INTRODUCTION
Le titulaire d'un droit de créance attend de son
débiteur qu'il honore ses engagements selon les modalités qui
affectent son obligation. Lorsque le débiteur le fait dans ces
conditions, on dit qu'il exécute son obligation de façon
volontaire. Ce mode d'exécution est d'ailleurs le souhait de tout
créancier. Pourtant ce souhait n'est pas toujours exaucé, car
très souvent, le débiteur résiste au paiement
volontaire.
Face à cette résistance, le créancier va
procéder à l'exécution forcée de son obligation. Le
plus souvent, pour l'adoption de cette stratégie, il utilisera les voies
d'exécution lorsque les circonstances le permettent. Ces voies
d'exécution désignent « le moyen par lequel une personne
peut avec le concours de l'autorité publique obtenir l'exécution
des engagements pris envers lui, spécialement contraindre celui qui a
été condamné ou s 'est engagé dans certaines formes
à satisfaire à ses obligations »1.
La procédure des voies d'exécution a connu une
évolution avant d'adopter les contours qui lui reviennent dans l'espace
juridique OHADA2.
Il existait, parallèlement aux procédés
d'exécution forcée sur les biens, un mode d'exécution
forcée sur la personne du débiteur, lequel permettait au
créancier de saisir et de vendre son débiteur au marché
aux esclaves afin de se payer sur le prix de vente obtenu. Cette forme radicale
de l'exécution forcée sur la personne, connue des
sociétés primitives a fait place de nos jours à la
contrainte par corps3. Ce mode d'exécution forcée n'a
pas été règlementé par l'Acte uniforme portant
organisation des procédures simplifiées de
1 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association
Henri CAPITANT.
2 Organisation pour l 'Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires adoptée par le Traité signé par les 16 Etats
membres à Port-Louis le 17 octobre 1993. Les Etats membres de l 'OHADA
sont : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, la République
Centrafricaine, la République Fédérale Islamique des
Comores, le Congo, la Côte-d 'Ivoire, le Gabon, la Guinée
Equatoriale, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Tchad et le Togo.
3 C 'est l 'incarcération du débiteur défaillant
dans le but de le contraindre au paiement de sa dette.
recouvrement et des Voies d'exécution4.
Seule a été règlementée l'exécution
forcée sur les biens. Le créancier pour recouvrer sa
créance pourra donc saisir les biens meubles ou immeubles de son
débiteur.
Ce mode d'exécution forcée sur les biens n'est
possible que lorsque l'entreprise du débiteur est saine. Si l'entreprise
est en difficulté, le créancier va plutôt faire recours
à une procédure collective afin de recouvrer sa créance.
Celle-ci désigne toute procédure dans laquelle le
règlement des dettes et la liquidation éventuelle des biens du
débiteur ne sont pas abandonnés à l'initiative
individuelle de chaque créancier, mais organisés de
manière à ce que tous les créanciers puissent faire valoir
leur droit5. L'Acte uniforme sur les procédures collectives
d'apurement du passif6 distingue trois procédures collectives
: le règlement préventif, le redressement judiciaire et la
liquidation des biens7. Contrairement à la procédure
des voies d'exécution qui ne vise que le paiement des créanciers,
les procédures collectives vont au-delà et visent aussi bien le
redressement de l'entreprise que la punition du débiteur dont
l'entreprise est en difficulté. Comme on le constate, si dans les voies
d'exécution, on n'exécute que les biens du débiteur, les
procédures collectives peuvent exercer une exécution sur sa
personne afin de punir le débiteur qui a mal géré ses
biens.
L'objectif de paiement des créanciers qui lie ces deux
procédures paraît être le motif clé de notre sujet
intitulé « procédures collectives et voies d
'exécution ». Mais à l'analyse, il n'est pas le seul.
D'emblée, l'étude combinée de ces deux procédures
qui constituent distinctement deux disciplines en droit laisse croire qu'il
faille les comparer. Les comparer serait examiner leur point de
différence et de ressemblance sur le plan du fond et de la forme ;
4 Cet Acte uniforme a été adopté le 10
avril 1998 et entré en vigueur le 1er janvier 1999.
5 Gérard CORNU précité.
6 Cet Acte uniforme a été adopté le 10
avril 1998 et entré en vigueur le 1er janvier 1999.
