar et son environnement
immédiat sont de deux ordres:
- naturel : sécheresse; chute de bloc de pierres de la
falaise surplombant le ksar, glissement du terrain ;
- humain (liés au développement) :
développement du tourisme (à ce titre on ne dispose pas de
chiffres à défaut d'indicateurs fiables sur le nombre de
visiteurs puisque le site est non payant); Constructions anarchiques au nouveau
village et au voisinage du ksar altérant son intégrité
visuelle.
En définitive, la détermination de ces facteurs
reste assez sommaire et
simpliste, et seule une expertise poussée avec l'emploi
d'indicateurs sera porteuse d'informations explicites pour une bonne
lisibilité du site.