Chapitre 1. Présentation du site
1.1. Le contexte naturel : éléments de
géographie du site :
Le village communautaire des Aït Ben Haddou est
situé à 30 km au Nord-Ouest
de la ville de Ouarzazate (coordonnées Lambert : X =
335 ; Y = 451), au pied du Haut-Atlas, sur l'ancienne route des caravanes qui
reliait jadis, la vallée de Draa, la plaine de Tafilalet et
Marrakech par le col de Telouet ( Tizi n'Télouet). le ksar des
Aït Ben Haddou surplombe la vallée d'Ounila (1
260 m) qui est parcourue par l'Oued Maleh, sujet à des crues
qui rendent le ksar inaccessible. La position du site sur le piémont du
versant sud du Haut Atlas et son éloignement de la mer font que le
climat y est très rigoureux avec un hiver glacial et un
été très chaud, ensoleillé et sec (Voir Carte du
Maroc).
L'écran que forme la chaîne de l'Atlas ne laisse
pénétrer vers cette zone sud que de rares précipitations.
Les premiers névés coiffent les sommets des montagnes, à
partir de novembre et ne fondent qu'à partir du mois de mai. Par contre,
sur les piémonts, les rares pluies qui se manifestent tombent sous forme
d'averses. La force des ces averses nuit beaucoup aux cultures et aggrave les
problèmes d'érosion.
De ce fait, la précarité des pratiques agricoles
est devenu une constante. En hiver, les gelées sont redoutables, et en
été l'intense évaporation entraîne un déficit
en eau.
Le ksar est situé sur le territoire de la commune
rurale de Aït Zineb, Cercle de Amrezgane dans la
Province de Ouarzazate (Région du Souss-Massa-Draa). La population de la
petite agglomération est estimée à 3 000 habitants dont la
majorité peuple le nouveau village (Issiwid) alors que dans le
ksar il ne reste que quelques 50
personnes qui l'occupent1.
1 Rapport du suivi périodique sur l'état des
sites du patrimoine mondial au Maroc (2000), p.14
Fig.5- Carte du Maroc
Fig.6 - Situation du ksar dans la Région
Sous-Massa-Draa
1.2.Eléments de l'histoire1
1.2.1. La fondation
Selon la tradition orale, la première construction
serait Ighrem n'iqqdarn élevée au
dessus de la colline. Une princesse juive aurait
gouverné les lieux avant l'avènement de l'Islam. A
l'arrivée des musulmans, cette princesse s'est enfuie après avoir
combattu et brûlé les récoltes. Certains trouvent dans
cette légende des similitudes avec le personnage de Kahena,
reine chrétienne qui exerçait un pouvoir dans les
Aurès (en Algérie) et s'opposa à la progression de l'islam
au Maghreb.
D'autres sources attribuent la fondation à un homme
venu du désert, nommé Aïssa, d'où le nom de
ses habitants : les Aït Aïssa (les descendants de
Aïssa), et pendant longtemps le village était nommé
Ksar Aït Aïssa ou Ighrem n' Aït Aïssa.
L'appellation actuelle - ksar Aït Ben Haddou- est
relativement récente.
D'après les monographies faites sur le ksar des
Aït Ben Haddou, sa fondation remonterait au début du
XVIIIème siècle. Un document laissé par le
notaire du village - hérité par son fils - nous rapporte que le
premier noyau du ksar aurait été fondé par les
Aït Aissa Ou H'mad au XIème
siècle. En voici un extrait traduit de l'arabe
2:
Louange à Dieu,
L'ensemble des kasbahs du Ksar Aït Ben Haddou a
été construit au XI ème siècle dit-on. Ses premiers
habitants appartiennent à la fraction Aït Aïssa Ou H'mad
à laquelle appartiennent les Aït Ben Haddou (...) Les armées
de Youssouf Ibn Tachafine quand il passa par la région venant du Sahara
vers Marrakech, Comme nous l'avons dit auparavant, nomma à cette
occasion Ben Haddou Cheikh de cette tribu. Celui-ci prit comme résidence
ce village qui porta son nom.
Jamal Eddine Mohamed Ben Mohamed 3
Certains auteurs y trouvent des affinités architecturales
avec plusieurs forteresses érigées par les Almoravides (1062 -
1147) le long de la route des caravanes
1 L'apercu historique du site est tiré en grande
partie de : Mohammed Aït Hamza, Projet de réhabilitation du Ksar
Aït Ben Haddou (document inédit), PNUD, Rabat, 1992.
