Première partie :
L'agriculture en Ile de France : de la prise en compte
spatiale à la considération fonctionnelle.
1. La prise en compte de l'espace agricole dans
l'aménagement régional en Ile de France :
La considération de l'espace agricole par les documents
d'aménagement régional de l'Ile de France s'est faite d'une
façon graduelle et tardive. Elle n'est devenue effective qu'après
83 ans des premières réflexions sur l'aménagement du
territoire dans cet espace devenu la région Ile de France.
Jusqu'au milieu des années 1970, les schémas
d'aménagement mis en place s'intéressaient beaucoup plus à
l'organisation de l'expansion urbaine de la région parisienne,
extrêmement forte notamment entre les deux guerres et après la
seconde guerre mondiale, l'espace agricole été alors
considéré comme une « réserve foncière »
en attente d'urbanisation, de préférence la moins coûteuse
pour l'Etat et les collectivités.
C'est ainsi que le PADOG de 1960 qui sépare les «
zones urbaines » des « zones rurales » par un
périmètre d'agglomération rigoureusement tracé en
préconisant une reconstruction de la ville sur la ville, autorise par
dérogation les constructions au-delà de ces limites et même
sur des terrains non affectés à l'urbanisation à
l'intérieur de ce périmètre4. Ces autorisations
de construire sont délivrées par la CARP5 à
condition que l'équipement des terrains soit pris en charge par le
demandeur et non par les finances publiques. Les motivations des instigateurs
de ce schéma sont plus la limitation des coûts de
l'étalement urbain que la préservation de l'espace rural et
agricole. Par ses préoccupations urbanistiques, le PADOG s'aligne
largement sur ses prédécesseurs schémas d'urbanisation de
la région parisienne. Dans le plan d'extension de Paris
édité en 1911, qui se donne comme cadre d'extension le
département de la Seine, les réflexions sont orientées
vers l'amélioration de la circulation et la reconversion d'îlots
insalubres en espaces libres. Son successeur de 1939 (appelé Plan Prost
Dausset) qui s'applique à la région comprise dans un rayon de 35
Km autour de Notre Dame, donne la
4 - Paul Delouvrier estime que « deux tiers des demandes
de dérogations pour construire ont été faites dans les
zones rurales en dehors du périmètre délimité par
le PADOG »
5 - Comité supérieur d'Aménagement et
d'organisation générale de la Région Parisienne : elle est
instituée par le gouvernement Poincaré auprès du ministre
de l'intérieur par décret du 24 mars 1928 et succède
à la commission d'aménagement et d'extension du
département de la Seine instituée en 1925; selon J Bastié,
ce fut le point de départ de toute l'oeuvre d'aménagement de la
région parisienne.
Figure 01 : Le périmètre de la ceinture verte de la
région d'Ile de France.
Zone d'habitat collectif
Espaces boisés 0 10 Km
Limites de la ceinture verte Source : IAURIF, 1995.
Zone d'habitat individuel
N
priorité à la lutte contre l'extension des
lotissements par l'interdiction de construire au delà d'un
périmètre d'agglomération (sauf par dérogation de
la CARP) et au renforcement du réseau routier par la création de
3300 Km de voies nouvelles ; il préconise, en outre, des réserves
« d'espaces libres publics et privés » et une limitation des
hauteurs des immeubles selon les communes (Bastié, 1964 et 1984). Si le
PADOG a le mérite d'être le premier schéma
d'aménagement de la région parisienne à la
considérer en sa globalité avec comme objectif la limitation de
son extension en « tâche d'huile », le SDAURP qui lui a
succédé en 1965, présente des idées
révolutionnaires pour la région en ayant comme objectif la
limitation de son extension en « doigts de gants » notamment par
l'instauration du principe d'extension en ville nouvelles construites sur des
« terrains neufs » séparées de l'agglomération.
La limitation de l'urbanisation des vallées que promulgue ce
schéma a suscité sa révision au cours des années
1970 et son remplacement par le Schéma Directeur d'Aménagement et
d'Urbanisme de la Région d'Ile de France (SDAURIF) de
19766.
Il s'agit enfin du schéma qui apporte un premier
souffle aux espaces naturels par l'instauration de la notion de « trame
verte » et de « zones naturelles d'équilibre ». Ce
schéma a également supprimé trois villes nouvelles sur
huit initialement prévues, à savoir celle du Vexin, de Mantes sud
et de Meaux sud.
Depuis, l'intérêt grandissant qu'a pris l'espace
agricole dans l'aménagement régional s'est traduit par la mise en
place de projets spécifiques visant le maintien de ce type d'espaces
notamment dans les périmètres contenus entre les villes nouvelles
et entre celles - ci et l'agglomération parisienne. C'est dans cette
logique qu'un projet d'envergure régionale est conçu au
début des années 1980, puis mis en place en 1987 sous
l'appellation de ceinture verte régionale.
