Paragraphe 1 : Le dessaisissement et
l'indisponibilité
Lorsque le débiteur se trouve en état de
règlement préventif, de redressement judiciaire ou de liquidation
des biens, cette situation entraîne son dessaisissement de la gestion de
ses biens22 et la suspension des poursuites individuelles. Ce
dessaisissement (A) a pour conséquence l'indisponibilité des
biens meubles et immeubles du débiteur entre ses mains (B).
A- L'idée de dessaisissement
Le dessaisissement peut être admis différemment
comme fondement de la suspension des voies d'exécution selon qu'on se
trouve devant une procédure collective ouverte avant la cessation des
paiements ou devant celle ouverte après la cessation des paiements. Il
sera exclu dans le premier cas (1) et discuté dans le second (2).
1- L'exclusion du dessaisissement dans le
règlement préventif
Le règlement préventif est une procédure
collective ouverte contre un débiteur qui connaît une situation
économique et financière difficile mais non
irrémédiablement compromise. Elle est une procédure
destinée à éviter la cessation des paiements ou la
cessation d'activité de l'entreprise et à permettre l'apurement
du passif au moyen d'un concordat préventif. La possibilité de
déclencher une telle procédure est réservée
uniquement au débiteur qui reste à la tête de ses
affaires.
22 Sauf dans le règlement préventif
Le déclenchement du règlement préventif
par l'initiative personnel du débiteur doit être
considéré comme une raison de rejet du dessaisissement comme
fondement de la suspension des voies d'exécution. Contrairement au
redressement judiciaire et à la liquidation des biens, qui peuvent aussi
être déclenchés par les créanciers ou le tribunal,
seul le débiteur peut le faire dans le cas du règlement
préventif.
Lorsque le débiteur introduit une requête aux
fins de règlement préventif, et que le juge ouvre la
procédure, le débiteur reste à la tête de ses
affaires pour la suite de la procédure (art. 18 al. 5 AUPCAP). Avant
d'en arriver, les étapes suivies sont les suivantes : après
l'introduction de la requête suivie du dépôt du concordat
préventif, le juge de la juridiction compétente rend une
décision de suspension des poursuites individuelles et désigne un
expert. Cet expert a pour mission de faire un rapport sur la situation
économique et financière de l'entreprise, les perspectives de
redressement compte tenu des délais et remises consentis ou susceptibles
de l'être par les créanciers et toutes autres mesures contenues
dans les propositions du concordat préventif (art. 8 al.
1erAUPCAP). Après le dépôt du rapport de
l'expert, le tribunal pourra ou non homologuer le concordat préventif.
Lorsqu'il homologue celui-ci, le règlement préventif va alors
produire ses effets à l'égard du débiteur.
La situation du débiteur est alors très simple.
Il recouvre la liberté d'administration de son entreprise et la libre
disposition de ses biens dès que la décision de règlement
préventif est passée en force de chose jugée, sous
réserve cependant du respect de ses engagements concordataires auquel
veillent les organes mis en place23.
Face à cet effet que produit le règlement
préventif à l'égard du débiteur, on constate que le
débiteur reste bien à la tête de ses affaires. Par
conséquent, le dessaisissement doit être exclu comme étant
l'un des fondements de la suspension des voies d'exécution par
23 On peut citer par exemple comme organe le juge
commissaire, les contrôleurs, le syndic.
l'ouverture du règlement préventif. Ce
dessaisissement devient un fondement incontestable lorsque l'ouverture de la
procédure collective ne laisse pas le débiteur à la
tête de ses affaires.
