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Procédures collectives et voies d'exécution

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par Guy Jules KOUNGA
Université de Yaoundé II - DEA en Droit des Affaires 2003
  

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Section 2 : Champ d'application quant aux juridictions

La décision d'ouverture d'une procédure collective interdit ou suspend l'exercice de toute voie d'exécution ainsi que les mesures conservatoires (art. 9 et 75 AUPCAP). Cette décision a incontestablement des effets sur les voies d'exécution qui étaient pendantes76 devant le juge des voies d'exécution (paragraphe 1). Cette mesure de suspension a un caractère d'ordre public aussi bien interne qu'international (paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les juridictions soumises à la suspension

La décision de suspension ou d'interdiction des voies d'exécution dessaisit par la même occasion le juge de l'exécution de sa compétence (A). Reste posée la question des autres juridictions (B).

76 V. 1ère Partie, chapitre 1, section 2, paragraphe 1 supra.

A- La soumission non équivoque des juridictions civiles

Parler de la soumission des juridictions civiles à la décision de suspension des voies d'exécution revient à s'interroger sur le problème devant le juge des voies d'exécution. Quel est le juge compétent pour dessaisir le juge des voies d'exécution ? (1) Quel est le sort de la décision de suspension auprès dudit juge ? (2).

1- Le juge compétent pour ordonner la suspension

Aux termes de l'article 3 de l'AUPCAP, le règlement préventif, le redressement judiciaire et la liquidation des biens relèvent de la juridiction compétente en matière commerciale77. L'alinéa 2 poursuit en disant « Cette juridiction est également compétente pour connaître de toutes les contestations nées de la procédure collective, de celles sur lesquelles la procédure collective exerce une influence juridique, ainsi que de celles concernant la faillite personnelle et les autres sanctions... »

L'Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d'exécution OHADA en son article 49 énonce : « La juridiction compétente pour statuer sur tout litige ou toute demande relative à une mesure d'exécution forcée ou à une saisie conservatoire est le président de la juridiction statuant en matière d 'urgence ou le magistrat délégué par lui ».

Il ressort de la lecture combinée de ces deux dispositions que la juridiction compétente en matière commerciale est la juridiction des procédures collectives et des difficultés liées auxdites procédures d'une part, et que le président de la juridiction statuant en matière d'urgence ou le magistrat délégué par lui est le juge des voies d'exécution et des difficultés

77 Au Cameroun cette juridiction est soit le T.P.I, soit le T.G.I selon le montant de la demande.

d'exécution d'autre part78. Ces dispositions posent quelques problèmes : la procédure collective qui survient lorsque le débiteur subit une voie d'exécution peut-elle être considérée comme une difficulté d'exécution ? Inversement, la poursuite d'une voie d'exécution suspendue par la procédure collective peut-elle être considérée comme une contestation née de la procédure collective ? A qui revient la compétence de résoudre de telles difficultés ?

La réponse à ces questions diffère selon qu'elle est envisagée du côté de la loi ou du côté des tribunaux. Du côté de la loi les articles 9 et 75 AUPCAP énonce que la décision d'ouverture d'une procédure collective suspend ou interdit l'exercice de toute voie d'exécution ainsi que les mesures conservatoires. La loi uniforme donne ainsi compétence au juge des procédures collectives de se prononcer sur la suspension des voies d'exécution79. Mais qu'adviendra-t-il si cette décision de suspension n'est pas respectée ? Autrement dit, le non respect de la décision de suspension par le juge de l'exécution doit-il être considéré comme une contestation née de la procédure collective ?

Le juge des voies d'exécution appelé à se prononcer sur la question se déclare compétent et ne tarde pas à prononcer « la discontinuation des poursuites »80.

A titre de droit comparé, le juge français reconnaît compétence au tribunal de la procédure collective pour connaître de l'action en nullité du paiement résultant d'une saisie attribution appliquée en période suspecte81.