Située à une distance comprise entre 10 et 30 Km
du centre de la capitale, le projet de départ (de 1982) recouvre le
territoire de 359 communes avec 264700 ha de superficie (près du quart
de la surface régionale) et un tiers de la population régionale
à 1404 habitants/Km². Entre 1987 et 1990, la zone
d'étude de la ceinture verte a été agrandie vers
l'extérieur pour englober la totalité des villes nouvelles, et
pour inclure, au Nord, la pleine de France comprise dans le cercle des 30 Km ;
elle s'étend désormais sur un espace total d'environ 300000 ha et
comprend 410 communes avec un peu plus de 5 millions d'habitants (soit 1
667habitants/Km²). Si elle concerne tous les
départements de la région (sauf Paris), elle se
6 - Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme
de la Région d'Ile de France (le district est remplacé par le
conseil régional d'Ile de France le jour même d'approbation de ce
schéma).
situe essentiellement, pour 85% de sa surface, dans les quatre
départements de la grande couronne (IAURIF, 1995).
Ce projet qui reprend les dispositifs du SDRIF de 1976,
présente l'ambition d'ouvrir de nouveaux espaces de loisirs, en
particulier, pour les fins de semaine, de maintenir l'agriculture dans les
zones périurbaines et de maîtriser le front urbain en
évitant l'extension en tâche d'huile de l'agglomération
(AEV, 1987). Jusqu'en 1990, 37456 ha d'espace verts ont été
ouverts au public dans le périmètre d'intervention de la ceinture
verte.
Tableau 01 : Les espaces ouverts au public par le projet de la
ceinture verte (jusqu'en 1990).
Type d'espaces
|
Surface en hectares
|
Petite couronne
|
Grande couronne
|
Total ceinture verte
|
Verts de proximité
|
881
|
2470
|
3351
|
Parcs
|
779
|
2545
|
3324
|
Forestiers
|
3584
|
26771
|
30319
|
Spécifiques
|
61
|
260
|
321
|
Terrains non aménagés
|
37
|
104
|
141
|
Espaces verts total
|
5306
|
32150
|
37456
|
Population en 1990
|
1765750
|
3283680
|
5049430
|
Espaces verts (m²/habitant)
|
30
|
98
|
74
|
Source : IAURIF, 1995.
Dans son rapport publié en 1987, l'agence des espaces
verts de la région d'Ile de France voit en la mise en place de la
ceinture verte une priorité régionale dont l'urgence se justifie
par la nécessité de ralentir la consommation des espaces
agricoles qui s'effectue à une vitesse impressionnante : 84900 ha ont
été soustraits à l'agriculture, aux bois et aux
forêts entre 1970 et 1986 (soit une moyenne de 5660 ha par
année).
Tableau 02 : Les espaces agricoles et forestières en Ile
de France avant la ceinture verte.
Années
|
Surfaces en milliers d'hectares
|
SAU
|
peuplerais
|
Bois et forêts
|
Territoires agricoles non cultivés
|
étangs
|
Territoire non agricole (sauf paris)
|
1970
|
658,0
|
13,0
|
261,2
|
48,7
|
2,0
|
213,0
|
1975
|
628,2
|
14,2
|
261,5
|
36,8
|
1,9
|
253,4
|
1980
|
619,0
|
14,3
|
260,1
|
17,0
|
1,9
|
284,2
|
1985
|
610,2
|
14,2
|
258,1
|
15,7
|
1,0
|
286,4
|
1986
|
609,3
|
14,2
|
258,0
|
15,8
|
1,0
|
287,0
|
Source : DRAF/ AEV, 1987.
Afin d'atteindre ses objectifs, la ceinture verte propose de
mener des stratégies adaptées à l'état de l'espace
agricole concerné : elle prévoit de réintroduire
l'agriculture avec une double fonction d'accueil du public sur les espaces
agricoles « dégradés » et propose de favoriser la
fonction de production de l'agriculture sur les espaces agricoles « non
dégradés ». Afin de maintenir l'agriculture, le projet
propose de la mettre à l'abri des agressions urbaines (comme toute autre
activité économique), notamment par des protections physiques
(clôtures) ainsi que par le maintien d'espaces tampons entre ces espaces
et la ville (AEV, 1987).
Bien que la croissance spatiale de l'agglomération
parisienne s'est considérablement ralentie entre 1982 et 1990 (2100 ha
par an contre 4400 ha pour la période 1975 - 1982), la consommation de
l'espace agricole est restée de mise, elle s'effectue aussi par
l'installation d'infrastructures, d'équipements et de zones
d'activité économique ainsi que par l'ouverture d'espaces au
public puisque plus de 2100 ha des espaces boisés ou cultivés ont
été consacrés à la création d'espaces verts
publics, de jardins familiaux, de terrains de sports et de loisirs de plein air
(IAURIF, 1995). En revanche, c'est l'essor de l'habitat individuel qui semble
le facteur le plus dévastateur des espaces agricoles, la consommation
d'espace se trouve ainsi directement liée à l'importance relative
de ce type d'habitat dans les constructions puisqu'il mobilise 80% de l'espace
d'habitat alors qu'il n'offre que 28% de logements : le rapport des
densités est supérieur à 10, c'est-à-dire qu'un
logement individuel consomme dix fois plus d'espace qu'un appartement (Merlin,
2003).
