Marguerite Duras "Souverainement banale" Pour une poétique de la transfiguration du banal( Télécharger le fichier original )par Caroline Besse Université de Fribourg - Suisse - Licence ès lettres 2006 |
1.4. OxymoronCette banalité, quand elle est thématisée dans le texte durassien, est également le lieu d'apparition privilégié d'une autre figure de style. Elle apparaît en effet souvent sous la forme d'un oxymore, autrement dit l'exact opposé du plat et du sans-relief, qualités attendues du banal, s'il en est. M.D. : C'est ce bal, et la rencontre de cette femme. J'ai essayé de la faire parler très longtemps, enfin toute une journée, et elle n'a jamais parlé. C'est-à-dire qu'elle a parlé comme tout le monde, avec une banalité extraordinaire, une banalité remarquable. Elle croyait que j'étais un docteur et elle a parlé pour paraître être comme tout le monde. Et plus elle le faisait, si vous voulez, et plus elle était singulière à mes yeux. C'était très impressionnant.170(*) Dans cette interview donnée à la télévision en 1964 à propos du Ravissement de Lol V. Stein, Duras parle de la figure féminine qui a inspiré l'héroïne de son roman. Il s'agit d'une femme qu'elle a rencontrée à un bal de Noël donné dans un asile psychiatrique des environs de Paris, et qui l'a beaucoup frappée. Le passage évoque leur rencontre, après que Duras a cherché à la revoir et à lui parler. En décrivant leur dialogue, l'écrivain le qualifie à deux reprises au moyen de l'expression comme tout le monde. Cette tournure révèle une forme de typisation du banal, implique par conséquent la notion de « type », avec laquelle le banal se confond dans le cas présent. « Le typique est une manière de signifier que le personnage est identique à lui-même parce qu'il n'a pas d'identité propre »171(*). Le manque d'identité propre est par conséquent ce qui le situe dans la masse uniforme des individus et ce qui l'empêche de s'en distinguer. Si cette femme incarne, comme le laisse entendre la répétition de l'expression comme tout le monde, le type du banal, tout le problème réside dans le fait qu'on le remarque, qu'elle peut être reconnue comme représentant ce type. Cela signifie que l'on sait ce qui est banal (ou ce qui ne l'est pas). Ce qui passe inaperçu est alors paradoxalement reconnu comme pouvant être distingué. Les deux tournures oxymoriques concentrent rien moins, on l'aura compris, que toute cette problématique. Le passage qui englobe la mise en exergue citée au début de cette étude formule cette problématique en des termes similaires : On me laisse sortir. Je suis très fatiguée. Trop jeune pour souffrir, dit-on. Il fait doux, dit-on. Huit mois déjà, dit-on. Mes cheveux sont longs. Personne ne passe. Je n'ai plus peur. Voilà. Je ne sais pas à quoi je m'apprête... Ma mère surveille ma santé à cet effet. Je surveille ma santé. Il ne faut pas trop regarder la Loire, dit-on. Je la regarderai. Des gens passent sur le pont. La banalité est frappante parfois. C'est la paix, dit-on. Ce sont ces gens qui m'ont tondue. Personne ne m'a tondue. C'est la Loire qui me prend les yeux. Je la regarde et je n'arrive plus à les retirer de l'eau. Je ne pense à rien, à rien. Quel ordre.172(*) L'intérêt de l'oxymore et de son exploitation dans diverses oeuvres réside dans le fait qu'elle est le reflet d'une subjectivité ou d'un regard particulier qui dépend de circonstances bien précises : l'héroïne de Hiroshima mon amour, qui porte le nom de Riva dans les appendices du texte, a été « la petite tondue de Nevers »173(*). Durant près de huit mois, elle a été enfermée dans la cave de la maison par sa famille parce qu'elle criait pour son amant mort, un