3.3. Les biens inscrits sur la Liste de l'UNESCO
Tous les biens inscrits sur la Liste du Patrimoine Mondial
sont des biens culturels. Les villes historiques - quelque soit leur
désignation dans la Liste- dominent de loin le répertoire
marocain avec 6 sites. Les autres catégories sont illustrées par
un village communautaire (Ksar Aït Ben Haddou) et un site
archéologique (Volubilis).
Le tableau ci-dessous illustre les catégories de biens,
leur chronologie de classement et les critères de leur inscription.
Bien classé
|
Catégorie
|
Date d'inscription
|
N°
|
Critères
|
1. Médina de Fès
|
C
|
30/10/1981
|
170
|
(ii) (v)
|
2. Médina de Marrakech
|
C
|
06/12/1985
|
311
|
(i) (ii) (iv) (v)
|
3. Ksar Aït Ben Haddou
|
C
|
11/12/1 987
|
444
|
(iv) (v)
|
4. Ville historique de Meknès
|
C
|
1996
|
693
|
(iv)
|
5. Site archéologique de
|
C
|
01/12/1997
|
863
|
(ii) (iii) (iv)
|
Volubilis
|
|
|
|
|
6. Médina de Tétouan
|
C
|
01/12/1997
|
837
|
(ii) (v)
|
7. Médina d'Essaouira-
|
C
|
Dec.2001
|
999
|
(i) (ii) (iv)
|
|
Mogador
|
|
|
|
|
8. La cité portugaise de
|
C
|
Juillet 2004
|
1 058
|
(ii) (iv)
|
Mazagan (El-jadida)
|
|
|
|
|
Fig.3 - Sites du patrimoine culturel du Maroc inscrits
sur la Liste du patrimoine mondial (Ministère de la Culture)
3.4. Les effets de l'inscription sur la Liste : tendances
positives, tendances négatives.
A la différence du classement des biens au
niveau national, ce qui leur confère
une protection juridique (en vertu de la loi
22-80)1 , les effets de l'inscription (sur la Liste de
l'Unesco) ne sont pas les mêmes et varient selon les sites, leur
typologie et leur chronologie de classement.
Au-delà de la reconnaissance de l'universalité
exceptionnelle de ces sites, les effets liés directement à leur
inscription ne sont pas aussi claires, d'autant plus que le Droit marocain
n'attribue aucune protection juridique particulière à ces biens
sauf si - cela va de soi - ils sont classés au niveau national.
Il est à noter à ce titre, que tous les sites
inscrits sur la Liste du patrimoine mondial - à l'exception de la
médina de Tétouan - sont classés patrimoine national,
ce qui « occulte » l'effet de leur classement patrimoine
mondial ou du moins fausse son appréciation.
Néanmoins, l'un des effets notables - en termes de
protection- de l'inscription est le classement du ksar des Aït Ben
Haddou dans la Province de Ouarzazate. Il est vrai que le classement est
très récent (janvier 2004), mais la prise de conscience a
été sentie et la volonté des autorités marocaines
s'est manifestée juste après son inscription sur la Liste en
1987. C'est à cause de la lenteur de la procédure et la
complexité du régime
foncier du site que la démarche de classement a pris
autant de temps (17 années)2.
En tout cas, les effets de l'inscription sur la Liste ne sont
pas immédiats, et leur manifestation dépend largement de la
capacité de l'Etat marocain et des collectivités locales
où sont situés les biens, à leur accorder une attention
particulière et leur attribuer une valeur certaine, en termes de
sauvegarde, de réhabilitation et d'intégration dans le processus
de développement, et non à la recherche simple d'une
reconnaissance mondiale de leur valeur exceptionnelle.
C'est dire que le Maroc cherche une notoriété
internationale de ses sites remarquables plutôt que des mécanismes
de bonne gestion offerts par les structures de l'Unesco. Par contre, la
recherche d'une reconnaissance au sein de la population locale est quasiment
absente : peu de gens - en dehors de l'élite - savent que les sites
sur
1 Cf. Dahir n°1-80-341 du 17 safar 1401 (25
décembre 1980) portant promulgation de la loi n° 22-80 relative
à la conservation des monuments historiques et des sites, des
inscriptions, des objets d'art et d'antiquités.
2 Néanmoins, la vallée où est
situé le ksar en question a fait l'objet d'un classement en 1953, mais
n'avait aucun effet direct sur le ksar. Cf. Arrêté viziriel du 29
juin 1953 portant classement des vallées des oasis (territoire de
Ouarzazate, B.O. N° 2125 du 7 juillet 1953 - P .983)
lesquels ils vivent font partie du patrimoine de
l'humanité. Ainsi, l'inscription du ksar des Aït Ben Haddou
par exemple, n'a pas empêché ses habitants de
l'abandonner.
De même, la démarche de labellisation est assez
défaillante : en dehors des brochures touristiques, l'emblème du
patrimoine mondial - fortement recommandé par le Centre - est absent de
tous les sites.
Il semblerait que l'inscription sur la Liste est
considérée comme une contrainte entraînant des
dépenses supplémentaires plus qu'une source de
développement et de
création d'emplois1.
