2.1. Les techniques
L'architecture en terre crue repose sur une technique, le
pisé banché, qui sert à la
construction des murs extérieurs. La terre,
légèrement humidifiée, est battue au pilon par assises
successives à l'intérieur de la banche (coffrage en bois long de
2 mètres, larges de 50 à 60 cm et haut de 80 à 90 cm).
Une seconde technique dite l'adobe fait intervenir
la brique crue. Associées au pisé, les briques en terre crue
mélangées à la paille, tassées dans des moules et
séchées au soleil servent à l'édification des
parties hautes des tours et à celle des cloisons intérieures,
ainsi qu'à orner les façades par des dessins en relief.
La maîtrise de ces techniques a donné naissance
à d'imposants édifices où sont associées
étendue et grandeur, et où la configuration des édifices
épousent parfaitement la topographie du terrain. D'autre part, leur
hauteur est frappante : les constructions sont généralement
érigées en étages et le nombre de niveaux varient de 3
à 4 selon les cas. Les parties hautes sont ornées de motifs
géométriques, réalisés par un appareillage de
briques crues disposées en saillie ou en retrait.
2.2. Les expressions architecturales
L'architecture en terre dans les vallées
présahariennes incarnent un esprit
communautaire, un savoir faire ancestral, et une recherche - le
plus souvent réussie - d'équilibre entre le culturel et le
naturel.
Il s'agit d'une expression culturelle de tout un ensemble de
populations hétérogènes qui parta gent un espace commun,
une destinée commune, des valeurs
entrecroisées, des traditions locales et des apports
étrangers3.
1 Henri Terrasse, Kasbas berbères de l'Atlas et des
oasis - les grandes architectures du Sud marocain, Horizons de France, Paris
1938.
2 F. DiMicheli, op. cit., p.17
3 Mustapha Jlok, Habitat et patrimoine au Maroc
présaharien: état des lieux, évolution et perspectives,
mémoire de DEPA, Université Senghor, 2001 (p.11).
Les paysages architecturaux qui en résultent sont d'un
esthétique remarquable. On ne peut qu'être captivé par
l'harmonie des constructions et la qualité de leur intégration au
paysage environnant.
Les villages communautaires (ksar, ksour/ ighrem),
les demeures seigneuriales (kasbas/ tighrem't) et les greniers
collectifs (ighrem ou agadir) représentent les traits
originaux du paysage architectural des vallées
présahariennes du Maroc1.
C'est autour des ksour (sing. Ksar), que
s'organisaient la vie communautaire et les activités économiques
(production, échange..), que se créaient les enjeux politiques.
Ces ighrems jalonnaient un espace de brassage et marquaient une aire
d'échanges commerciaux où transitaient et les hommes et les
biens, faisant office de relais entre les villes marocaines (Marrakech,
Fès, Ceuta..) et les célèbres cités du Soudan :
Gao, Tombouctou, Djenné..
Le ksar se présente touj ours comme une place
fortifié. Situé généralement sur un site
imprenable, assurant le maximum de sécurité, entouré de
remparts bastionnés et possédant ses propres greniers et ses
puits protégés et ne disposant dans la plupart des cas, que d'une
seule entrée fortifiée. Le ksar reflète
l'insécurité dans laquelle vivaient les populations oasiennes
avant la mise en place des autorités administratives modernes.
2.3. L'organisation socio-spatiale
Amina Fadli, architecte et ancienne directrice du CERKAS,
constate que « le
ksar révèle une forte urbanité dont
il se distingue par rapport aux autres modes d'habitat rural. De part sa
morphologie spatiale et structurelle, il obéit à une trame
géométrique à partir de laquelle l'ensemble de ses
composantes se développent et s'articulent sur une grille
quadrillée dans laquelle s'inscrivent toutes les formes d'espace. Le
maillage s'explique par la portée de 2 à 3 mètres de la
poutraison mise en réseau.
Cette trame n'est pas uniquement bidimensionnelle, mais
se poursuit dans l'espace où s'inscrivent tous les volumes dans un
enchevêtrement complexe, et ce en raison de la hauteur identique des
maisons et leur imbrication les unes aux autres par le systèmes de
« sabas » (passages couverts).
La forme du village est généralement
régulière, avec des angles droits, correspondant à un
système plan ifié, calculé qui va jusqu'à
même optimiser la taille
de la communauté. »1
1 M. Boussalh, op. cit. p.21
L'espace du ksar qui est divisé en une partie
collective et une autre privée, répondant à la fois
à une organisation politique d'autodéfense et à une
organisation sociale respectant la segmentation sociale et ethnique. Le
rôle de la communauté dite jmaa est primordial quant
à l'organisation de la vie communautaire au sein des ksour.
Les affaires du ksar étaient gérées par
un conseil du village élu par les chefs de familles. Ce conseil veille
au respect du droit coutumier, établit un calendrier pour l'irrigation
des terrains agricoles. A l'intérieur des ksour, des puits
étaient creusés et des réservoirs d'eau (khettara)
sont gérés d'une manière collective. Ce mode de
gestion était dicté par la rigueur du climat et
l'instabilité des précipitations2.
L'habitat traditionnel des ksour est l'oeuvre
collective d'une société harmonieuse mais assez segmentée.
Il doit sa pérennité et sa survie dans un environnement aussi
hostile, à la cohésion sociale et communautaire de ces occupants
: les ksouriens3.
Au XIX ème siècle, cette aire a connu
l'émergence de nouvelles formes architecturales: les kasbas ou
tighrem't. Des grandes demeures qui avaient pour principale fonction
de magnifier l'image des nouveaux seigneurs ou qaïds, au
moment
où le pouvoir central était en
crise4.
2.4. La décadence
Ces dernières décennies, les
éléments de l'architecture vernaculaire
présaharienne ont subi un éclatement à
cause de multiples facteurs :
- bouleversement des structures socio-économiques
traditionnelles ;
- émergence d'un habitat moderne plus attrayant ;
- fluctuations climatiques : sécheresse;
- Exode et abandon.
Les greniers collectifs se voient de plus en plus rares, les
kasbas ont perdu leur fonction originelle et les villages sont devenus
synonymes de pauvreté pour les ksouriens qui y résident
encore.
1 Amina Fadli, « Cultures constructives dans la
Maroc présaharien. Quel avenir ? », in Patrimoine culturel
marocain ; Publication de l'Université Senghor (sous la direction de
Caroline Gaultier-Kurhan), Ed. Maisonneuve & Larose, Paris, 2003
(p.312).
2 Mohammed Boussalh, «L'habitat vernaculaire en
terre des vallées présahariennes du Maroc : cas des vallée
du Drâa » in Le patrimoine culturel africain, Publication de
l'Université Senghor (sous la direction de Caroline Gaultier-Kurhan),
Ed. Maisonneuve & Larose, Paris, 2001 (p.223).
3 Le mot ksourien néologisme désignant un
habitant d'un ksar est de plus en plus employé dans la
littérature relative à l'habitat traditionnel du Sud
Marocain.
4 M. Boussalh, Patrimoine architectural en terre au
maroc : proposition de création d'un équipement culturel
intégré dans la kasba de Taourirt à Ouarzazate,
mémoire DEPA, Université Senghor, 1999 (p. 17)
Le phénomène d'éclatement varie d'une
zone à l'autre. Ainsi, dans la vallée du Draa, on
observe un phénomène d'éclatement et d'abandon massif vers
les nouveaux axes d'intérêt que sont devenus les routes et les
centres urbains au détriment des vallées. Seuls les ksour
les plus enclavés au milieu des palmeraies encore abondantes et
productives ont échappé relativement à ce
phénomène. Paradoxalement, les ksour du
Tafilalet sont encore habités avec une densité
plus ou moins importante1.
Le patrimoine architectural en terre dans les vallées
présahariennes parait donc comme un produit de l'histoire au même
titre qu'il est un produit d'une culture, des
pratiques individuelles et collectives2.