7 Cet avis n 'est pas partagé par SA WADOGO (F, M),
OHADA, Droit des entreprises en difficulté, collection droit uniforme,
Bruylant, Juriscope, 2002. Celui-ci ne considère pas le règlement
préventif comme une procédure collective.
on pourra par exemple comparer la date d'adoption des actes
uniformes qui les instituent8, les personnes et les institutions
concernées par ces procédures, leurs objectifs et leur
efficacité. Si l'on prend seulement en compte les personnes qui sont
concernées par ces deux procédures, on pourra grouper les
personnes actives et celles passives. Du côté de celles-ci, on
retrouve incontestablement le débiteur qui peut être une personne
physique ou une personne morale. En ce qui concerne celles-là, si l'on
exclut les personnes instituées pour la mise en oeuvre de ces
procédures9, on parlera uniquement du créancier qui
lui aussi peut être une personne morale ou physique.
Procéder ainsi serait un peu fastidieux dans le cadre
de notre mémoire dans la mesure où, la lecture conjointe desdits
actes uniformes permet de déceler le lien qui permet de mieux
s'interroger sur la question. Ce lien résulte de l'exercice
cumulé des procédures collectives et des voies
d'exécution. Ceci étant, une voie d'exécution
déclenchée par un créancier dans son intérêt
personnel pourra être influencée par l'ouverture d'une
procédure collective d'apurement du passif contre le débiteur de
ce créancier. Aussi est-il intéressant de se pencher sur
l'influence de l'ouverture d'une procédure collective sur l'exercice
d'une voie d'exécution. Envisager ce sujet sur l'angle de l'influence
réciproque d'une procédure sur l'autre revient à
s'interroger sur les rapports que peuvent entretenir ces deux procédures
quand leur exercice se coïncide dans le temps.
Ces rapports qui sont présents dans les deux actes
uniformes1° sont plus perceptibles dans l'Acte uniforme sur les
procédures collectives d'apurement du passif. Ainsi, il ressort de la
lecture combinée des articles 9 et 7511 de l'AUPCAP que la
décision d'ouverture d'une procédure collective suspend ou
interdit l'exercice des voies d'exécution tendant à obtenir le
paiement des droits et créances exercées par les
créanciers antérieurs à cette décision
8 Les deux actes uniformes ont été
adoptés le 10 avril 1998 et entrés en vigueur le 1er
janvier 1999.
9 Comme personnes instituées, on peut citer par
exemple l 'huissier de justice, le greffier, le syndic... 1°
AUPSRVE et AUPCAP.
11 Il aurait été préférable que
ces articles ressortissent des dispositions générales ; voir
infra.
d'ouverture. Pourquoi la décision d'ouverture d'une
procédure collective suspend ou interditelle l'exercice d'une voie
d'exécution ? Les voies d'exécution et les procédures
collectives ne peuvent-elles pas cheminer ensemble ? Quelles voies
d'exécution sont-elles suspendues ou interdites ?
La suspension des voies d'exécution concerne aussi bien
les saisies mobilières que les saisies immobilières et a pour
objectif le traitement collectif des créanciers du débiteur dont
l'entreprise est en difficulté. Ce blocage des voies d'exécution
s'entend aussi explicitement dans l'AUPSRVE. C'est le lieu d'examiner l'une des
conditions essentielles d'une saisie qui est la disponibilité du bien
objet de la saisie. Or l'ouverture d'une procédure collective contre un
débiteur rend ses biens indisponibles, par conséquent lesdits
biens ne peuvent pas faire l'objet d'une saisie. Cette mesure n'est propre
qu'aux débiteurs pouvant subir une procédure collective. Ceci
étant, la catégorie des débiteurs pouvant faire l'objet
d'une saisie est d'un côté plus important que celle pouvant
être soumise à une procédure collective12.
Historiquement13, la procédure collective n'était
applicable qu'aux commerçants, mais avec l'avènement de l'AUPCAP,
on pourra appliquer la procédure à toute personne morale de droit
privé14 excepté les personnes physiques non
commerçantes. En ce qui concerne les voies d'exécution, elles
s'appliquent indistinctement à toute personne physique et aux personnes
morales de droit privé15.
Il faut aussi relever que l'ouverture d'une procédure
collective dessaisit les juridictions devant lesquelles était pendante
une voie d'exécution. Cette juridiction peut être civile,
pénale ou même administrative.
