Paragraphe 2 : La période de la paralysie des voies
d'exécution
L'ouverture des procédures collectives entraîne
la paralysie des voies d'exécution pendant une période
déterminée. Cette période diffère selon qu'on a
affaire à des voies d'exécution interdites (B) ou simplement
suspendues (A).
A- La période de « la suspension »
des voies d'exécution
L'esprit des articles 9 al.2 et 75 al. 1 de l'Acte uniforme
sur les procédures collectives d'apurement du passif
révèle que la décision d'ouverture d'une procédure
collective « suspend » l'exercice de toute voie
d'exécution ainsi que les mesures conservatoires. Le verbe suspendre
signifie interrompre pour un temps. On ne peut toutefois interrompre que
ce qui a déjà été engagé. Pour bien
comprendre le phénomène et la période de suspension, il
faut faire une distinction entre le règlement préventif d'une
part et le redressement judiciaire et la liquidation des biens d'autre part.
Dans le règlement préventif, la suspension
concerne les voies d'exécution engagées par les créanciers
antérieurs à la décision d'ouverture de la
procédure collective. C'est dire que toute voie d'exécution qu'il
s'agisse d'une saisie conservatoire ou exécutoire engagée avant
la décision d'ouverture doit être interrompue. Mais une nuance
apparaît cependant : estce que cette suspension concerne toutes les voies
d'exécution entamées avant l'ouverture des procédures
collectives ?
La réponse à cette question dépend de
l'interprétation donnée à l'article 9 al. 1 et 2 de
l'AUPCAP. Au terme de l'alinéa 1, « La décision
prévue par l 'article 8 ci-dessus suspend ou interdit toutes les
poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des
créances désignées par le débiteur et nées
antérieurement à ladite décision ». Cet
alinéa 1er doit être
rapproché de l'article 5 alinéa 2 d'après
lequel la requête adressée par le débiteur au
président de la juridiction compétente «indique les
créances pour lesquelles le débiteur demande la suspension des
poursuites individuelles ». L'alinéa 2 précise
« La suspension concerne aussi bien les voies d'exécution que
les mesures conservatoires ». L'alinéa 1 de cet article parle
de la suspension des poursuites individuelles tendant à obtenir le
paiement des « créances désignées par le
débiteur » ; ce qui laisse logiquement penser que la
suspension ne concerne que les créances désignées par le
débiteur. Cette analyse peut-elle a fortiori s'appliquer à
l'alinéa 2 ? Il y a lieu d'y penser. Car les voies d'exécution ne
s'exercent que sur les créances, et rien n'empêche que de telles
créances ne soient pas désignées par le
débiteur.
Dans le redressement judiciaire et la liquidation des biens,
la suspension s'analyse autrement. A ce propos, l'article 75 alinéa
1er énonce : « La décision d'ouverture
suspend ou interdit toutes les poursuites individuelles tendant à faire
reconnaître des droits et des créances ainsi que toutes les voies
d 'exécution tendant à en obtenir le paiement, exercées
par les créanciers composant la masse sur les meubles et immeubles du
débiteur. »
Contrairement à ce qui a été dit plus
haut sur le règlement préventif, ici, la volonté du
débiteur n'a aucune influence sur les poursuites suspendues. C'est donc
à l'égard de toutes les créances que cette mesure
s'applique. Elle s'applique à tous les créanciers composant la
masse. Cette période de suspension s'étend
généralement à toute la période
suspecte56. La période suspecte est une notion qui constitue
l'une des pierres angulaires du droit des procédures
collectives57.
On peut noter qu'en général, la période
de suspension des voies d'exécution est cette période là
qui précède le jugement d'ouverture. Cette période est
qualifiée de suspecte dans le redressement judiciaire et la liquidation
des biens. La période de l'interdiction des voies
56 C'est la période allant du jour de la cessation des
paiements à la décision d'ouverture (art. 67 AUPCAP. Elle peut s
'étendre au maximum sur 18 mois.
57 Paul-Gérard POUGOUE et Yvette KALIEU, op. cit.
n° 134.
d'exécution de son côté se situe plutôt
après la décision d'ouverture de la procédure
collective.
B- La période de l' « interdiction » des
voies d'exécution
Les articles 9 al.2 et 75 al. 1er parlent aussi de
l'interdiction des voies d'exécution. Dans ce cas, il s'agit des voies
d'exécution non encore entamées avant l'ouverture des
procédures collectives. Parler de l'interdiction en indexant les voies
d'exécution commencées après l'ouverture de la
procédure collective ne devrait pas créer de doute sur
l'identité des destinataires de l'interdiction. Ces destinataires sont
bel et bien les créanciers antérieurs à la décision
d'ouverture. Comme dans le cas de la suspension, la période de
l'interdiction doit s'apprécier selon que l'on se trouve dans le
règlement préventif ou dans le redressement judiciaire et la
liquidation des biens. Dans tous ces cas la période de l'interdiction va
du jugement d'ouverture au jugement de clôture de la procédure
collective concernée.
Dans le règlement préventif, une fois de plus
l'interdiction des voies d'exécution concerne les créanciers
antérieurs au jugement d'ouverture dont les créances ont
été désignées par le débiteur. Ces
créanciers peuvent être chirographaires, ou titulaires de
sûretés. La décision de suspension des voies
d'exécution dans le règlement préventif est suivie par la
désignation d'un expert. Cet expert a pour mission de faire un rapport
sur la situation économique et financière du débiteur et
les perspectives de redressement proposées par celuici. En effet la
suspension ayant un caractère provisoire, il faut que le
tribunal qui décidera par la suite de confirmer ou d'annuler la
décision ait suffisamment d'éléments pour se
décider. Cette mesure provisoire s'applique pendant une période
de deux mois au maximum, période impartie a l'expert pour le
dépôt de son rapport. En cas d'homologation du concordat
préventif, la période de l'interdiction pourra
aller jusqu'à trois ans58. Toutefois, lorsque le concordat
comporte des délais n'excédant pas deux ans, le tribunal peut
rendre la période d'interdiction opposable à tous les
créanciers même à ceux qui ont refusé tout
délai ou toute remise.
Dans le redressement judiciaire et la liquidation des biens,
l'interdiction concerne toujours les créanciers antérieurs
à l'ouverture de la procédure collective, seulement dans ces cas,
ils sont désignés sous le vocable de masse des créanciers.
Il leur est interdit d'exercer aucune voie d'exécution jusqu'à la
fermeture de la procédure. La période d'interdiction ici
diffère selon qu'il s'agit du redressement judiciaire ou de la
liquidation des biens.
La fermeture du redressement judiciaire qui correspond
à la fin de l'interdiction des voies d'exécution dépend de
l'homologation ou non du concordat de redressement par le tribunal. Dès
que les créanciers qui auront été préalablement
informés des propositions concordataires procèdent au vote du
concordat, il revient au tribunal de se prononcer. Le tribunal peut prendre une
décision d'homologation ou de rejet. Lorsqu'il y a homologation celle-ci
produit des effets dont celui qui nous intéresse est la cessation des
effets du redressement judiciaire. Dès le jugement d'homologation, il
n'y a plus interdiction des poursuites individuelles, et, la masse est
dissoute. Seulement les voies d'exécution ne pourront être
exercée que conformément à la décision prise par la
masse concordataire59. Le concordat peut être rejeté
soit parce qu'il n'est pas sérieux, soit parce que l'entreprise du
débiteur n'éprouve aucune difficulté. Dans ce cas-ci les
créanciers sont libres d'exercer leurs voies d'exécution. Dans ce
cas là il s'agira plutôt pour le juge de prononcer la liquidation
des
58 Pour le débat autour de la limitation de ce
délai, V. P. G. POUGOUE et Y KALIEU, op.cit. n°193.
59 On imagine ici par exemple qu 'une créance que le
débiteur s 'est engagé à payer dans 2 mois n 'ait pas
été faite. Alors ce n 'est qu 'à bon droit que le
créancier titulaire de la créance pourra exercer les poursuites
à travers les voies d 'exécution.
biens qui a ses effets propres. Il y a également
conversion en liquidation des biens en cas d'annulation ou de résolution
du concordat60.
Dans la liquidation des biens enfin, la situation s'analyse
autrement. Les saisies immobilières sont autorisées mais ne sont
pas exercées individuellement par les créanciers mais par leur
représentant qui est le syndic. Les autres saisies sont toujours
interdites et ne pourront être reprises qu'en cas de clôture de la
procédure pour insuffisance d'actif. Car en cas de clôture pour
extinction du passif61, aucun créancier n'a plus rien
à revendiquer, et par conséquent les voies d'exécution
interdites sont simplement caduques.
Comme on le constate, le blocage des voies d'exécution
par l'ouverture d'une procédure collective est fondé sur le fait
que la procédure collective empêche l'exercice d'une saisie. Cet
empêchement est dû au fait qu'elle dessaisit le débiteur de
ses biens en les rendant indisponibles. Surtout faut-il relever que le
traitement des créanciers doit être assuré collectivement.
Les voies d'exécution paralysées sont diverses et leur suspension
ou interdiction s'étendent sur une période précise. Cette
paralysie des voies d'exécution a en outre un champ d'application bien
précis.
60 Pour la distinction entre annulation et résolution
du concordat, lire P.G POUGOUE et Y. KALIEU, op. cit. n°240 et s.
61 C'est une hypothèse rare en pratique vu le nombre
de liquidation judiciaire engagée depuis l'entrée en vigueur de l
'A UP CAP.
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