Pour l'IAURIF, la disparition d'une majeure partie des 70000
ha d'espaces agricoles du projet de la ceinture verte est à
prévoir d'ici 2015, dans le cas où la croissance urbaine de la
région conserve la même répartition géographique,
c'est-à-dire essentiellement dans le périmètre de la
ceinture verte ; toutes les entités agricoles seront amputées
avec la disparition complète de certaines d'entres elles, car
au-delà de la stricte superficie d'urbanisation, celle-ci entraîne
une destruction plus large (IAURIF, 2002). La proximité des
constructions et la multiplication des voies de communication rendent les
conditions d'exploitation difficiles ; les exploitants ayant un parcellaire
éclaté sur plusieurs endroits, souffrent de l'allongement des
temps de parcours pour les engins agricoles volumineux et lents qui doivent
emprunter les axes de la circulation générale dans une
région où le trafic est très dense jusqu'à des
heures avancées de la nuit. D'ailleurs et devant l'ampleur de ce
problème, un grand nombre d'agriculteurs de l'Ile de France souhaite la
séparation des circulations (Poulot et Rouyres, 2005).
Graphe 02 : La répartition de l'urbanisation francilienne
(1982 /1999).
Hors ceinture verte (27%)
En ceinture verte (73%)
Source des données : IAURIF (2002)
Cette expansion urbaine sur le territoire de la ceinture
verte, est intervenu au moment où s'effectue le ralentissement
progressif de l'urbanisation des villes nouvelles ; ces dernières n'ont
pu absorber que 30% de l'urbanisation de la ceinture verte, les deux tiers
restants étant principalement effectués sur les autres espaces
constitutifs de cette ceinture qui sont majoritairement tenus par
l'agriculture. Ainsi, la part des villes nouvelles dans l'urbanisation de la
ceinture verte est passée de 36% entre 1982 et 1994 à 21% entre
1994 et 1999 (soit une diminution de 15%), tandis que la part de la ceinture
verte dans l'urbanisation totale de l'Ile de France est passée de 70%
à 80% (soit une augmentation de 10%) pour la même période
(IAURIF 2002).
Dans les schémas directeurs, c'est au milieu des
années 1990 que l'espace agricole est explicitement pris en compte d'une
façon définitive par le SDRIF de 1994.
Ce schéma qui oriente les aménagements de la
région à l'horizon 2015, exprime enfin l'engagement solennel de
la région d'Ile de France à reconnaître l'espace agricole
comme une composante essentielle et à part entière du territoire
régional : les espaces agricoles, qui lorsqu'ils sont pris en compte,
sont laissés en blanc « réserves foncières » par
ses prédécesseurs, apparaissent finalement en légende du
document accompagnant ce schéma avec le qualificatif « agricoles
».
Le SDRIF qui attribut à l'espace rural la valeur d'une
« ressource rare » promulgue « la reconstruction de la ville sur
la ville » afin d'économiser l'espace rural dans la couronne rurale
et d'épargner la ceinture verte (Poulot et Rouyres, 2005) ; il
préconise de modérer
davantage sa consommation en limitant à 1750 ha la
surface à prélever annuellement hors infrastructures (soit une
économie de 30% par rapport à la période
précédente). Sur ce point, la mise en place d'un outil
spécifique de suivi de la consommation des espaces agricoles est
proposée. C'est à ce titre que les outils des services de l'Etat
(direction régionale de l'équipement, direction régionale
et interdépartementale de l'agriculture et de la forêt) et de
l'IAURIF sont mis en commun au sein d'un groupe baptisé
OCEAN7. Le SDRIF est le premier schéma directeur
régional à affirmer la vocation économique et patrimoniale
de l'agriculture. Il donne la priorité à l'activité
agricole dans l'espace rural, y compris par rapport à certaines
exigences environnementales (IAURIF, 2003). Il préconise aux
collectivités de garantir des espaces agricoles cohérents,
suffisamment étendus pour assurer des conditions satisfaisantes
d'exploitations (Poulot et Rouyres, 2005) ; les surfaces retenues sont de
l'ordre de 50 ha en agriculture de serre ou horticulture, 300 ha en agriculture
spécialisée ou maraîchage, 2000 ha en agriculture de plaine
ou grandes cultures. En conséquence, il prononce le caractère
intangible des espaces jaunes « à l'intérieur de leurs
limites historiques et naturelles ». La priorité est donnée
à la préservation de la couronne rurale avec un
développement modéré des bourgs et villages, et la
création de parcs naturels régionaux.
|