2. Les conditions du rapprochement ville - agriculture
:
Si le maintien de la destiné agricole de l'espace en
milieux urbains peut dans une large mesure s'effectuer à travers les
documents d'urbanisme (type PLU), le maintien de l'activité agricole
elle-même passe inexorablement par l'entretien de la viabilité
économique des exploitations agricoles (Charvet, 2003). La
sécurisation foncière et contre les vols et dégradations
doit s'accompagner par une sécurisation économique qui
nécessite d'assurer la
rémunération des actes de production agricole.
Celle-ci passe par le renforcement des liens économiques entre
l'agriculture et son entourage urbain immédiat car c'est d'abords avec
celui-ci que l'activité agricole partage la gestion de son espace, il
faut donc réfléchir à des stratégies qui permettent
aux agriculteurs et aux citadins de définir des projets communs en
convergeant mutuellement leurs objectifs. Cependant, la voie qui consiste
à faire des agriculteurs des jardiniers pour les citadins que les
agriculteurs eux même refusent est à exclure. Plusieurs chercheurs
rejettent aussi cette logique, ils proposent de considérer les
agriculteurs avant tout comme les nourriciers du monde et non d'abords des
jardiniers (Hervieu, 1993, Pisani, 2004). Dès lors toute
stratégie favorable à l'intégration fonctionnelle de
l'agriculture d'abords pour son rôle nourricier dans les milieux urbains
se trouve autorisée. Toutefois de telles initiatives qui demandent
l'engagement volontariste de toutes les parties concernées passent par
un certain nombre d'étapes clés du rapprochement ville -
agriculture.
2.1. La reconstruction du dialogue agriculteurs -
agriculteurs :
Les agriculteurs de la zone maraîchère sont
unanimement d'accord sur leur fort individualisme ; en effet, le même
propos « ici, c 'est chacun pour soi ! » revient le plus
souvent accompagné de « c'est vraiment regrettable »
chez la majorité des agriculteurs rencontrés. A travers
leurs propos, ils m'ont fait comprendre qu'il est devenu très difficile
aujourd'hui de se mettre d'accord pour éventuellement construire des
projets communs. Selon ces agriculteurs, les raisons de cette situation
résident dans « l'égoïsme » qu'expriment certains
d'entres eux à chaque fois qu'ils voulaient s'associer autour
d'objectifs communs.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il
paraît fort probable que des querelles très fortes existent et
s'alimentent entre les exploitants au point même de compromettre leurs
intérêts. Les conséquences de ces mésententes
constituent des obstacles énormes à l'aboutissement de projets
qui visent d'associer les agriculteurs même dans le cas où ils
émanent de l'extérieur, c'est ainsi que la proposition
d'association enclenchée avec Auchan de Cergy a été
vouée à l'échec, un agriculteur explique les raisons
« c 'est parce qu 'on n 'a pas su se mettre d'accord sur l
'organisation du stand qui nous a été proposé à l
'intérieur du magasin Auchan, que ce dernier a annulé son contrat
avec nous ». Selon cet agriculteur, l'enseigne leur a demandé
d'animer leur stand pendent six jours dans la semaine et de ne jamais le
laisser vacant pour des raisons commerciales, et puisqu'ils n'étaient
que trois agriculteurs à vouloir participer à
l'expérience, ils étaient obligés de consacrer deux jours
par semaine chacun pour assurer la
relève et la continuité du stand, «
avec le boulot qu 'on a sur nos exploitations, c 'est impossible de s 'absenter
deux journées entières, le problème est que les autres
[agriculteurs] ne voulaient pas y participer : on a fini par arrêter
». La seule exploitation qui a continué de travailler avec
l'enseigne, après la résiliation des autres, n'a
résisté que six mois, son responsable m'a alors confié :
« je me suis rendu compte que je devenait, petit à petit, un
employé chez Auchan, j'ai donc décidé d'arrêter
». Selon d'autres propos que j'ai recueillis auprès d'autres
agriculteurs bien informés sur la situation : Auchan était
très exigeant vis-à-vis des agriculteurs, notamment sur la
qualité des produits, « une tomate abîmée, c 'est
la caisse refusée ! », les agriculteurs ne pouvaient plus
suivre. Ces arguments concernant les exigences strictes de l'enseigne de
distribution me paraissent les plus explicatifs de l'échec de ce
partenariat puisque l'exploitation, qui a pu résister pendant les six
mois de l'expérience, est la plus avancée en terme de
qualité de produits par rapport aux autres exploitations de la zone
maraîchère ; son avancée est rendu possible par une
maîtrise technique sans commune mesure dans les autres exploitations de
la zone (serres chauffées, irrigation par goûte à
goûte, cultures hors sol).
Le manque d'organisation collective des agriculteurs est
considéré par l'IAURIF comme un des trois points faibles des
espaces agricoles résiduels entièrement enserrés au sein
de l'urbanisation dans lesquels se classe la zone maraîchère de
Cergy. L'encouragement de cette organisation collective est un préalable
pour toute reconnaissance des agriculteurs dans des projets urbains (IAURIF,
2002).
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