La compétence de la discontinuation revendiquée par le juge de l'exécution ne saurait confondre l'ouverture d'une procédure collective à une difficulté d'exécution. Car la procédure collective s'analyse plus comme une voie d'exécution collective. Toutefois il n'y a

78 Sur la controverse sur l 'identité du juge compétent en matière des voies d 'exécution, lire Henri TCHANTCHOU, Le contentieux de l 'exécution et des saisies dans le nouveau droit OHADA (article 49 AUPSRVE) ; J.P, N° 46, Yaoundé, P. U.A. 2001, pp. 98 à 105.

79 Ces dispositions sont bien appliquées par les juges dans la pratique. Voir par exemple T. G.I de Ouagadougou, jugement N° 234 du 29 mars 2000 : ohadata J-04-180 ; Tribunal régional hors classe de Dakar, jugement N° 1538 du 8 août 2000 : ohadata J-04-342.

80 Voir à ce sujet, Tribunal de travail hors classe de Dakar, Ord. de référé n° 81/465 du 4 mars 2003, Affaire MOUSTAPHA KEBE contre Papa SAMBA KAMA et 149 autres: Site lexinter.net/jurafrique.

81 C.A. Limoges, 20 février 1996, Rev. Proc. Coll. 1997, P. 49, Obs. CANET

pas de mal à ce que le juge de l'exécution se déclare compétent pour la circonstance. Malgré l'ouverture de la procédure collective, il est le juge de droit commun des voies d'exécution, et est compétent pour prononcer la mainlevée d'une saisie.

Le juge des voies d'exécution à notre avis ne saurait être le juge exclusif en la matière ; la procédure collective étant une voie d'exécution collective, le juge des procédures collectives ne devrait pas décliner sa compétence lorsqu'il est face à une telle situation. On en déduit qu'il y a une sorte de compétence partagée en la matière entre le juge de l'exécution et le juge des procédures collectives.

2- Le sort de la décision de suspension devant le juge de l'exécution

Comme il a été dit plus haut, le juge des procédures collectives est aussi compétent « pour connaître les contestations nées de la procédure collective ». Jointe aux dispositions relatives à la paralysie des voies d'exécution par l'ouverture des procédures collectives, cette disposition de l'AUPCAP signifie que la décision du juge des procédures collectives dessaisit le juge des voies d'exécution. Comment comprendre alors la discontinuation des poursuites prononcées par le juge de l'exécution de Dakar au sujet d'un débiteur en « liquidation des

biens »82 ?

Disons tout simplement qu'au regard du droit OHADA cette compétence n'est pas expressément attribuée au juge de l'exécution. Cependant, en tant que juge de droit commun des voies d'exécution on ne saurait lui refuser une telle compétence. Seulement le juge des procédures collectives au regard du droit OHADA ne saurait non plus se déclarer incompétent. Le raisonnement qui attribue la compétence aussi au juge des procédures collectives a une démarche logique car la procédure collective s'analyse comme une voie

82 Tribunal hors classe de Dakar, op. Cit. Il faut relever que ledit jugement parle de « liquidation judiciaire » au lieu de redressement des biens.

d'exécution collective. Mais cette compétence partagée entre le juge de l'exécution et le juge des procédures collectives ne devrait se comprendre que par rapport à l'interprétation des textes énoncés plus haut83.

En somme, il faut retenir que le juge compétent pour ordonner la suspension des poursuites est incontestablement le juge des procédures collectives. Lorsque malgré cette décision de suspension un créancier continue à exercer les voies d'exécution, la jurisprudence reconnaît que le juge de l'exécution puisse ordonner la discontinuation des poursuites84. Mais rien ne s'oppose à ce que la demande en vu d'obtenir la discontinuation soit adressée plutôt au juge des procédures collectives. En attendant que la haute juridiction85 puisse attribuer exclusivement la compétence à l'une quelconque de ces juridictions, il faut admettre que la compétence est partagée entre le juge des voies d'exécution et le juge des procédures collectives. Un tel raisonnement ne saurait tenir lorsqu'on a affaire aux juges administratif et pénal.

B- La question de la suspension devant les juridictions autres que civiles

Parler de la suspension des voies d'exécution devant les autres juridictions autres que civiles revient à s'interroger sur l'origine des titres exécutoires et des voies d'exécution menées par les juges pénal (2) et administratif (1).

