Deuxième partie :
La zone maraîchère de Cergy : un espace
agricole urbain.
Au fil de l'histoire, les orientations de l'aménagement
du territoire régional en Ile de France ont produit le maintien d'un
certain nombre d'espaces agricoles disposés en îlots à
l'intérieure de l'agglomération qui demeurent gérés
par l'agriculture bien qu'ils soient entièrement enclavés par
l'urbanisation. Si l'absence de données chiffrables sur le nombre de
sites et les surfaces agricoles concernées, on peut néanmoins
estimer qu'ils se localisent pour leur majorité dans le
périmètre de la ceinture verte. Tandis que certains de ces
espaces sont aujourd'hui sérieusement menacés par l'urbanisation,
d'autres jouissent au contraire du privilège d'être maintenus
agricoles au moins jusqu'en 2015 dans le SDRIF de 1994, puis par des
schémas d'aménagements locaux (schémas directeurs, PLU),
dès lors, il devient intéressant d'analyser le fonctionnement de
ce types d'espaces réservés pour l'agriculture dans les milieux
urbains, ainsi que l'organisation de cette activité en rapport avec sa
localisation urbaine.
La zone maraîchère de Cergy illustre un exemple
parmi d'autres de ce type d'espaces agricoles urbains, c'est un terrain
d'environ 80 ha de superficie localisé sur le périmètre de
la commune de Cergy au centre de l'agglomération de Cergy Pontoise (Nord
Ouest de l'agglomération parisienne). Le site qui occupe l'une des
boucles de l'Oise, apparaît sous forme d'une « banane » avec un
côté convexe (Sud) limité par ce cours d'eau et un
côté concave (Nord) limité, pour sa majeure partie, par le
bois de Cergy.
Par sa localisation géographique particulière,
cette zone conjugue plusieurs aspects propres à l'aménagement
régional de l'Ile de France ; l'extension de l'agglomération
parisienne en « doigts de gants » suivant les fonds de vallées
et son impact sur les orientations décidées aux différents
schémas directeurs qui se sont succéder en vue de la contenir,
l'émergence de la préoccupation environnementale ainsi que
l'apparition des nouvelles attentes de la société
vis-à-vis de l'agriculture, sont autant d'événements qui
ont marqué la zone maraîchère de Cergy.
Le positionnement de cette zone au centre géographique
de l'agglomération de Cergy Pontoise échappe à la
localisation habituelle d'un quelconque territoire périurbain se situant
plutôt aux alentours des espaces urbanisés d'une façon
extérieure à un centre d'agglomération le plus souvent
bâti. Il s'agit là de la particularité de cet espace
périurbain que l'on pourrait qualifier d'urbain par sa situation et qui,
comme beaucoup d'espaces ouverts de la ceinture verte, continu d'être
géré par une agriculture maraîchère témoin
des vestiges d'une ceinture
Echelle : 1/100000 Source : I HESSAS. 2006.
Menucourt Vauréal
Figure 02 : La zone maraîchère de Cergy : un espace
agricole urbain.
Cergy
Courdimanche Saint-Ouen-
L 'Aumône
Boisement Eragny-
Jouy- Neuville - Sur- Oise
Le Moutier Sur - Oise
Puiseux - Pontoise
Osny
Pontoise
78 93
92 94
91
Agglomération de Cergy Pontoise
95
77
maraîchère qui jusqu'au milieu du
20ème siècle alimentait encore le marché
parisien en divers produits agricoles (Phlipponneau, 1956). En comparaison avec
cette agriculture en ceinture maraîchère qui - à son
époque - était urbaine puisqu'en échange de
l'approvisionnement de Paris, elle recyclait les déchets urbains de
cette ville (Donadieu et Fleury, 1997), la localisation urbaine de
l'agriculture de la zone maraîchère au sein de
l'agglomération de Cergy Pontoise ne lui suffit pas pour devenir
pleinement une activité urbaine c'est-à-dire jouir de relations
fonctionnelles avec la ville qui l'entoure ; aujourd'hui encore d'autres
facteurs freinent l'intégration de cette activité dans les
projets urbains de la ville.