Allemand. Lorsqu'elle devient raisonnable - elle comprend que ses émotions doivent être tues - elle peut en sortir. C'est alors avec un regard nouveau qu'elle observe le monde extérieur, auquel elle renaît, se distinguant en cela des gens qui l'entourent et du discours nivelant du « on dit », explicitement évoqué par la répétition du dit-on. L'oxymore signifie alors que la banalité de gens qui passent sur le pont est frappante « pour elle », à cet instant précis de sa vie, circonstance particulière indiquée par l'adverbe parfois. La subjectivité que reflète l'oxymore était, dans l'entretien au sujet du personnage de Lol V. Stein, celle de Duras elle-même, transposée par l'expression singulière à mes yeux. Ces termes indiquent d'ailleurs parfaitement le renversement de perspective qu'opère Duras, palpable non seulement dans ses interviews mais également dans ses textes : le banal et la banalité deviennent proprement une « singularité » pour elle. Là où cette façon d'envisager le banal devient piquante, c'est lorsque l'on s'aperçoit que Duras utilise le même type de formulations oxymoriques en parlant d'elle-même : Moi je ressemble à tout le monde. Je crois que jamais personne ne s'est retourné sur moi dans la rue. Je suis la banalité. Le triomphe de la banalité. Comme cette vieille dame du livre : Le Camion.174(*) Il est d'ailleurs intéressant de se référer au texte du Camion, qui a été l'objet de si fréquents commentaires par rapport à cette question de la banalité : M.D. : [...] C'est une femme comme ça, tous les soirs elle arrête des autos, des camions. Et puis elle raconte sa vie à qui se trouve là. Chaque soir, elle raconte sa vie pour la première fois. Elle est plus ou moins écoutée, mais peu lui importe. Silence. G.D. : Comment serait-elle ? Comment est-elle ? M.D. : (Temps.) Petite. Maigre. Grise. Banale. Elle a cette noblesse de la banalité. Elle est invisible.175(*) Cette vieille dame, dont la vie comporte une dimension répétitive très marquée, est décrite au moyen de plusieurs adjectifs, qui se trouvent pour ainsi dire englobés dans l'oxymore final noblesse de la banalité. Cette formulation contribue déjà, ne serait-ce que sur le plan purement linguistique, à remettre en question le caractère « banal » de la banalité. Tout se passe comme si l'adjectif banal, contaminé dans un premier temps par la connotation négative des adjectifs petite, maigre, grise auxquels il est juxtaposé d'une manière conclusive, était ensuite complètement récupéré par la valeur positive dont est auréolé le mot noblesse, qui donne par la même occasion, de façon rétroactive, un nouvel éclat à tous les termes précédents. L'adjectif invisible, sur lequel se clôt le passage, provoque ensuite une deuxième remise en question, au niveau de sa signification propre, en ce sens qu'il renvoie au paradoxe explicité dans le commentaire à propos de Lol V. Stein : si cette femme est invisible, personne ne peut la remarquer, et elle ne peut par conséquent recevoir des qualificatifs sans devenir l'exact opposé de ce qu'elle est, à savoir visible... Dans l'optique durassienne, ainsi que cela a été mis en évidence, c'est précisément parce qu'une personne, un objet, sont banals qu'ils frappent si fortement. La puissance d'impact du banal est d'ailleurs très fréquemment véhiculée par les termes antithétiques accolés au mot « banalité » dans les oxymores étudiés. Une valeur est donnée à la banalité parce qu'elle est en soi si insignifiante qu'elle doit signifier quelque chose de plus que ce qu'elle est, comme si elle cache quelque chose derrière une surface qui doit contenir plus.176(*) Un entretien très intéressant, qui vaut la peine d'être cité