Néanmoins, le Maroc a su convaincre des bailleurs de
fonds pour financer des opérations de sauvegarde de certains de ses
sites illustres à l'image de Fès, Marrakech et le ksar des
Aït Ben Haddou - les premiers sites inscrits - qui ont
bénéficié de l'apport financier de la Banque Mondiale, de
l'Unesco et du PNUD.
L'un des effets favorables au patrimoine mondial au Maroc est
la prise en compte de la valeur du patrimoine culturel comme
élément identitaire et levier de développement dans
l'élaboration des documents urbains selon qu'il s'agisse des SDAU,
des PA ou des PDAR (voir tableau ci-dessous). Les
concepteurs de ces documents se sont inspirés de la consultation des
services chargés du patrimoine culturel (sollicités
systématiquement) et des potentialités et enjeux des sites
classés, pour développer une vision intégrée dans
l'aménagement du territoire géographique.
Toutefois, il existe des documents urbains dits Plans
d'aménagement spécifiques (PAS) conçus pour
les sites présentant des particularités ou des
spécificités, mais ils ne sont pas encore à l'ordre du
jour des travaux des aménagistes. Les sites du patrimoine mondial au
Maroc gagneraient beaucoup - grâce à ces documents- à
être approchés et
gérés de la manière la plus
appropriée2.
En matière de planification, les gestionnaires des
sites sont touj ours à la quête d'un plan de gestion.
Certains sont apparentés à des plans de sauvegarde (le cas
de Fès), ou à des plans d'aménagement (le cas de
Marrakech), alors que d'autres sites en sont dépourvus ou en cours
d'élaboration (voir Tableau ci-dessous). Le site archéologique de
Volubilis semble le plus avancé dans cette démarche.
En matière de coopération, le Maroc est devenu
un modèle dans l'espace arabomusulman du fait de son apport en
matière de restauration-conservation en faveur du Sultanat d'Oman.
Depuis plusieurs années, une coopération fructueuse entre les
deux pays a permis de restaurer plusieurs monuments omanais, dont le Fort
de Bahla (classé
1 Cf. Rapport périodique du patrimoine mondial :
Région arabe (2000-2003)
2 l'appellation « site à vocation
spécifique » concerne : les tissus historiques, les médinas,
les casbas, les zones d'intérêt touristique ou écologique
particulier, les zones du littoral, les réserves stratégiques,
les secteurs à vocation industrielle ou minière, les secteurs
à fort potentiel de développement économique.
patrimoine mondial depuis 1987). Une démarche de jumelage
a été effectuée entre le
site archéologique de Volubilis et le Parc du
Cilento en Italie1.
Sur le plan institutionnel, force est de constater que la
Direction du Patrimoine Culturel ne dispose touj ours pas d'une unité
technique et/ou administrative chargée du patrimoine mondial pour
assurer la coordination. Néanmoins, certains sites se sont vus
développer des structures de sauvegarde et de gestion crées
à cet effet grâce à l'appui de l'Unesco et le PNUD. Le cas
de la Médina de Fès et celui du Ksar Aït Ben Haddou
sont très éloquents. Fès - cité
millénaire - s'est dotée en 1989 d'une institution modèle
: l'Agence de Dédensification et de Réhabilitation de la
médina de Fès (ADER-Fès), qui s'est substituée
à la Délégation de Sauvegarde de la Ville de Fès
(DSVF), et s'est
renforcée par l'Agence Urbaine et de Sauvegarde de la
médina de Fès (AUSF)2. Tandis que pour le
ksar des Aït Ben Haddou, on a créé en 1989
une structure qui est à la fois
technique et scientifique : le CERKAS
3.
Mais, l'effet majeur de l'inscription sur la Liste est de loin
l'attraction touristique. Il est vrai que les sites du patrimoine mondial
attirent de plus en plus de touristes de partout dans le monde, mais on manque
d'indicateurs fiables quant à l'effet de l'inscription sur la
fréquentation des touristes, d'autant plus que le Maroc a
développé sa politique économique générale
en tablant sur le tourisme, ce qui rend l'analyse du phénomène
par rapport au patrimoine mondial plus complexe. En fait, c'est souvent les
atouts touristiques de ces sites qui ont entraîné leur proposition
pour inscription sur la Liste.
Par contre, l'impact du tourisme sur ces sites est
évident. A la lecture des rapports périodiques (Région
Arabe), les gestionnaires des sites s'accordent à dire que le tourisme
est plus un facteur de dégradation qu'une source de
bénéfices pour ces sites. Et là encore, on manque
d'indicateurs pour évaluer l'impact de la fréquentation des
touristes sur l'état de conservation des sites.
Ces dernières années, on assiste à un
phénomène nouveau qui suscite l'attention et des gestionnaires du
patrimoine et des professionnels du tourisme : la « gentrification
» de deux villes historiques : Marrakech et Essaouira. Des gens venus
d'Europe surtout pour acquérir des anciennes demeures à titre de
résidence secondaire ou pour investir dans des maisons d'hôtes. Le
phénomène, bien qu'il présente la même ampleur dans
les deux villes, n'a pas les mêmes origines. A Marrakech, la
notoriété de
1 Cf. Exercice de suivi périodique sur l'application
de la Convention du patrimoine mondial au Maroc, section I.
