1.3.1. Le paysage :
Dans son ouvrage publié en 1938, Henri Terrasse
dresse une esquisse de
typologie des villages fortifiés (ksour ; sing. Ksar) et
décrit << le village des Aït Ben Haddou (qui)
échelonne sur une pente de roches rouges, au bord d'un oued, une
cascade de maisons et de tighremts
»1.
Mais avant lui en 1930, le célèbre peintre
français Jacques Majorelle achève le tirage des <<
kasbahs de l'Atlas » et s'impose à la fois comme le Peintre de
Marrakech et le Peintre du Sud. Grâce à ses oeuvres,
les ksour et kasbahs du Sud Marocain, commencent à se faire
connaître.
Le même paysage, à peu près s'offre au
visiteur d'aujourd'hui. Ayant perdu sa fonction d'antan, il est devenu l'un des
sites préférés des touristes et depuis les années
1960, lieu de tournage pour de grandes productions cinématographiques :
Laurence d'Arabie (1961), Sodome et Gomorrhe (1962), l'homme qui voulait
être roi (1975), le diamant du Nil (1986), mille et une nuit (1989)
Jésus de Nazareth, Cléopâtre, et tout récemment
Gladiator (2001)..
1.3.2. Eléments du patrimoine
architectural du ksar : Architecture, organisation spatiale.
Le ksar des Aït Ben Haddou se présente
comme un ensemble d'habitat compact et fermé, accolé au versant
sud d'une colline (voir photo.1). Cet emplacement laisse supposer que
les bâtisseurs du village ont essayé à la fois
d'éviter les vents glacials de montagnes et de s'exposer au soleil. Le
choix du site est vraisemblablement était
1 H. Terrasse, op. cit. (p.93) cité par J-L
Michon, op. cit., p.48
gouverné par plusieurs facteurs :
nécessité de surveiller les routes, avoir une emprise directe sur
les points d'eau et les cultures, et se défendre contre des ennemis
potentiels. Au sommet existent encore des vestiges d'un grenier collectif et
les traces d'une fortification. A la périphérie du ksar se
trouvent deux cimetières ; l'un était réservé aux
juifs et l'autre pour les musulmans ainsi que les aires de battage.
Photo. 1 - Vue sur le ksar des Aït Ben Haddou
(cliché :Didier Forray)
Les murs extérieurs sont aveugles ou percés de
petites ouvertures, et le ksar dispose de deux portes pour contrôler les
entrées et les sorties.
Photo. 2 -L'une des entrées du ksar (cliché :
D. Forray)
Photo. 3 - Détail d'un décor sur une
façade (cliché: Mohammed Barjali- Cerkas)
L'organisation spatiale du ksar est fondée sur deux
éléments majeurs : le
collectif et le privé. Le premier est un espace public
où l'on retrouve la place publique (destinée aux réunions
de la jmaa et aux festivités) ainsi que la mosquée et
l'école coranique. Les voiries - assez étroites et parfois
couvertes - constituent le prolongement de cet espace. Le second espace est
constitué d'un agrégat de maisons. Celles-ci sont de deux types
:
- Les premières - une cinquantaine à peu
près - sont souvent à un seul niveau, sans décoration et
épouse la topographie du terrain ; elles étaient l'habitat de la
masse de la population, et ne présentent pas un grand esthétique
au niveau architectural.
- Les secondes sont formées d'un ensemble de 6 kasbahs
(tighremt = maisons de notables) flanquées de tours et
richement décorées. Elles sont situées
généralement au contrebas du village.
Cette organisation donne au ksar une structure
étagée et une allure particulière, et suscite des
interrogations sur l'utilisation de l'espace par la population en fonction du
statut sociopolitique : est-elle due au fait que les familles puissantes
choisissaient le meilleur terrain en laissant la « plèbe »
s'organiser comme elle pouvait avec le reste du terrain en pente? Ou bien
est-elle due simplement au fait que les derniers installés
étaient les nouveaux seigneurs : le clan des Aït Ben Haddou
en l'occurrence ?
Les techniques de construction sont parmi les plus courantes
dans la région
(voir chapitre précèdent). Les murs sont en
pisé, technique qui consiste à damer de la terre
humidifiée à l'intérieur d'un coffrage en bois. Quant aux
parties supérieures, elles sont construites en adobe, brique de terre
crue mélangée à la paille et séchée au
soleil. Les planchers sont en bois de palmiers, ou de peuplier, le remplissage
des entrevous en lits de roseaux ou de baguettes de laurier rose.
Med Aït Hamza rapporte - selon des informations
recueillies sur le site en 1991- que les constructeurs qualifiés ont
fait touj ours défaut au ksar. Les grands maâlems
(maîtres ma çons) étaient recherchés du
côté de Tissint (Iflillisn) et de Tikert (Ben Alach), mais surtout
du côté de Skoura et Maghrane. Le travail était
exécuté par des corvées imposées par les amghars
(chefs de clans). De même, la plupart des matériaux de toiture,
à part les tamaris, étaient importés. Le roseau, le
laurier rose est transporté par les hommes, à dos d'ânes et
de mulets, à partir de Tghzout Aït Touaya (route de Taznakht) ou
d'Assermou d'Id Boukhatri. Les poutres et poutrelles, elles aussi,
étaient importées d'ailleurs. Seul le pisé était
prélevé sur place après l'avoir
imbibé d'eau1.
1 M. Aït Hamza, op. cit., p.13
Fig.7 - PLAN DU KSAR DES AïT BEN HADDOU
(CERKAS)
A l'autre rive de l'oued est construit un nouveau
village dénommé Issiwid. Les
premiers habitants ayant quitté le ksar se sont
installés généralement dans le prolongement de leurs
champs irrigués. L'espace irrigué est côtoyé par
l'espace habité. Une seconde phase d'installation s'est
manifestée à la suite de demandes de construction
formulées par la population. Une nouvelle organisation socio-spatiale
assez proche de l'ancienne allait s'opérer : les familles d'un
même lignage s'organisaient autour d'une place. Les familles du
même clan agençaient leurs maisons les unes à
côté des autres. Les étrangers, derniers arrivés, et
ceux qui avaient déménagés tardivement se sont
installés à l'écart, parfois même de l'autre
côté de la route. Le nouvel espace d'habitat, sous la double
contrainte de la route et du lit de fleuve a pris depuis, une forme
longitudinale (Voir photo. 4). Les habitations occupent des parcelles
plus importantes que celles du ksar et se constituent
généralement d'un seul niveau.
Photo. 4 - Vue du ksar sur le village issiwid (cliché
: M.Barjali- Cerkas)
De l'extérieur, toutes le constructions
présentent à peu près le même aspect. Les
façades sont assez sobres. Aucune décoration et aucune
percée sur l'extérieur ne vient briser la monotonie des
façades, sauf les maisons qui profitent d'un emplacement dominant.
Quant aux matériaux de construction, le pisé
reste l'élément de base, mais le ciment est utilisé
surtout pour le soutènement des murs et pour fixer les grandes portes en
métal forgé(e). Une forte pénétration du
béton est enregistrée au niveau de certains établissement
publics (école, dispensaire, mosquée) et privé
(restaurants, auberges).