dans sa version longue, ouvre une piste sur la valeur que Duras accorde à cette banalité, de quelle façon celle-ci est en quelque sorte transcendée. Il est toujours question de la femme du Camion : Dominique Noguez. J'allais simplement vous faire remarquer qu'il est dit qu'elle ne fait rien, qu'elle n'a jamais rien fait. Qu'elle ne sait pas qu'elle existe, qu'elle n'a pas d'identité... effectivement, elle n'est presque rien. Marguerite Duras. Elle change d'histoire. L'histoire qu'elle raconte tous les soirs n'est jamais la même. [...] Elle est très affolée quand on lui demande son identité, quand on lui demande ce qu'on demande à tout le monde tout le temps : « Qui êtes-vous ? ». Elle ne sait pas où elle est. Donc elle ne sait pas qui elle est. Elle n'est embarquée nulle part, dans aucun véhicule. Ni celui du langage, ni celui d'un travail quelconque, ni celui d'une mission quelconque. Elle est déconnectée de tout, de la société. Mais déconnectée de telle sorte qu'elle est en relation très serrée et très essentielle... avec quoi ? Elle l'est, mais avec quoi ? D.N. Avec l'ensemble ? M.D. Avec l'ensemble ? C'est ce que je nomme « l'ensemble », depuis beaucoup de temps, faute d'un autre mot. Quelquefois, maintenant, je dis « Dieu ». Puisque le mot est là. Pratique. C'est un beau mot, court, ça change aussi. Je ne parle pas de Dieu, je parle du mot. Le mot est là, donc, pas par hasard. Les gens en avaient besoin. Pour désigner l'ensemble. Quand je dis : « ensemble », j'esquive le mot « Dieu ». Il est tantôt dit, tantôt esquivé. Qu'il soit dit ou tu, il est là. Je crois qu'il faut le prendre comme ça... [...] D.N. Est-ce que, lorsque vous décrivez cette femme qui ne fait rien, qui ne se définit pas par ce qu'elle fait, qui ne sait pas exister, qui est invisible... C'est une définition du regard, une sorte de regard qui porte sur le tout ? M.D. Oui. C'est une définition de l'occupation du temps qui m'importe beaucoup. Cette femme occupe son temps d'une façon que j'envie. C'est peut-être mon modèle, cette femme. Ce que j'aurais préféré être. Et avec ça, elle essaie de paraître comme tout le monde. Par exemple, elle a une valise : c'est pour mieux mentir. C'est pour mieux raconter des histoires. Je suis sûre que la valise est vide. Ou bien il y a des vieux journaux dedans. Elle s'habille de noir, comme les vieilles femmes de la province. Elle est au courant des choses. Elle connaît l'asile des fous. Même si elle n'y est pas. Elle fait du stop. Elle sait bien en faire. La description physique de cette femme correspond à la mienne. Je la vois comme moi. C'est la seule fois où ça me soit arrivé, dans la littérature et dans le cinéma. Je me suis vue. Avec cette valise. La banalité. J'ai pensé à moi.177(*) La banalité représente visiblement pour Duras un révélateur privilégié de l'essentiel, du mystère général de l'existence, nommé imparfaitement ici par les termes « ensemble », « Dieu ». Pourtant, ce qui n'est pas clair, c'est si la banalité est l'essence même de cette dame (elle n'est presque rien, invisible, la banalité)178(*) ou si elle est un masque derrière lequel se cache une singularité propre (interprétation induite par les termes paraître comme tout le monde, mentir, raconter des histoires), celle d'une sorte de voyante qui sait tout, qui est en lien avec l'essentiel mais qui ne veut pas le montrer. Cette question insoluble, celle de l'identité du sujet (qui se pose, dans la problématique du banal et du singulier, en termes d'individuel vs collectif), est le reflet du texte, qui la pose explicitement : « Qui êtes-vous ? » Le texte poserait alors une nouvelle définition de l'identité, une identité qui en