2 Alexandre ARBY, (( Habitat et intégration
patrimoniale dans la médina de Fès : quelles politiques, quels
enjeux », Actes de l'université européenne
d'été (( Habiter le patrimoine », Saumur, 13-16 octobre 2003
(diffusé sur Internet).
3 Sur le CERKAS, voir deuxième partie de ce
mémoire.
la cité (ville impériale, site touristique,
espace culturel, site du patrimoine mondial, etc.) a fait qu'elle attire plus
de monde faisant d'elle la première attraction touristique du Maroc.
Quant à Essaouira, le phénomène s'est
déclenché avant son inscription sur la Liste (2001) grâce
à la promotion de la ville par sa diaspora juive venue investir dans sa
cité d'antan.
Bien que le phénomène a entraîné la
restauration des vieilles maisons et une revitalisation des métiers
liés à l'architecture (menuiserie, marqueterie, ferronnerie...)
créant ainsi une nouvelle dynamique socio-économique, il comporte
le risque de perte
des valeurs sociales qui avaient fait figurer ces cités
sur la Liste de l'Unesco 1.
1 Le recensement actuel de la médina de Marrakech
dénombre près de 1.000 demeures restaurées dont le tiers
au moins est dédié à des maisons d'hôtes. Cf. «
Italiens et Anglais se mettent aux riads », in l' économiste,
édition électronique du 24 déc. 2004).
Fig.4 - Sites du patrimoine mondial au Maroc
: Régime de protection et éléments de plan
ification.
Bien classé PM
|
Date de classement Patrimoine National*
|
Structure de sauvegarde
|
Documents urbains**
|
Plan de gestion***
|
|
1914-1915-1916-1920-
|
Inspection provinciale à Fès
|
S.D.A. U de Fès
|
Plan de
|
Médina de Fès
|
1922-1923-1924-1933-
|
ADER-Fès
|
(1995-2010) + P.A
|
sauvegarde
|
|
1954
|
Agence Urbaine et de
|
(1997)
|
|
|
|
Sauvegarde de Fès
|
|
|
Médina de
|
1914-1916-1920-1921-
|
Inspection provinciale à
|
S.D.A. U de
|
Plan
|
Marrakech
|
1922-1923-1924-1931
|
Marrakech
|
Marrakech (1995 - 2010) +
P.A
|
d'aménage- ment
|
|
|
|
S.D.A.U du Grand
|
|
Ksar Aït Ben
|
1953- 2004
|
CERKAS à Ouarzazate
|
Ouarzazate (2001-
|
Non
|
Haddou
|
|
|
2020) + P.D.A.R (2001)
|
(travaux suspendus)
|
Ville historique de
|
1914-1920-1921-1922-
|
Inspection provinciale à Meknes
|
S.D.A. U de Meknès
|
Plan de
|
Meknès
|
1 923-1 930-1 955
|
|
(2001-2020) + P.A
|
sauvegarde
|
Site
|
|
Conservation du site de Volubilis
|
|
en cours
|
archéologique de
|
1921
|
|
P.A de la commune
|
(stade final)
|
Volubilis
|
|
|
My Driss Zerhoune
|
|
Médina de
|
N.C
|
Inspection provinciale de
|
S.D.A. U de Tétouan
|
non
|
Tétouan
|
|
Tétouan
|
(1999-2020) + P.A
|
|
Médina d'Essaouira-
|
1924
|
Inspection provinciale à Safi
|
S.D.A.U d'Essaouira
|
non
|
Mogador
|
|
|
(2015) + P.A (1988)
|
|
Ville portugaise
|
1918-1 91 9-1
923-1 924-
|
Le Centre du patrimoine maroco-
|
|
|
de Mazagan
|
1942-1952
|
lusithanien
|
S.D.A.U d'El Jadida
|
en cours
|
(El Jadida)
|
|
Inspection provinciale à Safi
|
(2020) + P.A (1993)
|
|
- N.C : site non classé
* Les dates en caractère gras désignent un
classement qui a une portée générale sur le site, alors
que les autres dates désignent des classements de quelques monuments ou
biens précis. Source : Ministère de la culture.
** SDAU : Schéma Directeur d'Aménagement
Urbain ; PA : Plan d'Aménagement ; PDAR : Plan de Développement
des Agglomérations Rurales. Les mots en gras désignent des
documents urbains homologués, les autres sont en cours de visa. Les
dates correspondent respectivement à la date d'homologation et à
l'horizon des différents schémas. Source : Ministère
délégué chargé de l'Habitat et de l'Urbanisme
(Direction de l'Urbanisme).
*** les plans de sauvegarde ou d'aménagement sont
désignés comme tels par les auteurs du rapport périodique
sur l'état de conservation des sites du patrimoine mondial au
Maroc.
|