1.4. L'inscription sur la Liste du Patrimoine Mondial : un
nouvel essor ?
1.4.1. Les fondements
Le ksar des Aït Ben Haddou est situé dans
une zone protégée, en vertu de l'
Arrêté viziriel du 29 juin 1953 portant
classement des Vallées des Oasis ( B.O. N° 2125 du 7
juillet 1953 - P .983). Mais cette mesure de protection n'a jamais
été appliquée. D'où la dégradation des
structures du bâti dans la plupart des ksour de cette
vallée, sans que les pouvoirs publics interviennent. Un
phénomène qui est dû à plusieurs facteurs dont les
plus marquants sont : l'éclatement des structures communautaires et
l'abandon des villages par ses occupants à la recherche d'un nouveau
mode de vie meilleur à leur sens. La situation de la population ne
faisait qu'empirer.
Face à cette situation alarmante, les autorités
marocaines ont entrepris à partir des années 1970 des actions
ponctuelles susceptibles d'atténuer ce processus de dislocation. Parmi
les actions menées dans ce cadre, il y a lieu de citer :
- Le Programme d'Assistance aux populations pour la
rénovation des « ksour» réalisé par le
Ministère de l'Habitat et de l'Intérieur avec l'assistance du
Programme Alimentaire Mondial (PAM) entre 1969 et 1974 ;
- le Pré-inventaire des ksour et des kasbahs du Sud,
réalisé par le Ministère des
Affaires culturelles (Centre de l'inventaire) conjointement
avec l'Unesco (19 75)1;
- Etablissement d'un Programme d'aménagement touristique
concernant les régions de Ouarzazate et d'Errachidia
réalisé par le Ministère du Tourisme.
En outre, Le ksar des Aït Ben Haddou fût
à plusieurs reprises visité par des spécialistes et des
experts de l'Unesco entre 1974 et 1977 : deux rapports sont devenus des
références en la matière et font état du même
constat : architecture remarquable dont l'existence est fortement
menacée. Ces rapports, notamment celui de André
Stevens2 et de Jean
Vérité3, ont attiré l'attention des
autorités marocaines et de l'Unesco sur la nécessité
d'agir en faveur du village. A. Stevens avait même mené -
à titre d'incitation- en 1977 des interventions légères
sur des biens collectifs : dallage de ruelles, reconstitution d'escaliers,
réparation de fontaines et bassins d'eau, entretien de
banquettes et abris publics4.
C'est dans cette mouvance, associée à
l'émergence d'un mouvement international en faveur du patrimoine
culturel exceptionnel parrainé par l'Unesco, que le Maroc a
proposé en 1986 le site ksourien des Aït Ben Haddou pour
qu'il soit inscrit sur la liste du patrimoine mondial. Chose qui a
été entérinée par l'Unesco le 11 décembre
1987.
Mais paradoxalement, le site ne jouissait à cette date
d'aucune mesure de protection juridique au niveau national, car il
n'était pas classé en tant que patrimoine national pour
différentes raisons : procédure de classement très longue,
tutelle peu claire, statut foncier assez complexe.
Néanmoins, un plan de développement des
agglomérations rurales (PDAR) pour la commune de Aït Zineb fut
adopté en 2001 et la procédure de classement a finalement abouti
en janvier 2004.
1 Projet PNUD-Unesco MOR 74/005. 300 ksars sur un total de
1000 environ ont fait l'objet d'une première sélection. Cf. F.
DeMicheli, op. cit., p.49.
2 André Stevens, Réhabilitation des kasbas
du Sud, Paris, 1977.
3 Jean Vérité, Inventaire, protection et mis
en valeur des architectures traditionnelles du Sud Marocain, Paris,
1977.