La ville nouvelle de Cergy Pontoise dont la création
sur des champs agricoles a été marquée par des expulsions
d'agriculteurs ayant abouti à leur exclusion du projet urbain de
départ, est aujourd'hui amenée à redéfinir la place
de l'agriculture sur son territoire pour accéder à un
développement cohérent qui associe développement
socioéconomique et cadre de vie : l'agriculture pourrait ainsi retrouver
sa place en ville à travers sa capacité à jouer d'autres
rôles plus bénéfiques pour l'agglomération que celui
de son approvisionnement en denrées alimentaires désormais
assuré par la grande distribution.
Par ailleurs, rattrapée par son histoire, cette zone
illustre la difficulté, voire l'impossibilité, du dialogue ville
- agriculture si les agriculteurs eux-mêmes n'ont pas été
préalablement associés au projet urbain qui, même lorsqu'il
parvient à concrétiser ses objectifs souhaités en terme de
population, d'emplois et d'infrastructures, n'obtient que peu ou pas
l'adhésion des agriculteurs : quarante ans après, la ville
nouvelle demeure ce projet qui leur a été imposé et qui a
été mené sans leur consentement ; les agriculteurs
continuent de la considérer en inadéquation avec leurs
préoccupations, même s'ils ne la voient plus comme une menace pour
leur activité.
1. Une position particulière : au centre de la
ville nouvelle de Cergy Pontoise.
On ne peut comprendre le fonctionnement de la zone
maraîchère si l'on ne tient pas compte de son histoire et des
circonstances qui l'ont conduit à son positionnement actuel au centre de
l'agglomération de Cergy Pontoise. Comme tous les espaces agricoles de
l'agglomération cergypontaine, la zone maraîchère est
antérieure à la ville nouvelle. C'est cette création
urbaine « de toutes pièces » qui lui a procuré
son positionnement particulier « au centre de l'espace urbain de
l'agglomération ».
Photo 01 : Le site de la ville nouvelle avant l'urbanisation (non
datée).
Limite de la zone maraîchère
Source : vue aérienne réalisée par Alain
Perceval N° 3450/ IAURIF N° 4374
Figure 03 : Le centre de la ville nouvelle de Cergy Pontoise en
1999.
Boisement Jouy-Le-Moutier
Courdimanche
Puiseux Pontoise
Vauréal
Cergy
Osny
Neuville- Sur- Oise
Pontoise
Source : IAURIF, 2005.
Entre la ville nouvelle et l'espace agricole de Cergy une
histoire douloureuse marquée par l'expropriation et l'expulsion des
agriculteurs qui occupaient le site ; de vives tensions ont ainsi longtemps
opposé agriculteurs et artisans de cette ville convaincus de la
pertinence de leur choix et déterminés à mettre en oeuvre
leurs plans au non de l'aménagement de la région parisienne.
C'est en 1965 que la volonté d'étendre
l'agglomération parisienne en villes nouvelles a été
adoptée et concrétisée par le SDAURP. Dès son
arrivée à la tête du district de Paris, Paul Delouvrier
avec l'aval du Général De Gaule a précipité la
révision du PADOG qui gérait jusqu'alors l'extension de
l'agglomération parisienne. Cette révision a été
justifiée par l'inadéquation de la restructuration de
l'agglomération parisienne autour des « points forts » de sa
banlieue (que propose ce schéma) avec la volonté de
répondre aux besoins criants en logements et en équipements
provoqués par la croissance parisienne : Delouvrier estimait que la
limitation foncière du PADOG est trop ardue pour dégager en temps
voulu l'espace constructible exigé par la croissance
démographique, et que le périmètre d'agglomération
imposé céderait sous la pression de celle - ci ; il a donc
opté pour une extension urbaine discontinue en « terrains neufs
», polarisée par des « villes nouvelles » voisines de
l'agglomération, mais séparées de celle - ci.
