2.2. Le renforcement du contact agriculteurs - citadins
:
2.2.1. L'obstacle : un recul des clients sur les
marchés forains :
A l'unanimité, les agriculteurs rencontrés
expriment tous le souhait de voir les gens « revenir faire leurs
courses sur les marchés » afin qu'ils puissent vendre les
produits de leurs exploitations. Selon eux, la baisse des ventes est une
conséquence directe du recul de la clientèle sur les
marchés qui s'effectue dans un climat de changements profonds dans les
modes de vie et de consommation de la société.
Particulièrement adaptée à ces évolutions, la
grande distribution exerce une attraction sans précédent sur les
consommateurs (adaptation aux horaires de travail, adaptation des gammes de
produits proposés).
Dans ce contexte de grande concurrence, les marchés
forains sont de moins en moins fréquentés, l'existence d'un
décalage entre leur activité et les aspirations de la
société est de plus en plus perceptible par les agriculteurs ;
ils n'hésitent pas à exprimer leur sentiment que les
évolutions de la société ont malheureusement pris des
orientations qui vont plus à l'encontre de leurs attentes «
aujourd'hui, les gens préfèrent les sandwichs et les plats
cuisinés, nos clients sont souvent des habitués, le
renouvellement de la clientèle pose un véritable problème
au maintien de nos activités sur les marchés »,
explique un exploitant. Convaincu que les agriculteurs ne peuvent plus
fournir d'effort supplémentaire, cet agriculteur estime que « c
'est aux citadins de faire le pas s 'ils veulent maintenir l 'agriculture, ils
peuvent commencer par se rendre souvent sur les marchés pour acheter nos
produits ».
Garantir les débouchés à leurs
productions est la préoccupation la plus partagée par les
agriculteurs de la zone maraîchère, les problèmes les plus
directement liés au contact urbain (vols, dégradations et autres)
passent au second degré dès qu'ils évoquent les
difficultés rencontrées pour la commercialisation de leurs
productions. Un ouvrier maraîcher m'a confirmé que son employeur
fait de plus en plus recours à la destruction des légumes non
vendus qui reviennent des marchés ; contrairement aux revendeurs qui
pratiquent couramment la baisse des prix afin d'écouler leurs
marchandises surtout à la clôture des marchés, les
agriculteurs préfèrent détruire les légumes non
vendus afin de garder les prix à leur niveau acceptable.
La crainte de ne pas pouvoir écouler leurs productions
n'est pas une préoccupation propre aux agriculteurs de la zone
maraîchère, ni à ceux de la région d'Ile de France,
les chambres d'agricultures ont montré à travers une
études menée en 2004 que c'est la principale préoccupation
des agriculteurs au niveau national.
Dans cette étude, treize chambres
départementales d'agriculture ont mené deux enquêtes
auprès de 565 agriculteurs, d'une part, et de 140 agents de
développement agricole, d'autre part ; l'objectif étant de
hiérarchiser les préoccupations des agriculteurs et de
préciser leurs attentes en matière de services afin de produire
des méthodes et d'outils pour les conseillés et les agriculteurs
pour faire face aux nouvelles exigences de la PAC.
Publiés en 2006, les résultats de cette
enquête, qui a couvert la majeure partie du territoire national,
confortent les remarques que j 'ai retenu à propos de la part des
débouchés de leur production dans les principales attentes des
agriculteurs recensées en zone maraîchère de Cergy.
Graphe 04 : La vente de leurs produits, principale
inquiétude des agriculteurs français.
Charges opérationnelles
Organisation du travail
Qualité des produits
Transmission
Image du métier
Relations hum aines
Techniques
Organisation administrative
Foncier
Prix- débouchés
15%
10%
5%
0%
Orientation du système Temps de travail
Contrôles
Réglem entation
Trésorerie- endettement Charges de structure
Pérennité Investissement
Source des données : Chambres d'agriculture (2003)
Devant la rareté de la clientèle de plus en plus
ressentie sur les marchés, les agriculteurs deviennent très
vulnérables à la concurrence que leur exercent les produits
importés de l'étranger et qui saturent le marché avant
même que les produits locaux soient mis en vente. Il n'hésitent
pas d'exprimer le sentiment d'être sacrifiés au nom des
échanges internationaux et de l'élargissement de l'Europe ; ainsi
en mai 2005 certains agriculteurs que j 'ai rencontrés dans le Vexin
français quelques j ours avant le référendum sur la
constitution européenne, m'ont explicitement signifié à
l'époque qu'ils sont à la base contre tout élargissement
européen et par conséquent, ils voteront « Non » par
crainte d'être envahi par des produits venant de l'Est ! Une
année après, les agriculteurs de la zone maraîchère
entretiennent les mêmes craintes vis-à-vis des produits
étrangers en leur imputant leurs difficultés actuelles à
écouler leurs propres produits. En réalité, et c'est ce
que j 'ai compris à travers leurs arguments, la présence,
elle-même, des produits étrangers sur les marchés locaux ne
dérange pas les agriculteurs, en revanche, ce qui leur pose
problème c'est de ne pas pouvoir les concurrencer notamment sur les prix
; l'une des principales explications de cette impuissance réside, selon
ces agriculteurs, dans l'élévation excessive des charges en Ile
de France plus qu'ailleurs ; la périurbanisation qui met les citadins
géographiquement proche de l'agriculture expose cette activité au
regard att entif des consommateurs, les agriculteurs doivent fournir plus
d'efforts physiques et financier car en plus de la production proprement dite,
ils doivent veiller à montrer une bonne image auprès des
citadins. C'est une situation qui
devient de plus en plus contraignante tandis que les
producteurs étrangers à la région continuent de travailler
dans des conditions entièrement ignorées par les franciliens qui
ne peuvent juger que l'état du produit final qui leur est proposé
(d'ailleurs avec une qualité qui n'a rien à envier à celle
des produits franciliens), « en plus de leurs prix bas, ils deviennent
de plus en plus bons en terme de qualité, on parle d'Ile de France,
énorme bassin de consommation, il ne faut pas croire, ce n 'est pas pour
nos produits ! », reconnaît un agriculteur.
Si le retour des citadins sur les marchés forains
demeure pour les agriculteurs le signal le plus significatif en faveur du
maintien de leur activité en Ile de France, les tendances actuelles des
franciliens à déserter les marchés continuent d'aller
à l'encontre des attentes des producteurs (notamment maraîchers).
Les raisons de ce désaccord qui sont liées, pour une grande
partie, à l'ajustement des modes de consommation sur les modes de vie
urbains, prennent des apparences multiples dans la société.
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