Conclusion
L'apport de la théorie DEB réside dans la
synthèse de plusieurs échelles et disciplines autour de
l'individu. Comprendre l'individu permet ensuite de comprendre la population
comme somme d'individus (Kooi & Kooijman, 1994a). La signification des
paramètres des modèles issus d'une telle théorie est alors
plus précise. La formulation des équations est contraintes de
manière mécanique (thermodynamique, physiologie), ce qui semble
important au vu de la grande sensibilité des modèles aux
fonctions mathématiques employées (Fussmann & Blasius, 2005).
Les modèles issus de la théorie DEB gagnent en réalisme et
permettent de placer les modélisations dans un contexte
expérimental précis. Le modèle présenté ici
est donc pleinement opérationnel et possède un ancrage dans une
réalité expérimentale en plus de l'objectif de
généralité écologique auquel il prétend.
Concrètement, cela se traduit par des résultats qui sont
représentatifs : (i) quantitativement d'une réalité
particulière, un temps moyen de persistance exprimé en heures
pour les daphnies d'une chalne bactérie-cillié-carnivore et (ii)
qualitativement de phénomènes écologiques, maintien de la
persistance dans les modèles tritrophiques au fil de l'enrichissement
pour des dynamiques complexes. La théorie DEB fait donc figure
d'avancée vers une meilleur collaboration entre expérimentation
et modélisation (Nisbet et al. , 2000).
Le paradoxe de l'enrichissement a été
retrouvé dans les quatre cas de chalnes trophiques
étudiés. Malgré les dissimilitudes d'approches des deux
modèles, les résultats sont qualitativement similaires. Pour les
chalnes trophiques a deux échelons, la même bifurcation
d'un équilibre stable vers des fluctuations cycliques est
retrouvée (bifurcation de Hopf). Pour les chalnes trophiques a trois
échelons, la même séquence de types d'équilibre au
fil de l'enrichissement a été mise en évidence au sein des
deux modèles. Le premier équilibre permettant la coexistence est
un équilibre ponctuel, puis viennent des fluctuations périodiques
lentes, une dynamique chaotique et enfin des fluctuations périodiques
rapides. Le paradoxe de l'enrichissement se maintien donc dans les chalnes
tritrophiques mais il y suit un schéma plus complexe. Les analyses en
temps de persistance montrent que c'est le changement d'une dynamique
chaotique a une dynamique périodique rapide qui
CONCLUSION
est l'équivalent de la déstabilisation de
l'équilibre ponctuel en un cycle limite des modèles a
deux espèces. Toutefois, ces deux modèles utilisent la même
réponse fonctionnelle de Holling type II et des termes de fermeture de
la chalne trophique (mortalité du dernier échelon)
linéaires. Au vu de l'influence de ces deux éléments sur
la dynamique (Fussmann & Blasius, 2005; Caswell & Neubert, 1998), il
conviendrait donc d'étudier la stabilité de ce schéma de
complexification avec des réponses fonctionnelles et un terme de
fermeture différents.
Le chaos apparait dans de nombreux modèles
lorsque de nouveaux éléments sont pris en compte dans les
modèles explicatifs. Il en est de même ici lors de l'inclusion
d'un troisième échelon trophique. La complexification des
modèles semble donc provoquer l'apparition du chaos. D'autre
part, la dynamique chaotique demande bien une attention particulière
puisqu'elle est un régime qui permet un temps de persistance important
dans un milieu enrichi. L'hypothèse qui survient alors est que le chaos
serait un régime optimum au-delà duquel
l'écosystème perdrait en stabilité. Cette hypothèse
est soutenue par la maximisation de la biomasse de superprédateurs dans
de tels modèles pour des dynamiques chaotiques (Rinaldi & De Feo,
1999). Elle va a l'encontre de l'idée que le chaos est un
phénomène qui n'existe pas dans les écosystèmes. Si
le chaos tiens effectivement un role important dans les
écosystèmes, cela doit remettre en cause la possibilité
même de d'y réaliser des prédictions précises (Boero
et al. , 2004). Le chaos nous apprend en effet que seules les
tendances générales peuvent être prédites. Cela doit
amener les écologistes a réfléchir a la formulation des
questions posées pour que celles-ci restent solubles.
L'approche développée ici pour comprendre le
role du chaos dans les écosystèmes n'apporte qu'un
éclairage limité. Deux voies semblent particulièrement
prometteuses pour mieux comprendre les dynamiques complexes de populations. En
premier lieu, la spatialisation des modèles, même de
manière simple, renforce l'idée d'un chaos qui favorise la survie
des espèces (Allen et al. , 1993), ce qui peut même
être décrit de manière analytique (Solé &
Gamarra, 1998). En second lieu, la dynamique du régime transitoire,
non considérée ici, semble elle aussi avoir un impact sur la
persistance des espèces (Hastings, 2001).
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