Pour choisir ces sites, deux contraintes ont orienté
l'équipe de Delouvrier : d'une part la surestimation de la croissance
démographique de la population régionale lors des projections
faites pour l'an 2000 ; et d'autre part, la présence d'axes tangentiels
favorables à l'urbanisation de part et d'autre de Paris et qui
reprenaient les infrastructures déjà mises en place. La
première contrainte, qui a abouti à l'exclusion des
vallées jugées trop étroites pour contenir le surplus de
la population13, a justifié l'orientation des constructions
et des infrastructures vers des endroits les plus loin des vallées
à chaque fois que cela est possible,
La décision de placer ces villes sur des terrains
vierges de toute urbanisation a suscité, pour l'AFTRP, d'importants
achats fonciers dans le but de constituer l'assiette propre à chacune
des villes. Ces achats n'ont pas toujours été faciles à
mener, ils ont été accompagnés par de nombreuses
difficultés dictées le plus souvent par l'état de la
propriété foncière, avec une importance relativement
variables selon le site concerné ; ainsi, contrairement au foncier de la
ville nouvelle d'Evry (appartenant à quatre propriétaires) ou
celui des grandes exploitations céréalières de Trappes, la
domination de la petite et moyenne exploitation
13 - Paul Delouvrier a confirmé qu'il serait peut
être tenté par les vallées si les chiffres qui lui ont
été fournis sur l'accroissement démographique de la
région parisienne été moins élevés.
maraîchère a rendu les acquisitions plus
difficiles à mener sur le site de Cergy Pontoise (Scherrer, 1989).
D'après le témoignage de Bernard Hirsch (alors
chargé des études de la ville nouvelle de Cergy Pontoise en
1965), le périmètre retenu englobe un total de 10000 ha dont
près de la moitié ont été acquis. Le terrain est
extrêmement morcelé et comporte plus de 3000 parcelles avec de
petites propriétés tenues par plusieurs centaines de
propriétaires. Environs 40 cultivateurs pratiquent des cultures de plein
champ sur des exploitations de 15 ha en moyenne avec des systèmes de
vente sur les marchés de la banlieue parisienne ; la proximité de
Paris est donc un élément important de l'équilibre
économique des exploitations : la reconversion des agriculteurs
évincés devra se faire à proximité.
En règle générale, les exploitants ne
possèdent pas les terres qu'ils cultivent, ils les louent soit à
des membres de la famille, soit à d'autres propriétaires. Ceux-ci
tirent de très faibles revenus du fermage (quelques quintaux de
blé à l'hectare) et les organisations agricoles s'entendent pour
éviter toute revalorisation.
L'expropriation qui est une aubaine pour les
propriétaires leur permettant de mobiliser leur capital pour l'investir
dans des conditions plus avantageuses, est une perturbation parfois
catastrophique pour les cultivateurs décidés de continuer leur
activité ; pour ces derniers, une reconversion sur d'autres terrains est
nécessaire. A cause de l'inclinaison des terrains vers le Nord, les 500
ha acquis et aménagés par la caisse des dépôts au
Perchay (15 Km en direction de Rouen) ont été refusés par
les agriculteurs (le sol gèle en hiver et les récoltes sont
tardives en été), ces derniers ont choisi de rester à
Cergy qui bénéficie de situation unique pour les cultures
maraîchères (le versant est exposé au Sud, le sol est
sableux et ne retient pas l'eau) : le bras de fer avec les responsables de la
construction de la ville nouvelle est déclanché.
A plusieurs reprises, les exploitants ont menacé de
sortir leurs fusils comme en 1967 lorsqu'ils ont décidé de
bloquer le chantier de la préfecture en réclamant 250 ha (la
moitié de Cergy). Après plusieurs négociations et
arbitrage de la justice, 160 ha ont été sauvegardés pour
le reclassement des agriculteurs. L'Etat s'est engagé à
débloquer les crédits nécessaires pour financer les
travaux d'irrigation, et les agriculteurs ont reçus une indemnité
d'éviction de 2,7 francs/m² avec une somme
supplémentaire de 400000 francs pour les exploitations de petite taille.
En définitive, les quarante familles d'agriculteurs ont partagé
plus d'un milliard d'anciens francs comme réparation du préjudice
subi dans leurs exploitations sans compter les indemnités beaucoup plus
substantielles versées pour le paiement des terrains (Hirsch,
1990)14
14 - Bernard Hirsch fut aussi le premier directeur de
l'Etablissement public d'aménagement de la ville nouvelle, son
témoignage est publié par la presse des ponts et chaussées
en 1990.