2- La validité du dessaisissement dans le
redressement judiciaire et la liquidation des biens
Il convient de préciser le domaine du dessaisissement
(a) avant de s'interroger sur ses effets dans les procédures collectives
de redressement judiciaire et de liquidation des biens (b).
a- Le domaine du dessaisissement
Pour administrer les biens du débiteur lorsqu'une
procédure collective est ouverte après cessation des paiements,
le débiteur est dessaisi de ses biens. Dans la liquidation des biens ou
dans le redressement judiciaire, l'activité du débiteur touchant
particulièrement son patrimoine, ne peut plus ignorer la situation
nouvelle. Dans un cas, il ne peut plus agir : il est représenté
par le syndic (liquidation des biens) ; dans l'autre, il doit se faire assister
par le syndic c'est-à-dire obtenir son accord et sa participation
à l'acte (redressement judiciaire). Il y a donc seulement une
différence de degré à l'intérieur d'une même
situation qui est le dessaisissement24. Quand y a-t-il alors
dessaisissement ? Quelle est son étendue ? Comment se manifeste-t-il
?
24 SA WADOGO (F. M.), OHADA, Droit des entreprises en
difficulté, collection droit uniforme africain, Juriscope, Bruylant,
2002. N° 167.
Dans le temps, le dessaisissement s'applique à la
situation du débiteur prise entre le jugement d'ouverture et la
clôture de la procédure. Qu'en est-il de la période
suspecte ?25 Le dessaisissement ne cadre pas avec cette
période car pour qu'une personne soit dessaisie de ses biens, il faut
que ce soit suite au prononcé d'un acte. Or tel n'est pas le cas pendant
la période suspecte, seule l'inopposabilité est adaptée
à cette situation.
Quant aux biens, la question essentielle est ici de
déterminer si le dessaisissement a une portée
générale ou s'il doit avoir un périmètre
strictement limité aux biens professionnels du débiteur.
L'absence de distinction du texte militerait en faveur de la première
interprétation. En outre, la lettre elle-même de l'article 53 de
l'AUPCAP semble en ce sens en visant « les biens qu 'il peut
acquérir à quelque titre que ce soit ». Plus
fondamentalement encore, l'objectif de la liquidation des biens doit conduire
à une extension maximale de la portée du
dessaisissement26. Le dessaisissement concerne donc les biens du
débiteur qu'ils soient présents ou à venir.
L'étendue du dessaisissement quant aux biens n'est pas vraiment
dérogatoire. La règle en la matière n'est que la reprise
de l'article 2092 du c. civ. édictant le droit de gage
général du créancier sur les biens présents et
à venir de son débiteur27. Ce dessaisissement qui fait
des procédures collectives une voie d'exécution en droit
commercial28 n'est pas sans effet.
b- Les effets du dessaisissement
A côté de l'effet négatif qui est
l'inopposabilité à la masse, il existe des effets positifs qui
consistent en l' « ensaisissement de la masse
»29.
25 Il s 'agit de la période située entre la
cessation des paiements et le jugement d 'ouverture. Voir infra.
26 LE CORRE (P. M.), Le créancier face au redressement
judiciaire et à la liquidation judiciaires des entreprises, P. U.A.M. t.
1, 2000 P. 176
27 SA WADOGO (F. M.) op. cit. n° 174.
28 V. infra
29 SA WADOGO (F.M.), op. cit. n° 186 et s.
L'inopposabilité pendant le dessaisissement a un
caractère plus général que celle de la période
suspecte puisqu'elle s'applique en principe à tous les actes et quelque
soit la bonne ou mauvaise foi du créancier poursuivant.
L' « ensaisissement de la masse » consiste
pour le syndic à représenter le débiteur dans la
liquidation des biens. Celui-ci ne participe plus à la gestion de
l'entreprise. L'entreprise est gérée par le syndic du moins s'il
y a continuation de l'activité. Le syndic va alors recouvrer les
créances du débiteur au fur et à mesure qu'elles arrivent
à échéance. Il va également exercer des actions en
justice ; en reconnaissance de droits, en paiement, en responsabilité
civile engagée ou non. Ce qui permet de dire que dans la liquidation des
biens, le dessaisissement est total. Qu'en est-il en cas de redressement
judiciaire ?
