3.1. Le contexte socio-économique
3.1.1. L'abandon du ksar
La population du site s'élève à 3000
habitants, essentiellement implantée dans
le village situé dans l'autre rive du fleuve (Oued
el Maleh) à proximité de la route. 7 ménages avec
à peu près 50 personnes peuplent encore le ksar et seule une
famille au complet occupe sa demeure ancestrale.
Les inondations de 1989 ont précipité le
départ de la population vers la rive droite de l'Oued el-maleh,
qui compte une centaine de foyers contre 7 pour le ksar. Ce mouvement de
la population d'une rive à l'autre - amorcée déjà
depuis le début des années 1970 - a formé le nouveau
village, à cause du déficit en équipements au niveau du
ksar ; l'absence d'un pont par exemple constitue l'un des principaux handicaps,
en période de crues surtout. Un sentiment d'isolement et de
marginalisation régnait chez les ksouriens du site.
Mais le phénomène d'abandon - attesté
dans la plupart des ksour du sud marocain- s'inscrit dans un mouvement social
d'urbanisation de la population marocaine stimulé par la recherche d'un
mode de vie meilleur qu'on arrive plus à trouver dans les ksars :
ceux-ci - avec leur fonction défensive d'antan - sont devenus
obsolètes à leur sens. Chez les ksouriens de
Aït Ben Haddou, ce phénomène est plus
accentué car il s'agit d'un abandon quasi total.
3.1.2. Une base économique
précaire
Les activités de base dans l'environnement immédiat
du ksar sont dominées par l'agriculture, l'élevage et l'artisanat
(tissage de tapis). Le tourisme et la production
1 Les éléments du diagnostic sont
établis à la suite des visites que j'ai effectuées au
site, et de la lecture de 3 documents : le rapport de suivi périodique
des sites marocains (Région arabe) soumis à l'Unesco (2000), le
rapport sur le profil environnemental du ksar Aït Ben Haddou,
établi par FathAllah Debbi (2003), et l'enquête sur la situation
foncière du ksar Aït Ben Haddou (CERKAS, 2001).
cinématographique constituent actuellement les principaux
pôles d'attraction de la région.
a. L'agriculture : un secteur d'activité
fragile
Elle constitue l'activité majeure de la population. Il
s'agit d'une production
locale de subsistance, pratiquée sur des petites
parcelles irriguées le long du fleuve et à faible rendement.
L'usage de la technologie moderne est assez faible. L'instabilité des
précipitations rend la pratique agricole difficile et non pérenne
; s'ajoute à ceci le degré de salinité du fleuve Oued
el maleh dont l'appellation évoque ce phénomène (le
fleuve salé).
L'espace cultivable est divisé en quatre quartiers
d'irrigation alimentés chacun par une seguia. Chaque seguia
possède un tour d'eau (tawala) celui-ci est graduée
en tranches horaires (talguim't) correspondant à 6 heures, et
chaque lignage possède,
dans chaque seguia un certain nombre de telguimin
(sing. talguim't)1.
Les cultures sont dominées par les
céréales (blé, orge en hiver et maïs en
été) ; celles-ci occupent environ les 2/3 des terres cultivables.
Les cultures fourragères n'en occupent que 23% environ (la luzerne est
la plus représentée). Le reste du terrain est occupé par
les légumineuse (fèves) ou les cultures maraîchères
(oignons, navets, carottes). L'arboriculture occupait auparavant, une place
importante dans la production du site, mais les vagues de sécheresse de
la fin des années 1970 et début des années 1980 avaient
précipité leur déclin. On assiste néanmoins une
renaissance de cette activité au début des années 1990 :
amandiers, oliviers, pommiers, et même des
palmiers2.
L'élevage, associé à l'agriculture, est
une composante très importante du système agricole du site du
ksar. Il s'agit d'un élément de sécurité contre les
aléas climatiques. La possession du cheptel était un signe de
prestige et un moyen d'accès aux parcours collectifs, d'où
l'importance que lui accorde l'ensemble des habitants du ksar.
Le système d'élevage était basé
sur une transhumance entre les sommets des monts qui dominent Oued Ounila,
Tizi n'Telouet en été, et la région de Tefernine
et
Tammassine en hiver. Cette transhumance est
aujourd'hui en déclin3.