4 F. DeMicheli, op. cit., p.40
1.4.2. Les justifications
d'inscription
Les justifications qui ont amené le Comité du
patrimoine mondial à approuver le
classement sont multiples. On lit dans le rapport de suivi
périodique fourni par le Maroc (2000) les justifications suivantes :
<< (...) Aït Ben Haddou, à 31 Km au nord
de Ouarzazate, est le plus célèbre des Ksour de la vallée
de l'Ounila, qui fait l'objet d'une protection globale depuis 1953, avec toutes
les vallées des oasis. C'est un extraordinaire ensemble de
bâtiments offrant un panorama complet des techniques de construction
présahariennes (pisé appareillé en panneresses et
boutisses, terre banchée ordinaire, brique crue, etc.) et un raccourci
saisissant de la typologie architecturale du sud marocain. Un étonnant
grenier forteresse domine la montagne à laquelle s'adosse le Ksar ; ces
greniers appelés Agadir ou Ighrem ne sont pas rares au Maroc mais leur
caractère défensif n 'est pas toujours affirmé de
manière aussi évidente par le choix d'un site de hauteur et le
système de fortifications qui unit au village le grenier, conçu
comme le dernier bastion de la résistance en cas de siège.
» (p.2)
Et dans le dossier de << Proposition d'inscription sur
la Liste du patrimoine mondial soumise par le Maroc, que l'état de
dégradation de l'ensemble était avancé :
intempéries, ruissellement et infiltration des eaux, abandon.. Et plus
loin : «..la conscience de l'originalité de cet
établissement qui représente une construction humaine unique dans
son genre et qui apporte des enseignements toujours actuels à
tous ses visiteurs. » 1
Outre les rapports d'experts, l'examen de l'icomos a
été à l'avantage du site : il a estimé que le Ksar
Aït Ben Haddou comportant encore de nombreuses constructions en assez bon
état, pourrait servir de banc d'essai à une politique de
conservation fondée sur le retour aux techniques traditionnelles de
travail de la terre et accessoirement du bois.
L'icomos a suggéré que la protection - qui
implique de sévères mesures non aedificandi aux abords
du ksar Aït Ben Haddou - ne doit pas rester ponctuelle mais doit
s'étendre à l'ensemble cohérent et limité de la
vallée de l'Ounila.
L'icomos, sous réserve d'un accord du gouvernement
marocain à ces recommandations, donna son avis favorable à
l'inscription d'Aït Ben Haddou sur la
Liste du patrimoine mondial au titre des critères IV et V
2 :
1 F. DeMicheli, op. cit., p.50
2 Rapport du suivi périodique sur l'état des
sites du patrimoine mondial au Maroc (2000), p.3
Critère IV: Aït Ben Haddou est un
exemple éminent des ksars du sud marocain illustrant les principaux
types de constructions que l'on observe dans les vallées du Draa, du
Todgha, du Dadès et du Souss.
Critère V : cet habitat traditionnel,
représentatif d'une culture, est devenu vulnérable sous l'effet
de mutations irréversibles.
Par rapport a l'authenticité du ksar et
l'intégrité du site, le rapport de suivi susmentionné
déclare qu'au moment de l'inscription : le ksar Aït Ben Haddou
représente une meilleure synthèse de l'organisation de l'espace
dans les vallées présahariennes. Cette organisation est
illustrée par un type d'habitat rural vernaculaire adapté au
climat et aux conditions de vie sociale et utilisant des matériaux
fournis par l'environnement (pp.4-5).
Et même après des années de l'inscription
(2000) le document rapporte que : malgré l'abandon et le
dépeuplement du ksar, les conditions d'authenticité et
d'intégrité sont maintenues. Les espaces ont gardé leur
morphologie ; néanmoins, certaines maisonnées ont
été aménagées à des fins économiques
(p.5).
Quant aux traits qui confèrent au ksar une valeur
exceptionnelle, le rapport résume ses valeurs ainsi :
? adaptation aux conditions climatiques ;
? fusion et intégration au paysage naturel ;
? simplicité et ancienneté des
procédés architectoniques ;
? harmonie des proportions et des volumes ;
? sobriété et beauté de décors ;
etc. (p.18)
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