2) En leur donnant encore plus
de place, les 35 heures ont accentué les inégalités
d'accès aux loisirs :
Alors qu'en 1936, la réduction du temps de travail
était dictée par le souci de donner du temps libre aux
travailleurs, les lois Aubry avaient pour objectif premier non pas
l'accroissement du temps libre mais le partage du travail. Cependant, l'impact
attendu sur l'accroissement de loisir en résultant était un
élément qui avait été pris en compte.
Augmentant encore le temps disponible, les lois sur les 35
heures ont-elles pour autant amélioré la situation des
Français quant à l'accès aux loisirs ? Il apparaît
malheureusement à l'analyse que si la réduction du temps de
travail a eu un effet réel sur la consommation de loisirs, elle a par
là même accentué les inégalités
d'accès qui caractérisent cette consommation et
créé une déception à la hauteur des attentes
suscitées.
Malheureusement : un impact limité sur les
départs en vacances
Concernant les voyages, les 35 heures ont introduit des
modifications réelles mais limitées. A la demande du
secrétariat d'Etat au tourisme, le Centre de recherches pour
l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) a
réalisé en 2002 une étude sur l'incidence des 35 heures
sur le comportement de départ des Français, dont il ressort que
si les 35 heures n'ont pas modifié le volume global des départs
des Français, elles ont toutefois joué sur la façon de
partir. Entre 2001 et 2002, les départs des Français ne se sont
pas globalement accrus. En revanche, la structure des vacances a
été modifiée par la réduction du temps de travail.
Un cinquième des bénéficiaires des RTT ont ainsi
déclaré avoir bénéficié de vacances plus
longues, en accolant des jours de RTT aux congés légaux ; 12
% ont déclaré être partis en week-end grâce à
la RTT, et 9 % avoir fait des départs supplémentaires «
à la journée ». Deux phénomènes apparaissent
clairement.
D'une part, les 35 heures ont permis une
désynchronisation des flux, en facilitant les départs au dernier
moment, le décalage sur la semaine des départs et des
arrivées ceux-ci n'ayant plus forcément lieu comme auparavant le
vendredi soir ou le samedi matin et le dimanche et l'étalement des
congés sur l'ensemble de l'année. Les 35 heures ont, d'autre
part, donné un coup de fouet aux séjours de proximité,
dans les régions de résidence, et favorisé le commerce,
les parcs de loisirs et les visites culturelles lors d'excursions ponctuelles.
Evolution de la fréquence des séjours
depuis les RTT
(en %)
|
|
Week-ends et séjours courts
|
Séjours longs
|
Plus souvent
|
Inchangé
|
Moins souvent
|
Plus souvent
|
Inchangé
|
Moins souvent
|
Cadres
|
49,9
|
43,4
|
1,3
|
28,5
|
68,7
|
0,9
|
Professions
intermédiaires
|
32,7
|
56,3
|
1,8
|
15,9
|
76,5
|
1,1
|
Employés et ouvriers
|
20,3
|
60,6
|
2,9
|
9,7
|
75,8
|
1,3
|
Source : La réduction du temps de travail, des
politiques aux pratiques - La Documentation française - juin
2003
|
Comme nous pouvons le constater, seulement les cadres partent
en week-end ou courts séjours plus souvent, alors que pour les
employés et les professions intermédiaires la situation n'a pas
beaucoup changée.
Ces modifications de comportement n'ont toutefois pas eu,
comme on aurait pu l'espérer, d'incidence majeure sur l'économie
touristique. Comme l'a justement fait remarquer M.André Daguin*,
« est-ce que les 35 heures ont eu une influence sur la
fréquentation des hôtels et restaurants ? C'est un jeu à
somme nulle. Les petites auberges à une heure ou une heure et demie de
voiture des grandes villes ont connu des week-ends plus
fréquentés. Dans le même temps, les hôtels des
grandes villes perdaient une ou deux nuitées. Au final, cela s'est
compensé. »
De fait, les départs supplémentaires
générés par les RTT se sont concrétisés par
des séjours en famille ou chez des amis (dans des hébergements
non-marchand) pour 15 % des bénéficiaires des RTT
interrogés. En outre, l'accroissement supplémentaire de temps
libre résultant des 35 heures n'a finalement que peu profité aux
départs en voyage, qui sont en queue des occupations citées par
les bénéficiaires des RTT.
