Dans un contexte de mise en concurrence, d'emblée sans
merci, imposée par la mondialisation, la compétition entre les
villes se joue désormais aussi sur leur capacité à
procurer aux habitants et aux entreprises un meilleur cadre de vie, lequel
demeure pour une grande partie dépendant de la présence du «
non bâti » à proximité voire à
l'intérieur des tissus urbains : les espaces ouverts deviennent une
composante stratégique de l'attractivité de plusieurs villes
régionales, notamment par les fonctions qu'ils peuvent assurer en
constituant des espaces pour le développement de certaines
activités « récréo - touristiques » disait
Christopher R. Bryant à propos de la place des espaces ruraux
périurbains et de l'environnement dans le développement
régional (Christopher R. Bryant, 2005). Plus que jamais, ces espaces,
qui ne doivent plus être considérés comme des
réserves foncières mais en tant que parties non construites des
villes (Guy Poirier, 2001), font partie intégrante des espaces urbains,
les distinguant selon la place relative qu'ils occupent en leur sein.
A Cergy Pontoise, l'important rôle paysager que joue la
zone maraîchère dans la constitution d'une continuité entre
le bois de Cergy et la base de loisir des étangs, qui permet à
l'agglomération de garder un « coeur vert », semble peu
reconnu car il est moins mis en avant.
Ainsi sur la carte officielle de la ville, notamment celle
éditée par la communauté d'agglomération en Janvier
2006, les espaces agricoles, dont fait partie la zone maraîchère,
sont colorés en jaune clair sans aucune explication en légende
dans laquelle tous les autres espaces constitutifs de l'agglomération
sont repris d'une façon assez exhaustive. En revanche, les chemins
d'exploitations encadrants ces espaces agricoles, trouvent toute leur place sur
cette carte et dans sa légende avec le qualificatif de « chemins
ruraux ». Si l'on considère cette désignation, on comprend
que les espaces agricoles continuent, implicitement, d'être
considérés comme étant « ruraux » malgré
leur positionnement en milieu urbain.
La zone maraîchère n'apparaît donc
nullement en légende de ce plan officiellement adopté pour Cergy
Pontoise17, plus encore, elle se voit amputer de sa partie Ouest
physiquement séparée d'elle par le boulevard de l'Hautil ; cette
partie est représentée en vert clair(interprété en
légende comme « espaces verts, parcs, jardins, parcs urbains
») se distinguant ainsi nettement du reste de l'espace agricole de
l'agglomération (représenté en jaune clair sans aucun
renvoi en légende). L'attribution d'une destiné non agricole
à cette
17 - Il est d'ailleurs affiché au rez-de-chaussée
de l'immeuble abritant le SAN, et présenté gratuitement aux
visiteurs de celui-ci.
partie de la zone maraîchère classée
« partiellement urbanisable » par le SDRIF de 1994, témoigne
de la vision que les autorités de l'agglomération se font de
l'espace agricole : les instigateurs du SDRIF qui ont
délibérément classé certains espaces comme
partiellement urbanisables, ont laissé aux élus locaux une marge
de manoeuvre dans le choix des espaces à urbaniser leur permettant ainsi
d'affirmer leur volonté politique en terme de préservation de
l'agriculture (IAURIF, 2005).
Les espaces ouverts qu'inventorie ce plan de
l'agglomération cergypontaine se scindent en deux groupes : le premier
représenté en vert foncé (repris dans la légende
par le qualificatif « d'espaces boisés ») se distingue d'une
seconde entité composée d'une multitude d'espaces à
nomenclature assez variée mais regroupés en une seule
catégorie représentée en vert clair et reprise dans la
légende sous l'appellation « d'espaces verts, parcs, jardins et
parcs urbains ».
L'analyse de ce plan est d'une importance considérable
lorsqu'on s'intéresse à la recomposition des rapports ville -
agriculture en milieu urbain. Etant à la fois officiel, disponible, bien
diffusé et offert gratuitement, ce plan cumule plusieurs avantages lui
procurant l'accessibilité requise pour qu'il touche de près le
public plus que les autres documents d'aménagement (POS ou PLU,
schéma directeur...) qui demeurent généralement plus
réservés18. Les informations qu'il véhicule
bénéficient ainsi des conditions idéales pour se
répandre efficacement parmi les citadins qui le prennent comme
référence puisqu'il émane des autorités officielles
de l'agglomération : conséquences, ce public, déjà
fortement citadin par son mode de vie (notamment les jeunes), et pour qui ce
plan occulte la présence d'espaces agricoles sur l'agglomération
cergypontaine, ne peut guère constater l'existence d'une activité
agricole au sein de la ville ; ce plan ne contribue donc pas à
rétrécir le fossé séparant l'agriculture des
citadins, bien au contraire, il ne peut que concourir à son
élargissement.
En se référant à ce plan, tout laisse
croire que l'espace agricole est considéré comme «
réserve foncière » en attente d'urbanisation rappelant ainsi
la position qu'ont eu longtemps les documents d'aménagement de la
région parisienne à l'égard de ce type d'espace à
l'échelle régionale.