12 On fait allusion ici aux personnes physiques non
commerçant.
13 Jusqu 'à la réforme OHADA.
14 Et même aux personnes morales de droit public ayant
la forme d'une personne morale de droit privé ; lire l 'article 2 de l
'acte uniforme sur les procédures collectives d 'apurement du
passif.
15 L 'acte uniforme sur les voies d'exécutions laisse
paraître que les personnes morales de droit public ne sont pas soumises
à une telle procédure.
Des constats qui précèdent, on peut
dégager la première hypothèse de notre étude qui
établit les rapports conflictuels entre les procédures
collectives et les voies d'exécution. La seconde hypothèse qui
envisage les rapports de collaboration a ses constats propres. Comment rendre
les procédures collectives efficaces en les laissant cheminer avec les
voies d'exécution ?
La réponse à cette question est fort simple si
l'on ne prend en compte que la procédure de la liquidation des biens.
Cette procédure « qui a pour objet la réalisation de
l'actif du débiteur pour apurer son passif »16
utilise les voies d'exécution dans l'accomplissement de son objet
; c'est ainsi que les biens immeubles du débiteur sont vendus par la
voie des saisies immobilières. Par contre, lorsque l'on prend en compte
toutes les procédures collectives, l'admission n'est pas aisée.
C'est le lieu de méditer sur le terme employé par le
législateur lorsqu'il affirme que l'ouverture d'une procédure
collective « suspend » l'exercice de toutes voies
d'exécution. Le verbe suspendre utilisé ici signifie interdire
pour un temps, comme pour dire que les voies d'exécution
suspendues17 pourront reprendre plus tard. Mais quand ? Comment ?
Lesquelles ? N'y a-t-il pas des voies d'exécution qui ne sont pas
soumises au régime de la suspension mais qui cheminent
véritablement avec les procédures collectives ?
Parmi les voies d'exécution, il en est une dont l'effet
immédiat peut l'empêcher d'être arrêtée par
l'ouverture des procédures collectives18 : c'est la
saisie-attribution. Cette saisie emporte « attribution
immédiate au profit du saisissant de la créance
saisie»19. Cette propriété
juridique dont jouit le créancier saisissant manifestera sans doute ses
effets malgré l'ouverture d'une procédure collective. A
côté de cette collaboration directe des voies
16 Article2 paragraphe 3 A UP CAP.
17 Cette suspension ne concerne que les créanciers
dans la masse qui sont les créanciers antérieurs au jugement d
'ouverture de la procédure collective.
18 Voir infra.
19 Voir l'article 154 de l'A UPSRVE.
d'exécution dans l'exercice des procédures
collectives, il existe une collaboration latente liée aux objectifs
communs aux procédures collectives et aux voies d'exécution.
La suspension, l'interdiction ou l'arrêt des voies
d'exécution se justifient parfois par le fait que les procédures
collectives jouent à certains points le rôle des voies
d'exécution. C'est pourquoi il faut rappeler que l'un des objectifs
majeurs d'une procédure collective est le paiement des
créanciers20. Ce paiement peut être total ou partiel
selon la procédure ouverte. Il peut être total dans le
règlement préventif et le redressement judiciaire et partiel dans
la liquidation des biens. Cette deuxième série de constats
conduit inévitablement à rappeler la deuxième
hypothèse qui constitue les rapports de collaboration. Ces
hypothèses ne sont pas sans intérêt.
Sur un plan purement juridique, il faut connaître les
raisons qui sous-tendent les conflits entre les voies d'exécution et les
procédures collectives. Sur un plan tout à fait pratique, il faut
faire connaître aux juges et aux agents chargés de
l'exécution des décisions de justice l'étendue de leur
pouvoir lorsqu'ils sont surpris par l'ouverture d'une procédure
collective ; et au créancier d'éviter d'engager les actions
vaines.
Les procédures collectives dont l'exercice
coïncide avec celui des voies d'exécution vont exercer une grande
influence sur celles-ci. Il est de principe que les voies d'exécution
soient paralysées pour le bon déroulement des procédures
collectives (Première Partie). Mais il arrive que pour des raisons de
procédure, qu'il y ait une admission d'exception des voies
d'exécution dans les procédures collectives (Deuxième
Partie).
20 Voir supra.
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