passe par son absence, c'est-à-dire une identité dont la principale caractéristique est de n'en avoir pas, une identité en creux en somme. Quoi qu'il en soit, être ou paraître banal permet d'être au courant des choses, selon ce qui transparaît de ces quelques lignes d'interview. C'est là que réside peut-être l'essence de l'être humain, selon Duras. Ce faisant, il va sans dire que la comparaison qu'établit Duras, en fin de passage, entre cette vieille dame et elle-même vise indirectement à l'éloge de sa propre personne, puisqu'en déclarant ressembler à cette femme - qui n'a d'ailleurs d'autre existence que sous sa plume - elle s'attribue implicitement les qualités qu'elle lui reconnaît, à savoir de posséder le langage caché du monde et d'être en relation avec le tout. Une forme d'adéquation se produit par ce biais entre l'auteur réel et l'auteur inscrit, qui témoigne du souci constant chez l'écrivain de faire coïncider son être réel et son être écrivant.179(*) Elle qui n'en est pas à un paradoxe près, a d'ailleurs tout autant pris goût à faire l'éloge de sa propre personne et de ses écrits - ce que d'aucuns ont volontiers qualifié d'autosuffisance, défaut qui lui a vivement été reproché - qu'à se décrire comme la banalité incarnée. Quelques déclarations de « modestie » durassienne, parmi les plus percutantes, ne manquent en effet pas d'interpeller : Je n'ai jamais été prétentieuse. Écrire toute sa vie, ça apprend à écrire. Ça ne sauve de rien. Le mercredi 19 avril, 15 heures, rue Saint-Benoît. Il se trouve que j'ai du génie. J'y suis habituée maintenant.180(*) Que penser d'une personne qui affirme ne pas être prétentieuse et qui déclare sur un ton tout aussi absolu, quelques lignes plus loin, avoir du génie181(*) ? L'attitude ambivalente de Duras par rapport à la banalité se manifeste jusque dans la façon qu'elle a de parler d'elle-même. Elle a très fréquemment dérogé, dans ses interviews comme dans sa vie privée, à ce que Kerbrat-Orecchioni nomme la « règle de modestie »182(*), notamment dans Marguerite Duras à Montréal, où dans une conférence de presse elle se loue elle-même et va même jusqu'à refuser la tentative de l'interviewer de lui « sauver la face », en persistant dans sa voie : Marguerite Duras : J'ai revu à Lisbonne récemment Son nom de Venise dans Calcutta désert, j'ai trouvé ça complètement génial. J'ai revu le Navire Night, je trouve ça très beau. Ça vous choque que je dise des choses pareilles ? Je suis très sérieuse : j'aime beaucoup ce que je fais. Pas tout : il y a des films que je n'aime pas ; Véra Baxter, je ne l'aime pas. Q. : Je me demande si vous cabotinez ou si vous êtes sérieuse ? M.D. : Non, non. Si je cabotinais, ça commencerait à se savoir dans le monde. [...]183(*) Ce cas est loin d'être isolé et des déclarations recueillies dans Le Monde extérieur - Outside 2 témoignent de la même attitude. C'est ainsi qu'en 1981, elle dira : Moi ce qui me rend à une fraîcheur d'exister - qui j'espère cessera seulement avec ma mort - c'est que l'homme ait inventé Dieu, et la musique, et d'écrire. Ce n'est pas du tout les Croisades ou Marx ou la Révolution, c'est plutôt tous les poèmes de Baudelaire, un poème de Rimbaud, tout Beethoven, tout Mozart, tout Bach, et moi-même.184(*) Qu'un écrivain se situe ostensiblement entre les plus grands noms de la littérature et de la musique « le classe du côté des mégalomanes ou des fous, tant la règle de modestie semble inscrite dans notre culture »185(*). Cette subversion des règles de politesse est effectuée non seulement par l'auteur médiatique tel que ci-dessus, mais aussi par l'auteur réel. Michèle Manceaux mentionne en effet des déclarations du même