Même s'il n'y aboutit pas dans tous les cas, le
redressement judiciaire tend vers une reprise totale d'activité de
l'entreprise. C'est pourquoi d'une part, la continuation d'activité de
l'entreprise est automatique et ne nécessite aucune autorisation,
d'autre part le débiteur continue d'agir. Mais, il faut la participation
du syndic, ce qui veut dire qu'il faut l'accord du débiteur et du
syndic. Chacun d'eux peut agir dans certains cas, dans d'autres, une
autorisation du juge commissaire est nécessaire.
Face à tous ces constats, on peut dire que le
dessaisissement dans le redressement judiciaire est tantôt partiel,
tantôt total.
Le dessaisissement dans le redressement judiciaire et la
liquidation des biens est similaire au dessaisissement dans les voies
d'exécution et s'apparente dès lors à une saisie. Les
procédures collectives on le sait, sont des voies d'exécution
propres au droit commercial30. Elles entraînent
l'indisponibilité des biens composant le patrimoine du débiteur
comme la saisie entraîne celle du ou des biens concernés. La
saisie explique assez bien la
30 SA WADOGO (F., M.) op. cit. n°172. Nous ne partageons
pas entièrement cet avis car les procédures collectives vont au
delà du droit commercial et embrasse plusieurs disciplines du droit. V.
infra ;
situation privilégiée des créanciers formant
la masse par rapport aux créanciers hors la masse qui seront
négligés tout au long de la procédure.
B- L'indisponibiité des biens du
débiteur
Lorsqu'une procédure collective est ouverte contre un
débiteur31, les biens concernés par cette
procédure deviennent indisponibles entre les mains de celui-ci. Le bien
indisponible ne peut plus être saisi par la voie d'une procédure
d'exécution forcée, car l'une des conditions de saisie d'un bien
est sa disponibilité.
Le bien objet de la saisie doit être disponible entre
les mains du débiteur saisi ; cette disponibilité du bien,
condition d'une saisie régulière fait défaut en cas de
redressement judiciaire et de liquidation des biens du
débiteur32. Lorsque le débiteur est en état de
redressement judiciaire ou de liquidation des biens, ces deux situations
entraînent le dessaisissement du débiteur de la gestion de ses
biens et la suspension des poursuites individuelles. Par conséquent, ses
biens meubles et immeubles n'étant pas disponibles entre ses mains,
aucune saisie ne peut plus être effectuée sur
ceux-ci33.
L'indisponibilité des biens du débiteur par
l'ouverture des procédures collectives a pour conséquence
d'interdire au débiteur d'accomplir les actes d'administration et de
disposition comme les aliénations, les actions en justice34.
Le débiteur en état de redressement judiciaire ou de liquidation
des biens demeure cependant le propriétaire des biens soumis à la
procédure collective puisque l'ouverture de la procédure n'a pas
pour effet d'entraîner un transfert de propriété des biens
du débiteur à la masse des créanciers ou de le
déposséder
31 Cette idée n 'est vérifiable que dans le
redressement judiciaire et la liquidation des biens.
32 ASSI-ESSO (A-M.), NIA W DIOUF, OHADA, Recouvrement des
créances, collection droit uniforme africain, Juriscope, Bruylant, 2002,
n° 97.
33 Lire l 'art. 75 de l 'A UP CAP.
34 POUGOUE (P., G.) et KALIEU (Y), L 'organisation des
procédures collectives d 'apurement du passif, OHADA, collection droit
uniforme, PUA, n° 104.
desdits biens. Mais, tout en demeurant propriétaire, le
débiteur ne peut ni les aliéner à titre gratuit ou
onéreux, ni les constituer en gage ou les prêter.
Cette indisponibilité
générale35 qui frappe les biens du débiteur
empêche qu'une saisie soit pratiquée sur lesdits biens, car
l'ensemble des créanciers devrait être traités
collectivement au cours de la procédure et de façon
égalitaire.
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