L'une des raisons principales qui ont fait de l'espace
agricole un espace secondaire, voire inintéressant, pour
l'agglomération peut provenir d'une surestimation de la présence
d'un meilleur cadre de vie défini par l'existence de nombreux espaces
verts et parcs urbains sur son territoire : l'agglomération de Cergy
Pontoise considère qu'elle a déjà donné
pour le
18 - Ces documents sont payants au moment où ce plan est
proposé gratuitement au niveau de toutes les mairies de
l'agglomération.
cadre de vie et les espaces ouverts et verts, puisqu'elle
estime que son image « d'agglomération verte » est
suffisamment manifestée même au-delà de son propre
périmètre, notamment à travers son engagement comme «
ville porte » du Parc Naturel Régional du Vexin créé
justement pour la contrecarrer et pour éviter son extension sur les
plateaux du Vexin français en 1995 (Da Lage, 1996). Elle aurait donc
tendance à ne plus juger utile de fournir des efforts
supplémentaires qui auraient pour but de sauvegarder et de mettre en
avant l'espace agricole qu'elle possède.
Par ailleurs, le besoin en espace ouvert et vert au sein
même de cette agglomération ne se fait pas ressentir au point
où la majeure partie de ses citoyens la considère comme ville
verte (88% des habitants) (CA Cergy Pontoise, 2005); on peut donc comprendre
que les espaces agricoles n'apportent pas de satisfaction particulière
aux habitants de l'agglomération ni à leurs élus
puisqu'ils se trouvent déjà satisfaits en espaces verts existants
qui couvrent plus de 2000 ha (soit 1/4 de sa surface totale) : il y'a là
une véritable concurrence qui oppose espaces verts et espaces agricoles
et qui se joue désormais sur l'attraction d'opinions favorables à
leur maintien, cette situation confirme le « principe paysagiste »
évoqué par Pierre Donadieu et André Fleury qui est
susceptible, dans certains cas, d'éliminer l'agriculture de l'espace
urbain quitte à en reproduire certaines formes pittoresques ou
symboliques dans les parcs ou les cités (Donadieu et Fleury, 1997). Face
à une multitude de choix possibles, il n'est donc pas évident que
l'agriculture soit l'alternative au bâti dans les milieux urbains et
périurbains : jardins, espaces verts, forêts...., sont autant de
concurrents potentiels pour l'agriculture dans ces espaces. A partir de
là, on peut conclure que le statut de l'espace agricole dans
l'agglomération cergypontaine est largement tributaire de la
capacité de l'agriculture à montrer elle-même son
utilité pour justifier son maintien en milieu urbain.
Au centre de l'agglomération, la commune de Cergy
considère davantage son espace agricole dans ses documents officiels ;
ainsi le manuel « Cergy pratique 2005 » édité par la
ville de Cergy dont l'objectif est de présenter la ville d'une
façon exhaustive et facilement compréhensible aux citoyens,
rappelle que sur ses 1460 ha de surface totale, la ville de Cergy comporte 535
ha d'espaces ouverts (soit près de 37% de son territoire) parmi lesquels
les surfaces agricoles sont comptabilisées pour les 160 ha qu'elles
couvrent (Ville de Cergy, 2005). Les réflexions exposées par ce
document qui sont accessibles à un large public puisqu'il est
gratuitement distribué dans les points d'informations (CIDJ, accueil,
hall de mairie...), illustrent bien l'image que se fait la ville de Cergy de
son espace agricole et implicitement la volonté de diffuser cette image
au sein de ces habitants afin qu'ils l'adoptent à leur tour.
Graphe 03 : La part de l'agriculture dans l'espace ouvert
à Cergy.
Espaces verts urbains 25%
Coteaux verts
bordants
l'Oise 9%
Base de loisirs 28%
l'espace ouvert total à Cergy = 535 ha
Surfaces boisées 9%
Surfaces
agricoles 28%
Source des données : La ville de Cergy (2005)
A partir de l'analyse de ces documents, on arrive facilement
à comprendre la tournure que prend la recomposition des rapports ville -
agriculture à deux échelles territoriales et administratives
différentes qui sont l'agglomération cergypontaine et la commune
de Cergy. Au moment où l'espace agricole cergypontain demeure peu
montré par les instances de l'agglomération à ses
habitants, la ville de Cergy exprime une véritable intégration de
son espace agricole dans ses espaces ouverts tout en continuant de le qualifier
d'agricole : moins reconnue à l'échelle de l'agglomération
cergypontaine, la zone maraîchère trouve une considération
particulière au sein de la ville de Cergy où elle est
perçue avant tout comme un espace ouvert au même titre que le
reste des espaces verts et boisés que la commune comporte sur son
territoire. Cette considération illustre l'une des principales
possibilités d'intégration de l'agriculture dans les milieux
urbains, en l'occurrence sa capacité à gérer et à
entretenir des espaces ouverts à moindres coûts pour la
municipalité.