C'est donc avec la création de la ville nouvelle de
Cergy Pontoise que l'affectation définitive de la zone
maraîchère pour l'agriculture a été officiellement
décidée. Au départ, cet espace été
réservée pour faire une plaine de jeux aux futurs habitants de la
ville nouvelle, les aménageurs l'ont cédé par la suite
à l'agriculture car il leur a permis de reclasser 20 exploitants. La
zone maraîchère doit ainsi sa survie à la ville nouvelle de
Cergy Pontoise qui, en se construisant sur la pleine de Cergy, l'a
volontairement contourné. Edifiée en « fer à cheval
» autour d'anciennes sablières devenues « les étangs
», cette ville s'est ensuite retrouvée contenant un coeur vert sans
que cela soit parmi ses objectifs15.
Cette position centrale de la zone maraîchère est
particulièrement intéressante puisque elle échappe au
traditionnel schéma d'un étalement urbain des villes qui veut que
le centre ville soit urbanisé et que la ville s'étende ensuite
sur sa campagne avoisinante; alors que ce fut le cas à l'échelle
régionale où la ceinture maraîchère décrite
par Michel Phlipponneau dans les années 1950 s'efface progressivement
devant l'avancée urbaine de la ville de Paris sur sa banlieue d'une
façon centrifuge, on constate à l'échelle de la ville
nouvelle de Cergy Pontoise (qui est entièrement contenue dans
l'agglomération parisienne) un processus inverse de cet expansion
urbaine autours de la zone maraîchère de Cergy : l'espace
bâti s'est étalé en entourant la zone
maraîchère d'une façon centripète ; aujourd'hui
encore la partie centrale de l'agglomération cergypontaine demeure non
bâti.
Ce positionnement d'espace agricole en « coeur vert
» entouré d'espaces bâtis n'est cependant pas propre à
la zone maraîchère dans la ville nouvelle de Cergy Pontoise,
à une échelle d'observation plus importante, la Randstad
(Pays-Bas) présente une organisation spatiale similaire. Il s'agit
néanmoins d'un projet planifié à l'échelle de la
région qui reprend le concept de la ceinture verte francilienne avec une
forme inversée (IAURIF, 1995).
Afin de maintenir sa vocation agricole, la zone
maraîchère a suscité des aménagements particuliers.
Les terrains ont été relevés avec l'installation d'un
réseau de drainage sur 7 ha, une mise en place d'un réseau
d'irrigation ce qui a permis une restructuration parcellaire.
Pour les travaux hydrauliques, dont le coût s'est
élevé à 800000 F, les agriculteurs ont
bénéficié d'une subvention du ministère de
l'agriculture de plus de 50%.
Par ailleurs, les propriétaires fonciers se sont
associés afin de gérer les aménagements de la zone
agricole. Ils ont assuré plusieurs actions :
· Création des voieries dont l'entretien est
à la charge de la commune,
15 - Deux propositions ont été avancées
lors de la création de la ville nouvelle de Cergy Pontoise, la
première en forme plus linéaire étirée vers le nord
en pénétrant dans le Vexin, et la deuxième en forme moins
linéaire que les aménageurs de l'époque appelaient en fer
à cheval et qui est finalement retenue.
· Maîtrise d'oeuvre du réseau d'irrigation,
· Participation à la mise en place des
clôtures du côté du bois de Cergy.
Le financement leur provient de plusieurs sources :
Indemnités d'expropriation pour les terrains agricoles,
indemnités de la SNCF pour son emprise (ligne du RER), subventions du
ministère de l'agriculture (pour le réseau d'irrigation). Pour le
reste, les propriétaires ont souscrit des emprunts, dont les
remboursements rentrent dans les charges fixes de l'exploitation.
Entre 1975 et 1980, la SAFER a intervenu pour acquérir
et aménager un lotissement agricole de 7,5 ha partagé en 12 lots
de 5000 à 7000 m² sur lesquels 5 jeunes agriculteurs se
sont installés16. Occupé à l'origine par la
vigne, le secteur en question a accueilli par la suite plusieurs
carrières de sable. Quand elles se sont arrêtées, elles ont
laissé beaucoup de trous qui servaient souvent de décharges
provoquant des nuisances aux agriculteurs voisins. Ces derniers ont
demandé à la SAFER d'acquérir et d'aménager cet
espace pour l'agriculture.
Les travaux effectués qui ont permis de viabiliser ce
secteur dégradé par les exploitations de carrières, ont
consisté en un déboisement, un nivellement avec apport de terre
pour l'implantation des serres froides, un équipement en eau et
électricité et la pose de clôtures à cause de la
proximité du bois de Cergy (IAURIF, 1992)
|