ordre dans la vie privée : Quand elle vient dîner chez moi, elle n'apporte rien. Elle l'a dit une fois : « Je m'apporte moi-même ». Son impudence me surprend. Certains la jugent détestable.186(*) Marguerite me répète souvent qu'elle n'est pas modeste parce que la modestie est une hypocrisie, un alibi à la faiblesse, à la paresse. Elle insiste : « Un écrivain modeste, ça n'existe pas ».187(*) La deuxième déclaration permet de nuancer quelque peu le jugement de mégalomanie : Duras fait preuve d'une vraie franchise, sans pour autant renoncer aux formules-décrets, telle Un écrivain modeste, ça n'existe pas, qui ramènent sa vérité à la vérité universelle. Dans ces extraits, note Doneux-Daussaint, un certain égocentrisme, souvent teinté de beaucoup d'humour, n'est pas tout à fait à rejeter non plus. Pour en revenir à l'utilisation de la formulation oxymorique que mettent en exergue ces citations, celle-ci ne peut manquer ici de frapper car elle est neuve et invite véritablement à une réflexion, à une interrogation. Sur la manière de penser et d'exprimer la banalité, que dire en effet de quelqu'un qui déclare de lui-même qu'il incarne la banalité ? Cette affirmation soulève plusieurs questions : dire qu'on est le triomphe de la banalité, cela conserve-t-il son caractère « banal » à la banalité, ou n'est-ce pas déjà la placer dans quelque chose d'à part, de singulier ? En d'autres termes, la banalité peut-elle triompher sans cesser d'être banale ? En fin de compte, l'utilisation du banal n'est-elle pas une façon, certes « particulière », mais somme toute une manière comme une autre, de se mettre en évidence ? La réponse à cette question se trouve dans le choix même de la figure à l'origine de l'interrogation : indécidable, autant que peut l'être l'oxymore, c'est-à-dire qu'elle révèle l'intention, de la part de Duras, d'exalter, dans un même geste, aussi bien les valeurs de la banalité que celles de la singularité. Grâce au paradoxe de l'oxymore, l'écrivain exploite en effet la coexistence d'éléments qui se contredisent mutuellement. Le paradoxe permet à des éléments incompatibles de coexister par la juxtaposition, si bien qu'ils ne sont pas dissous l'un dans l'autre mais présents au même endroit et au même moment.188(*) Cette posture ambivalente de sa poétique rejoint, selon Doneux-Daussaint, l'hésitation entre reconnaissance sociale et marginalité, dans laquelle se situe tout le paradoxe durassien d'une romancière qui écrit dans les faits pour une élite intellectuelle et dans l'intentionnalité pour un public de « bistrot ». Si elle aborde sans gêne aucune tous les sujets tabous, c'est peut-être par simple jeu, mais peut-être aussi parce qu'elle cherche ainsi implicitement une reconnaissance des actes subversifs qu'elle opère.189(*) Duras, en parlant de façon positive de la banalité, manifeste une sorte d'universalisme : elle est tout le monde, ou personne en particulier puisqu'elle est comme tout le monde. Ce faisant, la banalité acquiert un statut particulier, singulier au sein de son oeuvre à force d'être mise en valeur et d'être l'objet de commentaires. L'exaltation de la banalité est la preuve que cela représente une valeur primordiale dans sa vision du monde et de l'homme. Il n'est pas banal de parler sans cesse de la banalité. La formulation oxymorique est celle qui permet de conserver dans une étroite proximité les deux termes antithétiques, affirmant par là même le lien indéfectible qui les unit et maintenant le sens dans l'indécidable. Dans la perspective durassienne, il apparaît donc que l'un ne peut être dit sans l'autre. L'oxymore est alors très riche de sens et très efficace grâce à l'effet de