En conséquence, l'agriculture sur le site du Ksar
Aït Ben Haddou est handicapée par
des éléments de son environnement physique,
écologique et humain : les longues gelées d'hiver, les chaleurs
torrides d'été, la longue saison sèche, la
brutalité des averses et de crues, la salinité de l'eau et du sol
et l'altération du couvert végétal sont autant
1 M. Aït Hamza, op. cit., p.27
2 id., p. 28
3 ibid.
d'éléments physiques qui agissent pour la
décadence de cette activité. En outre, le sentiment de
mépris et de dédain que l'ouverture a engendré chez les
jeunes envers les travaux agricoles et l'intérêt accru pour le
tourisme ont contribué largement au déclin de ce secteur
d'activités.
b. une activité touristique peu
organisée
L'infrastructure d'accueil du site, d'une capacité de 64
lits, comporte : 7
auberges restaurants, 4 maisons d'hôtes, 2 hôtels
classés, 2 restaurants, 2 auberges en cours de construction. Ces
équipements sont localisés dans le nouveau village, alors que le
ksar est dépourvu de toute structure d'accueil.
Le site est visité - selon des estimations - par
130.000 personnes par an soit la moitié des visiteurs de la
région. Le rythme quotidien varie de 700 à 1200 visiteurs par
jour. La haute saison s'étale sur les mois de mars, avril et mai, tandis
que la basse saison caractérise les mois de novembre, décembre et
janvier.
La situation du ksar à 30km de la ville d'Ouarzazate et
à une demie heure de la Route Nationale route ne favorise pas les
séjours sur place. D'ailleurs, la province enregistre un nombre de
nuitée assez bas (1,7 nuitée en moyenne) du fait qu'elle
constitue un lieu de passage entre Marrakech et Agadir.
Le développement de ce secteur au niveau du site est
entravé par : des difficultés d'organisation, d'accueil et de
séj our ; le manque d'hygiène et d'aménagement
approprié ; manque d'encadrement des guides.
L'activité touristique sur le site génère
des revenus mais sans effet de retour sur la sauvegarde du ksar qui constitue
la véritable attraction des touristes.
Photo. 7- l'un des aspects de la folklorisation du site
à des fins touristiques (cliché: M. Barjali- Cerkas)
c. une activité cinématographique non
réglementée
Cette activité constitue, avec le tourisme,
l'activité phare de la région, développée
grâce à la beauté des paysages naturels et
architectural qu'offre les ksour à l'image de celui des
Aït Ben Haddou. Plusieurs facteurs ont favorisé cette
activité : intégrité du paysage ; luminosité assez
importante ; diversité ethnique de la population pour les besoins de
figuration ; une infrastructure de qualité (aéroport,
hôtels, studio, moyens de transport et de communication divers) ;
facilités administratives de la part des autorités provinciales
et du Centre Cinématographique Marocain (CCM), assistances diverses
voire même celle de l'armée (pour les grandes productions).
La production cinématographique semble être un
secteur générateur d'emplois. Il a également
contribué au développement de certains métiers :
décoration, travail du plâtre et du bois, et l'habillement.
Cependant, il engendre des effets négatifs sur la communauté et
place la population dans une position d'attente permanente de tournage. Un
phénomène qui engendre à son tour des spéculations
et des surenchères entre les propriétaires ce qui risque de
décourager ou détourner les producteurs.
En outre, cette pratique est préjudiciable à
l'intégrité physique du site et les enjeux qui en
résultent mettent le ksar en péril, à cause de son
utilisation abusive, alors que le patrimoine est dans son ensemble assez
fragile. Il a été même rapporté que des
dégâts ont été faits sur les structures anciennes
lors du tournage d'un film.
Photo. 8 - reliquat d'un décor de tournage
laissé à l'entrée du ksar (cliché :
l'auteur)
d. prolifération des commerces sur le site
59 vendeurs en bazar se sont installés sur le
site, dont 24 dans le ksar. Beaucoup
sont étrangers à la région (Taroudant). Au
sein du ksar, ils occupent la rue commerçante et s'installent dans les
rues adjacentes.
Photo. 9 - l'un des aspects de la prolifération
anarchique des bazars dans le site (cliché : M. Barjali -
Cerkas)
e. l'artisanat : activité peu encadrée
L'artisanat dans l'environnement du ksar est essentiellement
basé sur le tissage du tapis, pratiqué par les femmes. La
commercialisation, liée à la production familiale, s'effectue au
rythme du marché hebdomadaire par les hommes. Le secteur n'est pas
organisé en coopérative, ce qui limite les possibilités
d'accès aux services fournis par la délégation provinciale
de l'Artisanat.
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