B) LES 35 HEURES ONT-ELLES
ACCENTUÉ LES TRAITS DE LA SOCIÉTÉ DE LOISIRS ?
1) Développement de la
société des loisirs : un phénomène ancien
Autrefois réservé à l'élite et
à la classe dirigeante, les loisirs ont connu tout au long du
20ème siècle une lente mais sûre
démocratisation, amorcée dès 1936 avec la loi sur les
congés payés et la semaine de 40 heures. Mise un temps entre
parenthèses durant les années noires de 1940 à 1945, la
société de loisirs se développe à nouveau
dès la fin de la seconde guerre mondiale. Pour faire face à la
reconstruction, la loi du 25 février 1946 autorise les patrons à
avoir recours à 20 heures supplémentaires par semaine. Mais les
événements de Mai 1968 relancent à nouveau la baisse de la
durée du travail, les accords de Grenelle promettant notamment la mise
en oeuvre d'une politique progressive de réduction de la durée du
travail en vue d'aboutir à la semaine de 40 heures effectives. La loi du
16 juillet 1976 instaure par la suite un repos compensateur au-delà de
44 heures hebdomadaires. En 1978, la négociation interprofessionnelle
échoue suite à la proposition patronale d'annualisation du temps
de travail, et de fixation tant de la durée maximale hebdomadaire
à 50 heures que du contingent d'heures supplémentaires à
280 heures. En 1981, la durée hebdomadaire du travail est portée
à 39 heures. L'année suivante, les lois Auroux obligeront les
entreprises à négocier annuellement la question de la
durée et de l'organisation du temps de travail, sans forcement aboutir a
un accord.
Résultant de la croissance économique des Trente
Glorieuses, le processus de baisse tendancielle de la durée du travail
contribue à dégager du temps hors travail, dont l'importance
croissante explique en partie le développement d'une civilisation des
loisirs de masse. Les années 60 puis les années 70 voient ainsi
la montée en puissance d'une économie liée tant aux
loisirs qu'au tourisme.
Tandis que le secteur primaire perd en importance, se
développe une économie tertiaire, au sein de laquelle les
services liés à la personne et à son entretien occupent
une place prédominante.
Comme l'a souligné le sociologue Jean Viard, sur la
période 1992-2000, la croissance moyenne annuelle a été de
1,6 % contre 3,1 % pour la croissance du secteur des loisirs et de la culture
et 9 % pour le secteur de la communication. Ces deux secteurs ont donc
connu une expansion nettement plus rapide que celle de la moyenne des
consommations. Parallèlement, sur la période 1986-1999, le temps
quotidien consacré aux loisirs est passé de 3 heures 07
minutes à 3 heures 35 en moyenne. Ce phénomène est
d'autant plus marqué que la distinction entre les différents
temps : temps de travail et temps libre, temps quotidien, temps
hebdomadaire et temps mensuel, s'estompe progressivement.
La société française est marquée
aujourd'hui par la consommation tant de loisirs que d'éducation, de
culture et de vacances, qui représente une part conséquente du
budget des ménages (près de 9 % de leur budget total, dont la
moitié pour les dépenses culturelles). En se développant,
les loisirs se sont uniformisés, au profit de la
télévision, grande bénéficiaire de ce mouvement :
en 2001, la presque totalité des ménages vivant en France
métropolitaine étaient équipés d'un
téléviseur couleur, et 70 % d'entre eux possédaient un
magnétoscope. Ce média, diffusant une culture certes accessible
à tous mais standardisée, s'est taillé de fait la part du
lion dans l'utilisation du temps libre
Les rapports entre temps de travail et temps de loisirs sont
donc radicalement différents de ce qu'ils ont pu être par le
passé. En 1800, le travail représentait près de 50 % de la
vie éveillée contre 10 % pour le temps libre ; il en
représente aujourd'hui 12 % contre 30 % pour le temps libre. Les
proportions sont radicalement inversées. Alors qu'autrefois les temps
libres, et au premier rang d'entre eux le repos dominical et les jours
fériés, avaient pour objet de permettre aux travailleurs de se
reposer, ceux-ci ont totalement changé de nature. Les temps libres sont
aujourd'hui des temps pour soi, déconnectés de toute relation
avec l'occupation professionnelle, recentrés sur les goûts et les
besoins privés, sur la sphère intime.
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