2 L'enquête a été faite par une
équipe du CERKAS. J'ai dû rectifier quelques passages du texte
traduit; je n'ai pas eu l'occasion d'examiner le texte authentique.
3 Voici le texte arabe tel que je l'ai trouvé dans le
rapport de l'enquête :
qui s'étend d'Est en Ouest en direction du Souss.
Notamment les vestiges d'une citadelle similaire, située non
loin du site, au dessus du village de Tadoula1.
Vraisemblablement, le ksar des Aït Ben Haddou avait servi de
relais sur cette route de commerce, ainsi que celles des caravanes venues du
Tafilelt pour gagner Marrakech (le
Haouz) par la vallée de l'Ounila et
le col du Tichka2.
En tous cas, la fondation du noyau de l'ensemble est
intimement liée à la tribu Aït Aïssa Ou H'mad,
une fraction de la grande tribu Aït Zineb issue de la
confédération des Aït Ouaouzguite.
A en croire la source dont on dispose, les Aït
Aïssa furent « destitués » de leur pouvoir sur le
contrôle du trafic, par le sultan Almoravide Youssouf Ibn Tachafine
qui ordonna à l'Amghar Ben Haddou de s'y installer pour
gouverner le lieu. Toutefois, le ksar est resté lié pendant
longtemps aux Aït Aïssa, mais à une époque
tardive, marquée par le pouvoir des Glaoua sur la
région, il est devenu le fief des Aït Ben Haddou.
La rareté de sources historiques - encore moins celles
des indices archéologiques - imprégnée de légendes,
ainsi que les confusions au niveau de la toponymie rendent assez difficile, la
tâche de dresser un historique du site.
1.2.2. La toponymie
L'appellation actuelle du village - Ighrem n' Aït Ben
Haddou en dialecte
amazighe - est relativement récente par rapport
à sa date fondation. En 1855, l'amghar Mohammed Ibibd du clan
des Glaoua (sing. Glaoui) exerçant dans la
vallée de l'Ounila le commerce du sel, devient chef
suprême de la région. Il commençait à percevoir des
impôts sur le commerce dans le Draa et au sud de Sirwa.
Son fils El-Madani, très ambitieux, développa une
politique d'extension vers le Sud par une habile politique d'alliance et de
mariage. Il s'établit à Ouarzazate (la qasba de Taourirt).
Le Sultan El-Hassan Ier, lors de son passage dans l'Atlas, en
revenant de Tafilalet le nomma officiellement Khalifa
(gouverneur) sur Todgha, Tafilalet et Feija. L'amghar Ali Ben
Mohammed n'Aït Ben Haddou de Tamaddakht lui a opposé
une résistance acharnée avant de se soumettre. Par la suite, les
deux clans se rallient par mariage ; les frères Glaoui : Madani,
T'hami et Hassi se marièrent avec trois filles
Aït Ben Haddou et de ce
fait le Sud était ouvert aux
Glaouis3.
Le clan des Aït Ben Haddou, se ralliant aux
Glaouis et à l'administration du Protectorat, s'accapare des
pouvoirs à nouveau. L'éponyme d'Aït Aïssa Ou H'mad
devenu un simple symbole fut remplacé par celui d' Aït Ben
Haddou. Néanmoins, le
1 Jean- Louis Michon, « un ksar à flanc de
colline dans l'Atlas », in Sciences&Vie, n° n°201, 1997
(p.50)
2 id., p. 51
3 Paul Pascon, Le Haouz de Marrakech, T.1, p.313,
cité par Mohammed Aït Hamza, op. cit., p.10
nom d'Aït Aïssa est encore vivant dans la
mémoire collective des habitants. En 1936, le recensement
général parle de la fraction des Aït Aïssa, et
depuis plus de 10 ans (1989), une association portant ce nom a
été fondée.
Après l'indépendance, le dernier des
cheikhs des Aït Ben Haddou (Amghar Brahim) a
perdu ses fonctions. Le déclin du village est devenu prévisible
à la suite du déclin des pouvoirs du clan, et ce qui en suit
comme éclatement de structures sociales et communautaires. En 1987, le
ksar eut une nouvelle destinée et commença à vivre un
nouvel épisode de son histoire en devenant patrimoine de
l'humanité, l'éponyme de Aït Ben Haddou est
entré dans les annales de l'Unesco.
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