1- Le problème de la suspension devant le juge administratif

L'article 33 AUPSRVE cite parmi les titres exécutoires « les décisions juridictionnelles revêtues de la formule exécutoire et celles qui sont exécutoires sur minute ».

83 V. l'art.3 AUPCAP et art. 49 AUPSRVE.

84 V. Tribunal Hors classe de Dakar, op. cit.

85 La haute cour fait référence à la Cour commune de justice et d 'arbitrage.

L'article 30 al. 1er de son côté déclare que l'exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d'une immunité d'exécution. L'alinéa 2 ajoute que « les dettes certaines, liquides et exigibles des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques quelle qu 'en soit la forme et la mission donne lieu à compensation »86.

De son côté, l'acte uniforme sur les procédures collectives énonce que les procédures collectives « sont applicables à toute entreprise publique ayant la forme d 'une personne morale de droit privé qui cesse ses paiements ».

A la lecture attentive de ces diverses dispositions, il apparaît que les voies d'exécution sont réticentes en ce qui concerne les personnes publiques et que les procédures collectives s'appliquent plus ou moins à ces personnes. C'est ainsi que l'entreprise publique ayant la forme d'une personne morale de droit privé peut faire l'objet d'une procédure collective mais non d'une voie d'exécution. Par conséquent la suspension des voies d'exécution n'est pas envisageable.

Cette suspension est-elle envisageable à l'égard des autres personnes morales de droit public ? La réponse négative nous vient de l'exécution des décisions de justice administrative. A ce propos, il faut relever que l'exécution des décisions des juridictions administratives à la différence de celles rendues par le juge judiciaire, ne comporte pas de formule exécutoire à l'égard des personnes publiques enjoignant aux agents publics de prêter main forte à l'exécution87. Pourtant l'une des conditions d'exercice d'une voie d'exécution est l'obtention d'un titre exécutoire qui peut être une décision juridictionnelle revêtue de la formule exécutoire (art. 33 AUPSRVE).

Le raisonnement devant le juge pénal s'analyse différemment.

86 V. aussi les commentaires de Philippe TIGER, Le droit des affaires en Afrique, Que sais-je ? PUF 1999, P. 100.

87 Charles DEBBASCH et Jean-Claude RICCI, Contentieux administratif, 4è édition ; D. 1985, n° 627.

2- Le problème de la suspension devant le juge pénal

L'acte uniforme OHADA sur les voies d'exécution ne règlemente que les saisies sur les biens. Or le juge pénal est le juge des peines d'emprisonnement et d'amendes. Si l'on met de côté la peine d'emprisonnement qui ne relève pas des voies d'exécution de l'OHADA, on peut s'interroger sur la question de savoir si l'on peut recourir à une voie d'exécution pour recouvrer une peine d'amende.

Si l'on s'en tient à la logique de l'Acte uniforme sur les voies d'exécution, rien n'empêche à ce qu'on recouvre une peine d'amende par l'exercice des voies d'exécution du moment où elle s'analyse comme << une créance certaine, liquide et exigible » (art. 31). Dans un tel cas, l'Etat qui est le titulaire de la créance doit-il suspendre où arrêter l'exercice de ses voies d'exécution en cas de survenance d'une procédure collective ouverte contre le condamné ?

La réponse à cette question est sans nul doute affirmative, car la décision d'ouverture suspend ou interdit << aussi bien les voies d'exécution que les mesures conservatoires ». Les créanciers dont les voies d'exécution sont bloquées sont aussi bien les créanciers chirographaires, les créanciers titulaires de sûretés que ceux titulaires de privilèges généraux ; et l'Etat fait partie de cette dernière catégorie.

Donc la décision d'ouverture des procédures collectives a une influence sur la décision rendue par le juge pénal dans tous les cas où cette décision fait l'objet de mesures d'exécution forcée telle que règlementées par l'OHADA. Cette influence qui est l'interdiction des voies d'exécution constitue une mesure d'ordre public dans les procédures collectives.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo