DEUXIEME PARTIE
LE VILLAGE COMM UNA UTAIRE DES AÏT BEN
HADDOU DIT KSAR AÏT BEN HADDOU
(Cliché : Luc Fougere)
Chapitre introductif : l'architecture en terre
1. Les repères de l'espace et du temps
- dans le monde
La construction en terre est l'une des plus anciennes du monde.
Ses premières
manifestations furent au Proche Orient1
à l'époque protohistorique (il y a environ 10 000 ans) : en
Turquie, en Mésopotamie, en Egypte, au Yémen.. Elle s'est
perpétuée et s'est développée durant des
millénaires grâce au génie de l'Homme qui a su puiser dans
les lois géophysiques de la nature et a excellé dans l'adaptation
de cette matière plastique à des conditions écologiques,
économiques et socioculturelles particulières.
Etant le matériel le plus commode, le plus abondant, le
plus économique et le plus proche de l'homme, il a toujours
été l'un des matériaux le plus utilisé dans le
monde et dans presque toutes les civilisations anciennes.
Aujourd'hui encore, la terre est utilisé en
architecture dans des aires géographiques assez étendues : de
l'Asie centrale jusqu'en Amérique du Sud en passant par la
péninsule arabique, l'Afrique du Nord, le Grand Sahara, le Sahel, et
même en Europe où quelques constructions en terre; ce qui
témoigne de son utilisation à grande
échelle2.
Cependant, l'usage de la terre crue dans l'architecture a
fortement régressé durant ces dernières décennies,
au profit de l'architecture en béton, considérée plus
adaptée au temps présent : durabilité des matériaux
modernes, recherche d'éléments de confort
(électricité, eau courante, etc.) jugés moins
adaptés aux structures en terre.
- au Maroc
Le Maroc est l'un des pays qui illustre ce
phénomène tant au niveau de la tradition
séculaire de l'usage de la terre crue qu'au niveau de son
abandon accéléré3.
Selon André Jodin, « le premier
témoignage - archéologique parait-il- d'architecture de terre a
été découvert dans l'île de Mogador (l'actuelle
Essaouira) » à
l'époque mauritanienne (IV ème siècle av.
J.C)4. De l'Antiquité jusqu'aux temps
1 Francesca DeMicheli, Sauvegarde et réhabilitation
du ksar Aït Ben Haddou au Maroc, mémoire de DEA de
l'Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, UFR d'histoire de l'art
et d'archéologie, 2002 ( p.10).
2 id. p.11.
3 De l'Antiquité à l'époque moderne
en passant par le Mo yen Age, plusieurs auteurs font référence
à l'architecture en terre crue au Maroc, notamment : Pline l'Ancien
(Pline, Naturalis Historia, XXXV, 48), Ibn Hawqal (kitab al-massalik wa
l-mamalik), André Jodin, entre autres.
4 A. Jodin cité par M. Boussalh, Patrimoine
architectural en terre au maroc : proposition de création d'un
équipement culturel intégré dans la kasba de Taourirt
à ouarzazate, mémoire DEPA, Université Senghor, 1999
(p. 16)
modernes, les constructions en terre ont été
perpétuées dans les formes architecturales du Maroc aussi en
milieu urbain qu'en milieu rural, autant dans les petites bourgades que dans
les grandes métropoles (Marrakech, Fès, Meknès,
Salé, etc.).
Les dernières manifestations de ce mode architectural -
où l'usage de la terre crue est presque exclusif - sont encore visibles
en forte proportion surtout dans les zones présahariennes du Maroc
(situées au sud). Il s'agit d'un vaste espace où les montagnes
s'associent à des plaines, à des bas plateaux et à des
vallées, et où émergent des oasis. Ces zones n'offrent pas
de richesse en bois ou en pierre mais une forte abondance en terre argileuse.
En outre, le recours au palmier dattier, aux tiges de roseaux et au laurier
rose était une alternative que les populations présahariennes du
Maroc ont su adopter et développer. Il est vrai que l'usage de la terre
crue est connu également au Moyen Atlas et le Rif mais ce sont les
vallées présahariennes qui se sont affirmées comme le
terroir, par excellence, de l'architecture vernaculaire en terre du maroc. Elle
s'étend sur un territoire (en forme de croissant) allant du Sud-Ouest
(le Souss) au Nord-Est (l'Oasis de Figuig), enclavé
entre les chaînes montagneuses (Haut-Atlas et Anti-Atlas) et le vaste
désert. Il s'agit des vallées du Draa, du
Dadès, du Toudgha, et du Ziz et la plaine de
Tafilalet. Elles relèvent de quatre provinces :
Ouarzazate, Zagora, Errachidia, et Figuig (voir Carte du Maroc ;
fig.5) 1.
La concentration des construction en terre dans ces zones
s'explique par :
- la nature géologique; l'environnement naturel du milieu
et le climat sont des facteurs
favorisant ce mode d'habitat
vernaculaire2.
- l'héritage historique dans le sens où ces
régions ont reçu une longue tradition dans le domaine de la
construction en terre ;
- les facteurs socio-économiques ont favorisé
ce mode d'habitat qui s'harmonise le mieux avec le genre de vie des habitants.
Le choix de la terre crue comme matériau de construction est
dictée par son coût peu onéreux et par des raisons
d'adaptations avec
l'environnement, l'organisation communautaire, etc.
3
L'architecture vernaculaire des vallées est
restée pendant de longs siècles l'apanage
des populations locales à majorité
amazighophones (berbérophones)4. Il aurait
fallu
1 Ouarzazate est la province où les édifices
en terre sont le plus nombreux et les mieux conservés. Cf. F. DeMicheli,
op. cit. p.24.
2 Les vallées subissent des influences sahariennes
à cause de leur position continentale. Les chaînes de l'Atlas
constituent une barrière devant les influences océaniques,
d'où l'aridité du climat. Cf. M. Boussalh, op. cit.
p.18
3 M. Boussalh, loc. cit.
4 Les autres groupes culturels (arabes, juifs notamment) se
sont associés à cette culture et ont certainement amenés
un apport à ces modèles architecturaux.
qu'en 1938 paraisse l'ouvrage de Henri Terrasse sur
les Kasbas berbères de l'Atlas et des oasis pour que les
grandes architectures du Sud marocain soient connues et aient
livré leurs secrets1. Cet ouvrage,
bien documenté et illustré, reste une source irremplaçable
pour la connaissance de ces constructions.
Cette architecture appartient à ce qu'on pourrait appeler
une famille particulière de l'architecture présaharienne commune
à tous les pays du Maghreb, et
présente quelques similitudes frappantes avec
l'architecture typique du Yémen2.
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