Les personnes interrogées selon une étude du
Ministère du Tourisme en Novembre 2005 déclarent en effet avoir
affecté leur surcroît de temps disponible au repos (47 %),
à la famille et aux enfants (45 %), au bricolage et au jardinage (41 %),
aux amis (34 %), au shopping (33 %), à la télévision (31
%), aux tâches domestiques et ménagères (27 %), aux sorties
(23 %) et aux activités sportives (20 %) bien avant les voyages (16 %
des citations).
Seules activités moins souvent citées que les
voyages : les activités artistiques et créatives (11 %) et
surtout les activités associatives (10 %), dont les promoteurs de la
réforme attendaient pourtant un regain.
Un impact décevant sur l'hôtellerie &
les loisirs
Au-delà des simples départs en vacances, c'est
l'ensemble des activités de loisirs, d'hôtellerie, de
para-hôtellerie et de restauration qui auraient pu être
dynamisées par les 35 heures. Or, tant les observateurs que les
études relèvent d'une part que les habitudes en terme
d'occupation de temps libre n'ont pas été modifiées, et
d'autre part que les inégalités d'accès aux loisirs qui
préexistaient ont encore été accrues.
Alors qu'elles auraient pu créer un mouvement
général d'engouement pour les loisirs, les 35 heures ne se sont
en réalité pas traduites par une modification en profondeur de la
pratique des loisirs.
En effet, les conditions de mise en oeuvre des RTT,
s'accompagnant d'une intensification du travail et d'exigences accrues en
matière de flexibilité, ont dans bien des cas provoqué des
situations de stress et de fatigue, parfois dramatiques. De ce fait, loin
d'utiliser la réduction du temps de travail pour se divertir, les
salariés l'ont consacrée le plus souvent au repos, faute de
moyens. Ce phénomène a été souligné à
maintes reprises.
M. André Daguin* : président de
l'Union des Métiers et des Industries de
l'Hôtellerie
En outre, les 35 heures ont eu pour effet pervers
d'accroître encore les inégalités dans le temps libre qui
sont en France aussi fortes que les inégalités de revenus.
· première inégalité : les RTT n'ont
été réellement libératrices de temps libre que pour
les salariés qui ont bénéficié de journées
ou demi-journées de RTT. A l'inverse, ceux pour qui elles se sont
traduites par une réduction de quelques minutes de l'horaire de travail
quotidien n'en ont tiré aucun bénéfice pour leurs
loisirs.
· s'y ajoute une seconde inégalité, qui
réside dans la réalité de la contrainte
économique, laquelle a pesé lourdement pour nombre de
salariés. En effet, la modération salariale accompagnant la mise
en oeuvre des 35 heures qui ont ainsi été en grande partie
supportées par les salariés, et au premier chef les plus modestes
d'entre eux n'a pas permis aux ménages les moins fortunés de
tirer bénéfice de l'accroissement de leur temps libre au profit
de leurs loisirs. Ceci explique sans doute en partie l'appréciation sans
équivoque selon laquelle 44 % des personnes soumises aux 35 heures
seraient prêtes à « renoncer à leurs jours de RTT
en contrepartie d'une hausse de salaire » (selon un article de
la Confédération Française Démocratique du Travail
2003).
Loin d'augmenter les loisirs pour tous, les 35 heures ont donc
créé encore de nouvelles inégalités.
Force est de constater que ce sont en fait les personnes qui
partaient déjà le plus qui ont accru leur départ
grâce aux 35 heures, à savoir les cadres et les Franciliens. Alors
que 16 % de la population est partie en vacances et au moins quatre fois en
week-end en 2002, population que le CREDOC qualifie de «
privilégiés du départ », les « habitués
du non-départ », qui n'ont bénéficié ni de
week-end, ni de vacances depuis deux ans, représentent plus du tiers de
la population : « retraités, bas revenus et non
diplômés y sont surreprésentés. Chez eux,
finalement, les RTT n'ont eu guère d'effet en matière de
tourisme ».
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