téléscopage qu'il produit, qui ne peut manquer de frapper. Il met l'accent sur la perception commune de la banalité, que Duras s'emploie à interpeller, à remettre en question. Il est l'un des outils dont Duras se sert admirablement pour saper invariablement la distinction entre le banal et le singulier. L'irrésolution du texte durassien, due au choc que produit l'oxymore, suggère que l'acte de questionnement - bien plus qu'une réponse définitive - par son éloignement des valeurs et des formes communément acceptées de la connaissance, constitue une démarche particulièrement intéressante et peut être une expérience enrichissante. Il s'agit de casser une sorte de logique des opposés qui s'excluent pour lui substituer un système pensé en termes de complémentarité ou d'alliance des contraires. « The frequency of paradox or oxymoron in Duras is an indication of her preoccupation with these apparent oppositions and of her attempt to disrupt their logic through the ambiguity of her style. »190(*) * 170 Marguerite Duras - Dits à la télévision, entretiens avec Pierre Dumayet, suivi de La Raison de LOL par Marie-Magdeleine Lessana, Paris, E.P.E.L, « Atelier », 1999, p. 11. * 171 SAMI-ALI, Mahmoud, op. cit., p. 50. * 172 DURAS, Marguerite, Hiroshima mon amour, op. cit., Appendices, Les Evidences nocturnes, p. 142. Les italiques sont de l'auteur. * 173 Ibid., p. 118. * 174 Id., Écrire, op. cit., p. 37. Les italiques sont de l'auteur. * 175 Id., Le Camion, op. cit., p. 64-65. * 176 SEGAL, Naomi, The banal object : theme and thematics in Proust, Rilke, Hofmannsthal, and Sartre, London, University of London, « Bithell series of dissertations », 1981, p. 27-28. * 177 Marguerite Duras, La couleur des mots, entretiens avec Dominique Noguez autour de huit films, Paris, Benoît Jacob, 2001, p. 144-145. * 178 Ce qui serait en soi également paradoxal puisque l'identité d'une personne serait établie par sa banalité... * 179 Adéquation qui sera d'ailleurs l'objet, comme le note Doneux-Daussaint, d'une véritable construction, notamment sous l'angle médiatique. Voir DONEUX-DAUSSAINT, Isabelle, op. cit., 1ère partie, I, chapitre 2, § 77-78. * 180 DURAS, Marguerite, C'est tout, Paris, P.O.L, 1995, p. 39. * 181 Qualité extraordinaire qu'elle s'empresse, fait remarquable, de renvoyer dans le banal de l'habitude par une sorte de lieu commun du type « Finalement on s'habitue à tout ». * 182 « Règle qui interdit que l'on se jette ostensiblement des fleurs à soi-même ». Kerbrat-Orecchioni est citée par Doneux-Daussaint, reprise ici librement. Voir DONEUX-DAUSSAINT, Isabelle, op. cit., 1ère partie, I, chapitre 2, § 97-99. * 183 Marguerite Duras à Montréal, textes réunis et présentés par Suzanne Lamy et André Roy, Montréal, Éditions Spirale, 1981, p. 25. Duras fait cette critique élogieuse de sa propre oeuvre cinématographique ailleurs encore. Voir notamment DURAS, Marguerite, Les Yeux verts, op. cit., p. 54. * 184 DURAS, Marguerite, « J'ai pensé souvent... », in Le Monde extérieur, Outside 2, op. cit., p. 192. * 185 D'une façon similaire, en 1992, quand elle se reverra parlant du Vice-Consul, elle dira que c'est « un des plus grands films du siècle » (Dits à la télévision, op. cit., p. 47). Voir DONEUX-DAUSSAINT, Isabelle, op. cit., 1ère partie, I, chapitre 2, § 101. * 186 MANCEAUX, Michèle, L'Amie, Paris, Albin Michel, 1997, p. 20. * 187 Ibid., p. 76. Ces deux exemples sont repris de Doneux-Daussaint. Voir ci-dessus, note 185. * 188 SEGAL, Naomi, op. cit., p. 39. * 189 Voir DONEUX-DAUSSAINT, Isabelle, op. cit., 1ère partie, I, chapitre 2, § 96. * 190 GüNTHER, Renate, op. cit., p. 73. |
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